Le plafonnement des loyers a deux effets économiques dominants : la raréfaction des logements et la réduction de leur qualité.
Par Acrithène.
Au regard de la stupidité des lois, Cécile Duflot prépare une performance, qui même pour ce gouvernement, sort du lot : plafonner les loyers.L’idée est aussi vieille que la démagogie, et tant son ineptie logique que ses effets pervers concrets ont été démontrés et observés à maintes reprises. Déjà Adam Smith faisait justement remarquer que si les prix du blé étaient hauts, c’était que le blé manquait au regard de la demande, et qu’en réguler le prix à la baisse ne changeait rien à la quantité disponible du moment, mais réduisait certainement la quantité qui serait produite les années suivantes.
En 1992, une étude publiée par l’American Economic Review tentait de faire le point sur le degré de consensus au sein de la communauté des économistes (Alston et al, 1992). 1 350 économistes furent invités à s’exprimer sur 40 idées générales. La proposition suscitant le plus grand consensus était : « un plafonnement des loyers réduit la quantité et la qualité de l’offre de logements ». 76,3% répondaient « oui », 16,6% « oui, avec nuances » et seulement 6,5% « non ».
Cécile et l’hypothèse des gentils propriétaires
La ministre du logement propose que pour chaque quartier des grandes villes, et pour chaque catégorie de logement, les loyers ne puissent pas dépasser le loyer médian majoré de 20%.
Evidemment, quand on s’intéresse à un phénomène économique, la première question qui devrait venir à l’esprit est de savoir pourquoi il existe. D’après le ministère, les écarts de loyers existent parce que certains propriétaires sont vilains, et qu’ils demandent le loyer le plus cher qu’ils puissent obtenir sur le marché. Mais comme on s’intéresse aux écarts à la médiane, pour que cette hypothèse soit explicative de quoi que ce soit, il est aussi nécessaire que d’autres propriétaires soient gentils et généreux, et décident de pratiquer volontairement des loyers nettement plus faibles que leurs vilains homologues, alors même qu’ils trouveraient locataires facilement en exigeant des loyers méchamment plus élevés. S’il n’y a pas de gentils de cette nature, l’avarice des propriétaires ne peut expliquer les variations.
L’autre explication est que les différences de prix s’expliquent par des différences dans les biens. Est-ce vraiment impossible que les appartements loués plus cher à surface égale dans un même quartier soit qualitativement différents ?
Si on ne peut facturer plus cher, pourquoi se soucier de la qualité ?
Avec tant de ministres qui parlent d’innovation à tous les micros qu’on leur présente, il est étonnant que personne n’ait appris à Cécile Duflot pourquoi les offreurs améliorent la qualité des biens et services qu’ils offrent. Pour vendre plus cher que leurs concurrents ! Je sais, c’est très vilain comme motivation, mais grâce à cela, Cécile ne s’habille pas avec des peaux de bêtes.
Evidemment, s’ils ne peuvent répercuter totalement leurs investissements sur les loyers, les propriétaires réfléchiront davantage avant d’entamer la restauration de leurs biens, et les constructeurs seront orientés vers des projets à la qualité plus « moyenne ».
En visant les loyers élevés, on décourage la construction
Une des caractéristiques les plus importantes d’un bien immobilier, c’est sans doute son ancienneté. Et c’est aussi une des caractéristiques les plus explicatives des différences de prix. D’après le magazine Capital (source), à Paris, le prix du neuf est d’environ 50% supérieur à celui de l’ancien.
Il existe un relatif consensus pour associer le niveau des loyers à la rareté de l’offre immobilière. La meilleure solution pour réduire les loyers est donc de laisser le marché construire de nouveaux logements. Or, la caractéristique essentielle d’un nouveau logement est qu’il est neuf.
C’est à cette tautologie qu’on mesure toute la bêtise du projet de Mme Duflot. Le contrôle des prix a peu d’impact sur la quantité de logements s’il ne vise que l’ancien. Mais en visant spécifiquement les loyers supérieurs, le projet cible particulièrement les futures constructions. C’est comme s’il avait été taillé sur-mesure pour réduire l’offre immobilière.
Le contrôle des loyers déverse l’offre sur le marché des habitants propriétaires
Par ailleurs, pour les biens dont la nature justifie les écarts de loyers, la compétitivité de la location vis-à-vis de la revente sera nettement réduite. Concrètement, pour un bien qui se trouverait à 1,3 x la médiane, la baisse du loyer représentera une chute de 7,7 points de pourcentage du rendement de l’investissement. Un rendement inférieur à 7,7% deviendrait donc négatif dans cet exemple. En revanche, le prix à la vente devrait être faiblement impacté, car la valeur pour l’acheteur souhaitant être habitant ne changera pas. Il est donc prévisible que ces biens sortent en partie du marché de la location.
L’effet est bien entendu dynamique. Lorsque les biens à forte valeur quitteront le marché de location, le loyer médian sera mathématiquement réduit. De nouveaux biens se retrouveront alors au-dessus du plafond, quittant partiellement le marché locatif, rabaissant alors la médiane et ainsi de suite…
Quand la qualité se raréfie, la médiocrité s’apprécie
Au moins dans un premier temps, il est prévisible que le loyer moyen baisse. Cette baisse sera principalement liée à la baisse des hauts loyers.
Mais quel sera l’effet à plus long terme ?
Imaginons que demain le prix des Mercédès soit plafonné à 1,2x celui d’une Renault. Cette mesure est-elle susceptible de faire baisser le prix d’une Renault ? A offres de Renault et de Mercédès fixes, non.
Maintenant, suivant les raisonnements qui ont précédé, supposons que l’offre de Mercédès s’amenuise. Comme les Renault et les Mercédès sont des biens différents mais concurrents, il est logique que la demande se déverse sur les Renault, provoquant l’appréciation de leur prix.
Le marché immobilier de la location subira la même conséquence. Si le contrôle des logements chers n’a aucune raison de modifier l’offre de biens de moindre qualité, elle a toutes les raisons de raréfier l’offre à la location des logements supérieurs ou neufs. Cela déversera logiquement les demandeurs frustrés de biens supérieurs vers les logements à loyers moyens, provoquant ainsi la hausse de leurs loyers.
A long terme, les logements neufs de 2014 étant les anciens de 2034, même l’offre de logements à loyers moyens sera réduite.
Apprécier la médiocrité ministérielle
Un des phénomènes fascinants de nos démocraties, c’est à quel point les citoyens sont convaincus de l’incompétence de leurs dirigeants. On pourrait y voir une preuve de lucidité, mais cela me convainc au contraire de leur immense naïveté. En effet, conclure la stupidité d’un ministre des effets pervers de sa politique, c’est partir du postulat de son dévouement sincère à l’intérêt général.
Personnellement, j’ai du mal à croire que Cécile Duflot soit aussi bête que ses propositions de lois. Tout au contraire, je crois que les gens qui verront leurs loyers baisser suite à l’application de la loi n’auront aucun problème à identifier le gouvernement comme la source de leur bénéfice. En revanche, ceux qui en subiront les effets pervers, immenses mais diffus et relativement différés, lui feront peu de reproches.
Alors saluons plutôt l’intelligence de notre ministre pour ce coup de maître.
Source :
Alston, Richard M & Kearl, J R & Vaughan, Michael B, 1992. "Is There a Consensus among Economists in the 1990′s?," American Economic Review, American Economic Association, vol. 82(2), pages 203-09, May.
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