Le Parisien du 9 juillet 2013
Nicolas Sarkozy revient, ou pas. En fait il n'est pas parti. Son débarquement médiatique, un lundi ensoleillé de juillet à Paris, à une réunion politique de l'UMP, fut aussi outrancier que l'habituelle actualité.
Est-ce le retour de la Sarkofrance ?
Si on était riche...
Mercredi, c'est le pompon. Nanard est en direct sur iTélé. Les juges le suspecte d'être au centre de l'escroquerie qui a coûté quelques centaines de millions d'euros aux contribuables français. Ses biens ont été saisis depuis la fin juin mais on l'apprend que maintenant. Il empile les contre-vérités pour se défendre des méchants juges et de l'arbitraire français qui le poursuit dans l'affaire Tapie/Sarkozy: "Allez-y, j'ai la tête sur le billot, vous avez la hache, coupez !" On pleurerait presque. Pourtant, la justice ne lui a encore rien enlevé. On l'empêche juste de vendre et fuir. Après son interview, Bernard Tapie pouvait rentrer dans son hôtel particulier.
Jeudi, autre pompon. "Mosco" , notre ministre des finances, parle à des banquiers. La caricature est facile. Il l'incarne très bien. Il évoque ses réticences devant le projet européen de taxe sur les transactions financières. Attac explique clairement les enjeux. Mediapart caricature l'évènement. Evidemment, le buzz Hollande a déjà doublé la dite taxe en France. Il fallait une alerte précise et chirurgicale.
Ils sont 500, ils sont français, ils sont millionnaires, un quart de plus qu'en 2011. Le magazine Challenges a publié son traditionnel bilan. Il s'inquiète gravement, c'est même un avis de tempête, une année classée rouge par ce Bison futé des grandes fortunes: "grosse vague de départ dans le top 500 des plus grandes fortunes de France !" Sont-ils partis avec usines, salariés et autres actifs ? Non. Simplement leur honneur. Pour eux, où est la crise ? Nul ne le sait. "Jamais depuis 1996, année où Challenges a lancé son classement des "500", leur fortune globale n’avait atteint de tels sommets." N'imaginez pas que nos très riches ont leur fortune cachée quelque part en lingots et tableaux de maîtres. Ces clichés sont bons pour divertir quelques esprits simples. Non, ces fortunes sont pour l'essentiel des valorisations d'entreprises, en Bourse principalement.
La première de ses fortunes, Bernard Arnault, représente le double de la nouvelle tranche d'investissements d'avenir. Car le même jour de cette publication sensationnelle, notre premier ministre avait quelques plans pour l'avenir. Le Figaro raille la faiblesse de l'enveloppe, comparée aux précédents 35 milliards du Grand Emprunt sarkozyen. On pourrait le moquer à son tour. A peine 5 milliards de la cagnotte précédente ont été engagés. Des pans entiers telle la construction de logement universitaire ou la fibre optique ont été négligés.
Bref, Hollande a repris à son compte le jouet sarkozyste. Et l'a confié à son premier ministre. L'affichage politique présente bien. Quelques écolos sont enfin contents, puisque la moitié des investissements d'avenir seront "eco-responsables", et que la totalité des décisions seront "eco-conditionnées". Ayrault se démène parce que depuis le limogeage de Delphine Batho huit jours avant, la planète écolo est en ébullition. Elle cherche des preuves de l'amour Hollandais. Elle exige des révisions. Cette "eco-excitation" a quelque chose de triste. L'écologie politique, plus que d'autres, devrait avoir le temps long. Or voici quelques élu(e)s, pressées par des commentateurs permanents qui cherchent leur sujet de flash, qui réclament à leur tour des "signaux".
Finalement, le 6 juillet, le blog Sarkofrance a réouvert ses portes pour une saison 2. Nulle envie de traiter quotidiennement l'actualité sarkozyste. Elle serait déprimante d'ennui. Il y a d'autres motifs. Primo, Sarkozy n'est finalement jamais parti. On a d'abord cru à quelques réactions épidermiques de sa part, puis il est sorti du bois. Son bref aller/retour du weekend dernier, jusqu'à ce show télévisé au siège de l'UMP un lundi après-mi caniculaire, a été le coup de grâce à son hypocrisie initiale.
Secundo, la France politique, c'est-à-dire cet ensemble composé de dirigeants, militants, électeurs, sympathisants, et commentateurs, est restée incroyablement sarkofrançaise. Il serait injuste de faire porter la responsabilité d'une actualité ponctuée de couacs, de violences et d'impatience sur l'actuel gouvernant.
La Sarkofrance désigne cet état d'excitation permanente, pollué par des actes irréfléchis, un du débat, et des rages mal contenues.
Sarkozy toujours là
La semaine avait mal commencé. Lundi, on commente encore les propos ignominieux de Christian Estrosi, le maire de Nice, tenu la veille à la télé. Il expliquait sa technique de la chasse aux Roms. La nausée vient vite, on se souvient d'un pareil déballage médiatique un 30 juillet de 2010.
A gauche, on glapit vite: "Valls démission !" Le ministre de l'intérieur n'a rien dit. On peut lui reprocher de ne rien faire.
