Nelson Mandela : « J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et
libre dans laquelle toutes les personnes vivraient en harmonie, avec des chances égales. C’est un idéal que j’espère voir se réaliser. Mais s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à
mourir. » (Pretoria le 20 avril 1964).
Depuis 2005, la République d’Afrique du Sud célèbre son
réconciliateur avec le "Mandela Day", le 18 juillet. L’ONU reconnaît aussi cette journée depuis le 10 novembre 2009, et encourage même chaque citoyen du monde à aider ses prochains pendant
soixante-sept minutes au cours de cette journée, en référence aux soixante-sept années de combat politique de Nelson Mandela (qui a perdu son fils Makgatho en 2005 emporté par le sida).
C’est en effet l’anniversaire de Nelson Mandela : « L’affirmation (…) selon laquelle les
vieillards sont davantage respectés pour leurs cheveux gris que pour ce qu’ils ont accompli, se vérifie de plus en plus. » (Abu Dhabi le 7 décembre 1998).
Il a 95 ans ce jeudi 18 juillet 2013 et cet anniversaire revêt une signification particulièrement émouvante
car depuis le 8 juin 2013, il est hospitalisé dans un état grave, ou plutôt "critique" mais "stable". Il est entre la vie et la mort même si, d’après les derniers témoignages, le vieux héros est
encore conscient (sa fille Zindzi a parlé ce 17 juillet 2013 de "progrès remarquables" pour de son état de santé). On peut d’ailleurs imaginer l’affliction de sa famille devant cette pression
médiatique autour de l’hôpital de Pretoria, qui pourrait s’apparenter à l’impatience des vautours.
Nelson Mandela est certainement la personnalité vivante qui aura le plus marqué le monde contemporain.
Résistant à l’oppression de l’apartheid, il n’a néanmoins ni cherché la vengeance, ni cherché son confort personnel (il aurait pu être libéré sous condition de renoncer à la lutte politique). Il
a cherché une solution admissible par tous, y compris par ses plus terribles adversaires, et c’est cela qui le distingue du commun des responsables politiques.
Partir à temps
Au-delà de cet aspect historique essentiel, il y a aussi l’aspect politique assez exceptionnel, l’âge aidant,
puisque Nelson Mandela a accepté de lui-même, comme un sage, d’abandonner le pouvoir alors qu’il était en mesure de le garder aussi longtemps qu’il l’aurait voulu, afin de préparer sérieusement
sa succession plusieurs années avant l’échéance.
Dès le 10 juillet 1996 à Londres, il déclarait en effet : « La vie continuera après ma Présidence. Non seulement elle continuera, mais vous constaterez des changements spectaculaires, et plus rapides que ceux que je
suis capable de mettre en œuvre à l’heure actuelle. ». Le 20 décembre 1997 à Mafikeng, il confirmait : « L’échéance de 1999 approche
[la fin de son mandat]. En tant que Président de la République, je vais déléguer de plus en plus, afin d’assurer une transition facile au nouveau Président. Ainsi j’aurai la chance dans mes
dernières années de gâter mes petits-enfants et d’aider de diverses façons les enfants d’Afrique du Sud, surtout ceux qui ont été les malheureuses victimes d’un système qui ne se souciait pas
d’eux. L’heure est venue pour moi de prendre mon congé. ». Il l’a répété aussi le 21 septembre 1998 à la cinquante-troisième Assemblée générale des Nations Unies à New York :
« J’arrive au bout de ma longue marche et il m’est accordé, comme ce devrait être le cas pour tous les hommes et les femmes, de me retirer pour me
reposer dans la tranquillité du village de mon enfance. ». Enfin, le 26 mars 1999 au Cap : « Je vais me ranger parmi les vieillards de
notre société ; parmi les habitants des zones rurales ; parmi les hommes inquiets pour les enfants et les jeunes de ce pays (…). ».
