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Tamarrod et son génie

Publié le 12 juillet 2013 par Gonzo

djinn

Nouvelle “contribution exceptionnelle”, dans tous les sens de l’expression : plutôt que de le laisser là où il se trouvait, j’ai préféré donné au long commentaire proposé par Houda Ayoub toute la place qu’il méritait en lui consacrant ce billet. Bonne lecture ! (YGQ)

La langue arabe semble fonctionner, ici, comme un texte qui offre une multitude de lectures possibles.

Le dernier billet d’YGQ fait pétiller les idées et crée un feu d’artifice de significations. Je vais essayer de rendre compte d’une partie des idées qu’il a fait jaillir dans mon esprit.

Mâred, participe actif de M-R-D, même racine que tamarrod, désigne le géant dans l’histoire du pêcheur. Après avoir attendu désespérément, pendant des siècles et des siècles, qu’un sauveur vienne le délivrer de la bouteille où il se trouve enfermé, et après avoir traversé toutes les étapes et toutes les affres de l’attente, le mâred est délivré par le pêcheur. Au lieu de lui être redevable de son salut et de sa liberté retrouvée, le géant déverse sur lui toute la colère accumulée. Sa colère et sa tyrannie sont à la mesure de son attente désespérée et de ses espoirs déçus.

Ce même mâred fonde son existence sur l’absence de barbe, la douceur du visage des petits garçons, qui, même sans barbes commencent à entrer dans le tumulte de l’adolescence et à s’opposer aux adultes. Amrad est le mot qui désigne le garçon encore imberbe, qui, traversant la crise d’adolescence, rejette l’ordre établi, l’autorité parentale, dans un excès de jeunesse, de zèle, dans l’action et dans le refus. Tamarrada implique l’existence d’une autorité contre laquelle on se rebiffe, qu’on remet en cause après une période d’obéissance, de soumission ou de confiance.

Tamarrada c’est dire non, désobéir. C’est l’acte que commet l’imberbe mû par la colère. Tamarrada, nous dit [le dictionnaire] Lissân al-’arab, c’est dépasser les limites par ses agissements tyranniques et tumultueux… Oui, tout ça…

La remontée de la sève au printemps (arabe ?) ne serait pas loin de la remontée du refus aux abords de l’adolescence où les imberbes commencent à se mesurer aux grands, les défier et, pourquoi pas les vaincre.

La langue arabe n’est pas très tendre actuellement avec l’action de tamarrada, elle la définit négativement : agir d’une manière tyrannique et injuste, dépasser les limites. Il faudrait réécouter Amal Dunqol dans Les dernières paroles de Spartacus pour comprendre que Le propre de Satan et des rebelles c’est de dire NON, qu’ils sont perdants dans cette bataille car ils finiront pendus.

Un pas de plus et nous voyons que marada, pluriel de mâred, est une catégorie de djinns d’une taille énorme et qu’ils n’ont rien à envier aux ogres, sorciers des djinns, ni à Satan en personne, comble de la désobéissance et de l’impiété. Al-marada désigne donc une armée de djinns, dissidente, qui forme un bataillon adverse et s’oppose à celle du pouvoir en place. L’expression consacrée par la langue arabe est al-khourouj ‘ala, sortir contre.

La référence religieuse prend tout son sens lorsque nous écoutons les critiques que les militants de tamarrod et les manifestants adressent à l’omniprésence des arguments et des références religieuses que Morsi et les Ikhwân surinvestissent dans leur discours politique.

L’indétermination du nom d’action tamarrod semble lui conférer le statut et la valeur d’un nom propre, comme insâf, îmân, ibtissâm ou encore îhâb, noms d’action largement utilisés comme prénoms et noms propres dans le monde arabe. Cette valeur ou ce statut le dotent d’une consistance, d’une existence bien réelle, comme acteur de la vie politique, efficace et agissant. Ce n’est pas son statut de nom d’action seul qui permet de le conjuguer en tamarradu, tamarrada ou en impératif tamarrad. Ainsi le mot ikhwân, qui n’est qu’un pluriel irrégulier de akh, a bien donné naissance au nom d’action dans akhwanat misr [la "frérisation de l'Egypte"] et aux deux verbes akhwana et ta’akhwana [(se) frériser]. On aurait tendance à croire que l’uniformisation politique voulue par les Ikhwân ne pouvait que susciter une scission dans les rangs de tous ceux qui ont voté pour Morsi, sous le signe d’un tamarrod qui n’en finissait pas de s’établir sur toutes les autres forces politiques en Egypte.

Tamarrod ne s’oppose pas simplement aux Ikhwân. C’est une sorte de sursaut contre la résignation et la soumission de tous les autres Egyptiens, les incitant ainsi à la rébellion et au refus du projet ikhwânî. En cela, c’est vrai, tamarrad peut être entendu ou identifié avec l’injonction « Indignez-vous ! ».

La pétition signée par des millions d’Egyptiens se voulait une « élection » spontanée qui annihilait et remplaçait les élections qui ont mené Morsi au pouvoir. Très souvent, on a entendu les Egyptiens, manifestants et journalistes, parler de la campagne de Tamarrod comme sunduq al-sha’b contre sunduq Morsi, « l’urne du peuple contre l’urne de Morsi ».

Sortir des rangs, s’en distinguer, se définir comme opposant et retirer sa confiance à celui qui a déçu. Il faut croire qu’après le succès du 25 janvier, la déception fut grande.

Pour les lecteurs arabophones (ou en passe de le devenir !), le poème d’Amal Donqol :


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