Nicolas Sarkozy fut la meilleure icône de cette dégradation. Plus que d'autres, il y a joué un rôle central. Il a accéléré le moisissement de la réflexion politique. Mais il est déjà parti ailleurs. Il revient, mais en pire. Deux journalistes du Monde ont osé une comparaison inévitable: Sarkozy est devenu Berlusconi, les soirées Bounga-Bounga en moins.
Il y avait le feu au lac. Défait en mai 2012, Sarkozy risquait la faillite personnelle un an plus tard. Malgré la multitude de conférences richement rémunérées par des banksters en tous genres, l'ancien monarque se voit refuser le droit à remboursement pour 11 millions d'euros de ses frais de campagne 2012 par le Conseil Constitutionnel. Heureusement, l'UMP, elle-même surendettée, est venue à son secours. Fidèle à ses pratiques, il a rameute ses proches pour fustiger publiquement la plus haute institution juridique du pays. Hortefeux, Guaino et quelques autres se succèdent sur les plateaux. Sarkozy annonce sur Facebook qu'il se rend au bureau politique de l'UMP du lundi. Un misérable "Sarkothon", déductible à 60% de vos impôts, est lancé. En quelques jours, l'UMP aurait récolté un peu plus de trois millions. Lundi, rue de Vaugirard à Paris, les journalistes se pressent. Agglutinés autour de l'ancien monarque comme des mouches, les caméramen se bousculent. Quelques dizaines de seniors scandent "Nicolas ! Nicolas!" en brandissant des panneaux anachroniques.
Avec ou sans son héros d'hier, la Sarkofrance est toute entière illustrée dans cette agitation paroxysmique.
Quatre jours plus tard, François Fillon, qui manqua de courage pour défier Sarkozy ce lundi-là, est en meeting électoral, avec 4 ans d'avance, à la Grande Motte. "François Fillon declares war on Nicolas Sarkozy" titre The Telegraph à Londres. Effectivement, l'ancien Premier Collaborateur, silencieux durant 5 ans, s'émancipe: "L'UMP ne peut vivre immobile, congelée, au garde à vous, dans l'attente d'un homme providentiel !" En quelques mots, Fillon remet une pièce dans le juke box de la division.
La Sarkofrance comprend cette droite écartelée entre la tentation mariniste, l'inventaire nécessaire du sarkozysme, et le réflexe séditieux qui conteste la défaite du 6 mai 2012.
S'en sortir avec les intellectuels ?
La gauche gouvernementale s'écharpe. Arnaud Montebourg se piège sur le gaz de schiste, lors d'une audition parlementaire. En fait, il répète sa conviction: un jour viendra où son extraction sera peut-être écologique. Et voici le buzz et l'anti-buzz lancés à grande vitesse. Philippe Martin, son nouveau collègue à l'Ecologie, riposte. Ayrault, alors en déplacement, est contraint de réagir. Il "recadre". Et l'on aurait même pu s'énerver sur les propos de Hollande de novembre dernier: "sur les autres techniques, je laisse les entreprises, les chercheurs travailler". Bref, on débat et se dispute sans fin, jusque dans les blogs et encore ailleurs, sur le fait de savoir si l'on est pour ou contre une exploitation d'un gaz dont on ignore tout en France, dans des conditions prétendument propres que personne aujourd'hui n'envisage. Ce combat-là viendra bien assez tôt.
La Sarkofrance est bien partout. Chacun se cherche tantôt des boucs-émissaires, tantôt des procès d'intention.
Frédéric Lordon et Emmanuel Todd en appellent aux intellectuels. Ces derniers, selon eux, devraient "parler au peuple". Les "Zintellectuels" sont des figures médiatiques balayées comme le reste du système. A force de leçons, souvent fausses, on ne les écoute plus. Ils ne se trompent pourtant pas davantage que les autres. Mais ils le font plus visiblement que les autres. Todd aimerait qu'ils s'unissent. C'est "l'urgence, pour la contestation", un "programme commun de sortie de l'impasse". L'économiste Lordon lance le sujet contre l'euro, "la réalisation régionale de la mondialisation libérale". Même Mélenchon n'ose s'aventurer sur ce terrain. Le débat, fort intéressant, se poursuit et s'envole dans les colonnes du journal Marianne. Les deux, si haut perchés, en oublient des choses toutes réelles comme l'oxygénation de notre classe politique: les députés de gauche et quelques centristes votent ce 9 juillet 2013, par 300 voix contre 228, la loi limitant le cumul des mandats des parlementaires. N'est-ce pas une avancée ? Si.
Ces intellectuels contestataires, si haut perchés soient-ils, n'ont que rarement droit au chapitre dans les médias de masse (Pardon Marianne!). On les entend peu. Ils se disputent encore souvent. Ils attaquent trop haut quand les préoccupations des Français et des autres sont concrètes: chômage, précarité, santé, éducation, pénibilité. Un fidèle commentateur de ces lignes notait il y a peu que l'élastique risquait de casser. Il rappelait l'incroyable et détestable progression du nombre de repas servis par les Restos du Coeur: 8,5 millions en 1985, 130 millions l'an dernier.
Effectivement, l'élastique peut craquer.