8h40, vendredi matin - Je suis assise, toute seule, sur un banc en bois sombre inconfortable. Je regarde fixement une petite feuille blanche, format A4 scotchée sur la porte n.18 du tribunal de la ville de mon enfance. Dehors, il fait une chaleur assommante mais le marbre des escaliers du palais de justice, donne à l’endroit une certaine fraicheur.
Serrant dans le creux de ma main une des voitures de mon fils, je suis dans l’expectative. La veille, j’avais fait 7 heures de train avec mon fils de deux ans et traversé le sud de l’Angleterre et la France pour être là. Même si ma présence n’était pas obligatoire, même si j’ai commencé un nouveau boulot il y a à peine quelques mois, même si je suis fauchée, même si je suis extenuée par le voyage et l’ambiance oppressante de l’endroit… il me paraissait tout simplement impensable de ne pas être présente lorsque des inconnus discuteraient de l’avenir de mon fils.
8.50 – je suis toujours toute seule, la feuille des convocations n’a pas été changée. Je ne suis pas sure d’être au bon endroit. Je fais les cents pas, j’appelle mon avocate : une fois, deux fois… Son assistante semble être passablement ennuyée par mes coups de fils ; moi je stresse. Le couloir commence à se remplir, d’autres mamans arrivent ; leurs avocats prennent des détails de dernières minutes. « Petits » détails comme le sexe de l’enfant dont la garde sera discutée quelques instants plus tard. Je sourie devant la triste banalité de la situation.
J’assiste silencieuse à la valse de visages anonymes des gens en garde à vue. Menottés, le regard vide, accompagné de deux policiers. Les avocats semblent être surpris de leurs présences, à proximité des affaires familiales. Moi j’entends leurs réponses sans les comprendre. Je réfléchis ; je joue et rejoue les termes du compromis que j’ai reçu la veille à 10h du soir. Trop fatiguée physiquement pour prendre une décision, trop fatiguée nerveusement pour pouvoir décider que faire. Je regarde la succession des robes noires des avocats défilant devant moi. Ça me rappelle mes exams de fac : même chaleur assommante, même bâtiments anciens aux couloirs sombres et à la fraicheur providentielle, même robes noires évidemment et… même sentiment de ne plus pouvoir respirer. A chaque fois qu’une porte s’ouvre, je sursaute me demandant si mon ex, son avocat, mon avocate ou la juge aux affaires familiales vont enfin faire leur apparition.
9.00 – l’heure de ma convocation… Je n’ai qu’une peur c’est que la juge m’appelle et que je doive affronter la situation toute seule. Je serre un peu plus la petite voiture grise de mon fils que j’ai gardé au creux de la main. La porte s’ouvre, une maman arrive avec ses parents et son fils de 18 mois. Le papa du garçonnet suis la petite famille à quelques pas. Quatre mamans et un seul papa… Je ne pense plus que le père de mon fils viendra.
9.10 – la JAF commence à appeler les premières familles. Je retourne à la réception, juste pour vérifier que je suis au bon endroit. Je me fais réprimander : je ne suis pas censée quitter la salle d’attente. J’y retourne en vitesse, le cœur serré. Je me rassoie, à cote des d’un deux policiers qui accompagne un jeune-homme menotté. Je regarde le petit garçon avec un sourire au coin des lèvres, il m’ôte un peu du stress. Je parle à sa maman ; on a toute des histoires très semblables.
9.15 – mon avocate arrive enfin. Elle me prend à part pour me parler du compromis qui a été envoyé. Je l’écoute, c’est sans doute l’une des décisions les plus difficiles que j’ai eu à prendre. Elle me pousse à accepter, je lui fais confiance, je suis fatiguée ça fait 45 minutes que j’attends nerveusement. Je l’entends parler, ça fait des mois que ça traine, des mois que je veux que tout ça se finisse mais… d’une certaine manière je voulais que la décision soit prise par le juge. Une tierce personne, impartiale. Au lieu de ça je me retrouve à soupeser à la va-vite, entre deux portes du tribunal, la meilleure solution pour l’avenir de mon fils. C’est difficile, ce qui est mieux pour moi n’est pas forcement mieux pour mon fils. J’hésite et puis j’accepte, mon avocate parait satisfaite.
Je vais me rasseoir, j’attends. J’entends les avocats des parties adverses discuter tranquillement de leurs derniers achats, de la livraison d’une table basse en verre qui pèse 50 kg. Et de l’autre coté du mur, attendent nerveusement les mamans (et le papa). La banalité de la situation me heurte subitement, exceptionnel pour moi mais pour un avocat aux affaires familiales … le quotidien !
Et puis c’est mon tour, j’entre. Aucune idée de l’heure, je suis trop nerveuse pour regarder l’heure sur mon téléphone. Je rencontre l’avocat de mon ex, je ne comprends pas trop ce qu’il fait là. Ce n’est pas celui qui était en contact avec mon avocate. Il ne connait rien au dossier, fait des blagues navrantes. La greffière le questionne, un peu surprise, sur son manque de préparation. Il justifie ses lacunes par l’obtention d’un compromis. Mon avocate précise ironiquement que le compromis n’a été n’accepté que quelques minutes auparavant.
11.00 – je sors du tribunal. Les cigales chantent, les touristes profitent de la terasse des cafés pour prendre un rafraichissement… ça me rappelle l’époque de la fac de droit et Montpellier. Le temps de l’insouciance et des grands projets! Je referme cette parenthèse de quelques heures où le temps a suspendu son vol et moi mon souffle pour retrouver ma vie trépidante de maman solo rythmée par un petit bout de deux ans, de projets en tout genre et d’aventures londoniennes. La vie, quoi ;)