Un de mes lecteurs (ou lectrice) répondant au doux nom de Byzance me signale que Le Monde a fait paraître à la date du 24 avril deux articles. Une réponse de Gougenheim à cette adresse:
"On me prête des intentions que je n'ai pas"LE MONDE DES LIVRES | 24.04.08
© Puis simultanément un article très critique de Gabriel Martinez-Gros, Professeur d'histoire médiévale à l'université Paris-VIII et Julien Loiseau, Maître de conférences en histoire médiévale à l'université Montpellier-III. Vous le trouverez là: Une démonstration suspecte
LE MONDE DES LIVRES | 24.04.08
© Vu que j'ai commencé à parler de ce livre (que j'espère bien acheter demain s'il se trouve quelque part à Lille !), je me sens quelque peu obligé d'examiner les nouveaux éléments apportés par ces deux articles - ce qui me permettra de répondre à Byzance que je remercie beaucoup pour m'avoir tenu au courant (Byzance, si tu me lis, n'hésite pas à me tenir au courant si tu voyais d'autres choses !). La réponse de Gougenheim est intitulé: On me prête des intentions que je n'ai pas. Le choix du titre me paraît très judicieux ! Rien de pire que le procès d'intention. C'est un peu comme pour Brague à qui l'on reproche un a priori catholique (c'est en tout cas ce qu'on m'a claqué une fois sur un forum pour avoir évoqué son simple nom). Mais qu'importe en réalité ! Ce qui importe c'est le résultat !!! Quand Brague dit: arrêtez de rêver, l'époque médiévale de l'islam n'est pas si idyllique que cela, je le suis volontiers. Je vais me répéter mais si l'on veut un islam des lumières (si la chose a un sens), qu'on le contruise maintenant ou dans le futur au lieu de le chercher dans le passé. L'auteur (Gougenheim) continue : Je suis bouleversé par la virulence et la nature de ces attaques. Je le comprends d'autant plus volontiers que d'habitude une étude sur l'époque médiévale ne déchaîne pas les passions (ni les ventes malheureusement). J'en veux pour exemple le livre de Dimitri Gutas Pensée grecque, culture arabe qui n'a pas à ma connaissance suscité de polémiques alors qu'il est tout aussi démystificateur (par exemple sur cette mythique maison de la sagesse). Bien entendu, Gutas n'est connu que des spécialistes, il n'est pas français et qui a lu de lui Greek wisdom literature in Arabic translation : a study of the Graeco-Arabic gnomologia? Gougenheim ajoute: Je ne nie pas du tout l'existence de la transmission arabe, mais je souligne à côté d'elle l'existence d'une filière directe de traductions du grec au latin, dont le Mont-Saint-Michel a été le centre au début du XIIesiècle, grâce à Jacques de Venise. Je ne nie pas non plus la reprise dans le monde arabo-musulman de nombreux éléments de la culture ou du savoir grecs. J'explique simplement qu'il n'y a sans doute pas eu d'influence d'Aristote et de sa pensée dans les secteurs précis de la politique et du droit ; du moins du VIIIe au XIIesiècles. Ce n'est en aucun cas une critique de la civilisation arabo-musulmane. Du reste, je ne crois pas à la thèse du choc des civilisations : je dis seulement - ce qui n'a rien à voir - qu'au Moyen Age, les influences réciproques étaient difficiles pour de multiples raisons, et que nous n'avons pas pour cette époque de traces de dialogues telles qu'il en existe de nos jours. Voilà qui est très intéressant et il me tarde de voir si c'est bien la même position que l'on retrouve dans son livre car au fond, on retrouve dans sa réponse des choses que je disais de moi-même: - qu'est-ce qui exclut des filières autres qu'arabe dans le monde chrétien ? Qu'en savons-nous au juste ? - En ce qui concerne le droit et la politique , je suis d'accord vu que là les arabes n'avaient pas le texte d'Aristote Les politiques. - Entièrement d'accord aussi avec l'idée que nous n'avons pas de traces de dialogues pour l'époque qui nous intéresse. J'en dis d'ailleurs autant du monde arabe, ce qui n'exclut pas donc - et cette nuance est importante - que nous ayons perdu des traces d'échanges entre le monde arabe et latin. Je remarque donc que selon l'auteur et contre les deux recensions qui en sont faites, il n'a jamais été question de dire que que le monde occidental ne doit rien dans sa transmission des textes aux arabes mais qu'il y a d'autres filières à examiner. Si c'est cela, je suis entièrement d'accord. L'auteur parle enfin du fait que des extraits de son livre se soient retrouvés sur un site d'extrême droite (que Le Monde ne cite pas) et qu'il fait figurer un auteur de pamphlets contre l'islam dans sa bibliographie. En ce qui concerne le site d'extrême droite, on comprend l'intérêt qu'il a à reprendre une telle thèse. Vu le nombre de forums d'extrême droite qui ont fait un copier/coller de la recension du Monde, il est quelque peu machiavélique de supposer que l'auteur avait pour intention de donner du grain à moudre à tous les courants d'extrême droite qui ne veulent plus de l'islam en France. Et de toutes façons, contrairement au hadith qui dit qu'en islam, les actes n'ont de valeur que par rapport à leurs intentions, dans la recherche scientifique, ce n'est pas tant l'intention de départ qui compte que l'objectivité du résultat. C'est bien pour cela qu'un procès d'intention finit preque toujours par être perdu. Je vous parle du second article dans un prochain billet (puis après du livre, si je l'ai trouvé à Lille demain, sinon, il faudra que je passe par l'incontournable Amazon). P.S: si vous avez écouté notre Président hier, vous l'avez peut-être entendu dire que les talibans étaient moyen âgeux. Et bien non, au moyen-âge, les musulmans étaient plus "civilisés" que les talibans d'aujourd'hui qui n'autoriseraient ni la traduction ni la lecture du savoir grec. Je dis cela en dehors de toute opinion politique et simplement pour montrer à quel point le moyen âge a une réputation qu'il ne mérite pas - que ce soit en Europe ou dans le monde arabo-musulman.