Najat Vallaud-Belkacem, 11 juillet 2013
Il y avait de quoi être surpris. Une ancienne ministre, plutôt chiraquienne que sarkozyste, livrait un constat des plus détestables sur ce qu'il conviendrait aux pères de France:
"Pensez-vous que le plus grand nombre sont les pères qui ont envie de changer des couches ?"Ailleurs, sur un autre média, le polémiste Eric Zemmour expliquait benoitement que "Tous les spécialistes de l'enfance vous disent que les enfants n'ont absolument pas besoin de leur père jusqu'à, au moins, l'âge de 6 ans, et qu'ils ont uniquement besoin de leur mère". Le polémiste réac et fier de l'être ajoutera la vulgarité qu'on attendait de lui: "Qu'elle se mêle de ses fesses !" déclara-t-il à propos de Najat Vallaud-Belkacem. Sa réaction, qui est aussi un délire et un vestige, n'avait rien de surprenant.
Pourquoi tant de bêtises, pourquoi tant de haine ?
En cause, un projet de loi sur l'Egalité Femmes/Hommes présenté le 3 juillet en Conseil des ministres, mais qui n'arrivera au Sénat que le 10 septembre prochain. La Sarkofrance a toujours cette capacité à fusiller de caricatures ou à mépriser la moindre des avancées qui bousculent l'évidente conservation des inégalités.
L'inégalité entre les femmes et les hommes ne méritait-elle pas une loi et un débat apaisé ? Visiblement non, pour certains. Les railleries misogynes en tous genres avaient accompagné l'installation de certaines des ministres au gouvernement l'an dernier. Le mariage pour tous a laissé des traces. Une droite marginale que d'aucuns qualifieront de bigote semble prête à surgir du bois contre la moindre avancée. Najat Vallaud-Belkacem est aussi une cible de choix. Porte-parole du gouvernement, elle a aussi pris plus que sa part lors de l'adoption du mariage pour tous. Les marinistes du Front national n'apprécient pas cette jeune ministre d'origine maghrébine.
Cette première attaque contre le projet de loi a porté sur la modification du congé parental, l'une des mesures jugées les plus emblématiques et pourtant la plus facultative ! La ministre veut en réserver une partie aux pères afin de corriger par la contrainte un biais du dispositif actuel: 97% des congés parentaux restent assurés par les mères. Dans le détail, le second parent aurait désormais droit à 6 mois qui s'ajouteront aux 6 mois de congés du premier parent (pour le premier enfant); 6 mois qui seront retranchés des 3 ans maximum actuellement accordées à compter du 2nd enfant.
Rappelons que le congé parental, outre qu'il est facultatif, peut être déjà fractionné (temps partiel, par exemple), qu'il n'est pas d'une durée figée de trois ans; qu'il s'arrête quoiqu'il arrive aux trois ans révolus de l'enfant; et qu'il est rémunéré, sous conditions, par un complément de libre choix d'activité (CLCA). Surtout, le choix de prendre ou de ne pas prendre ce congé objet de toutes les fixations pré-idéologiques de quelques-un(e)s à droite est d'abord contraint par des considérations bassement économiques: le manque de places d'accueil public de la petite enfance (crèche, centres de loisirs) et le coût des solutions alternatives encouragent le recours au congé parental; et c'est le conjoint le moins bien payé qui s'y colle.
"Un écart de rémunération de 27% sépare toujours aujourd'hui les hommes et les femmes, lesquelles constituent 80% des salariés à temps partiel."Pour compléter cette amélioration, le projet prévoit l'expérimentation d'un déblocage des sommes épargnées sur un compte épargne temps, via accord d’entreprise, pour financer des prestations de services à domicile (garde d’enfants, ...). Et, rappelons-le, il faudra davantage de places d'accueil des moins de 3 ans quoi qu'il arrive - 275.000 places supplémentaires avaient été annoncées en avril dernier.
Comme l'explique la ministre, il y a aussi et encore de fichues "résistances culturelles". La terrifiante réaction, à chaud, de Valérie Pécresse, en est une triste illustration.
Mais la loi vise plus large. La ministre a deux objectifs, elle les répète, les répètera encore: améliorer l'effectivité du dispositif législatif existant, et s'attaquer à quelques-unes des racines des inégalités femmes/hommes.
Seconde mesure qui plaît, le recours au CAF contre les impayés de pensions alimentaires. Dix d'entre elles seront sélectionner pour expérimenter un nouveau dispositif de garantie contre les impayés de pensions alimentaires. En cas d'impayé, les CAF verseront un pécule (trop) modeste (90 euros mensuels par un enfant, qui ont été portés à 120 euros par Hollande); mais agiront contre le conjoint défaillant: "la solidarité publique prendra le relais du parent défaillant, mais les services publics se retourneront vers lui en faisant valoir des moyens de recouvrement renforcés". Le soutien des CAF est essentiel, mais l'aide financière proposée est ridicule.
"40% des pensions alimentaires sont aujourd'hui payées de façon irrégulière. "Une mesure plus décisive, et si simple, est ainsi l'interdiction d'accès aux appels d'offre publics des grandes et moyennes entreprises ne respectant pas les règles d'égalité professionnelle. Il s'agit de "rendre la commande publique exemplaire", nous explique-t-on : "les entreprises de plus de 50 salariés ne pourront candidater à la commande publique que si elles sont en mesure d’attester qu’elles respectent leurs obligations légales en matière d’égalité professionnelle." C'est simple, et proportionné.
Dans la même veine, la loi imposerait de nouvelle contraintes paritaires dans quatre domaines: obligation de parité pour les fédérations sportives (dont plus d’un quart des licenciés sont de chaque sexe, une précision que la Fédération Française des Motards n'a visiblement pas noté avant de crier au loup); parité dans les candidatures aux chambres consulaires (2025 pour les chambres d'agriculture); fonctionnement paritaire dans toutes les commissions et instances consultatives et délibératives de l’Etat (y compris les collectivités locales); représentation équilibrée à tous les établissements publics (notamment culturels); taux de modulation doublée du financement des partis politiques ne respectant pas la parité aux élections législatives.
Le projet corrige des lacunes. Ainsi les collaboratrices et collaborateurs libéraux n'ont aujourd'hui aucune protection en cas de maternité: "une période de suspension de contrat et de protection est prévue dans le projet de loi pour sécuriser les parcours des collaboratrices et des collaborateurs qui souhaitent prendre leur congé de maternité ou leur congé de paternité et d’accueil de l’enfant". Il a aussi son volet sécuritaire, contre les violences faites aux femmes: la définition du harcèlement moral sera élargie aux « comportements et propos »; le dispositif d’ordonnance de protection contre les conjoints violents sera durci (durée maximale portée de 4 à 6 mois; éviction automatique du conjoint violent du domicile); le "téléphone Grand Danger" sera généralisé à tout le territoire en janvier prochain. Enfin, le projet prévoit la gratuité des titres de séjour pour les femmes étrangères victimes de violences conjugales. Qui prend les paris que certains oseront s'échauffer sur cette dernière mesure ?
"400.000 femmes victimes de violences conjugales depuis deux ans."
Le texte sera déposé le 10 septembre prochain au Sénat.
C'est une loi d'Egalité.
Lire aussi:
- Le dossier de presse (communication gouvernementale)
- Pécresse et les pères qui n'ont "pas envie de changer des couches" (TF1)