Pour une démocratie sincère
La sagesse politique n’était pas seulement de partir à temps. C’était aussi de ne pas s’octroyer trop de
pouvoirs et de laisser le libre jeu institutionnel des contre-pouvoirs : « Je me souviens que l’un des premiers jugements rendus par la Cour
constitutionnelle concernait une question dans laquelle j’étais impliqué en tant que Président du pays, et le président de la Cour constitutionnelle, sans tenir compte du fait qu’il était
autrefois mon avocat, conclut en ma défaveur. Il fut clair pour moi que l’Afrique du Sud était entre de bonnes mains, avec cette cour opérant au sommet de notre démocratie. »
(Johannesburg le 19 mars 2004).
Il présentait cette nécessité de contre-pouvoirs ainsi : « Dès le début, nous étions conscients que l’obligation de rendre des comptes est cruciale en démocratie. Nous avions appris d’expérience les dangers qui
peuvent découler d’un gouvernement sans transparence ni obligation de rendre des comptes. C’est pourquoi notre Constitution contient plusieurs mécanismes destinés à garantir que le gouvernement
ne soit plus le problème, mais la solution. » (Pretoria le 26 août 1996).
Car ce qui a toujours motivé Nelson Mandela, c’était la démocratie : « À titre personnel, j’appartiens à une génération de leaders pour qui l’avènement de la démocratie était le but ultime. » (Le Cap le 26 mars
1999) ; et c’était aussi la lutte contre l’oppression : « Si je devais recommencer ma vie, je ne changerais rien. Tant que notre peuple
était opprimé et privé de tout ce qui permet aux êtres humains de jouir de la vie, il était de mon devoir de m’engager et je referais tout de la même façon. » ("The Living Legend",
2003).
Un modèle, un exemple
Nelson Mandela devrait donc être un modèle à tous ceux qui luttent et un exemple à tous les responsables
politiques. En plus de cela, de son courage, de sa persévérance, il a su, au fil de sa vie, devenir modeste, relativiser sa part et amplifier celle de ceux qui l’ont aidé, celle du peuple
sud-africain. Le principe général était de ne pas oublier, de connaître la vérité, mais de pardonner, de se réconcilier. C’était aussi ce qui a initié l’amitié franco-allemande après la guerre. Difficile, courageux mais l’Afrique du Sud a montré que ce n’était pas impossible.
Je pense évidemment au conflit israélo-palestinien pris en otage par les ultras des deux camps, encouragés
par des populations elles-mêmes provoquées par la démagogie et le populisme. Pourtant, l’attribution du prix Nobel de la paix était proche : en 1993, Nelson Mandela et Frederik De Klerk
(Nelson Mandela avait absolument tenu à y associer son partenaire/adversaire) et en 1994, Yasser Arafat, Yitzhak Rabin et Shimon Peres pour les accords d’Oslo. Hélas, les accords d’Oslo ont volé en éclat très rapidement, d’abord à cause d’un raidissement
de la position de Yasser Arafat puis à cause de l’arrivée au pouvoir de Benyamin Netanyahou.
Réconciliation
Éviter la vengeance alors que ce sentiment est si naturel, c’est ce que Nelson Mandela expliquait très
magistralement le 2 juillet 1990 à Dublin devant les parlementaires irlandais (donc, juste après sa libération et avant la fin de l’apartheid) : « Nous aurions pu barrer nos drapeaux du mot "vengeance" et décider de répondre à la brutalité par la brutalité. Mais nous comprenions que l’oppression
déshumanise l’oppresseur autant qu’elle fait souffrir l’opprimé. Nous comprenions qu’imiter la barbarie du tyran nous transformerait en sauvages, nous aussi. Nous savions que nous souillerions
notre cause, que nous l’avilirions, si nous empruntions à l’oppresseur ses méthodes. Il nous fallait refuser que notre long sacrifice nous fasse un cœur de pierre. ».
Dans sa prison de Robben Island, il l’exprimait déjà très clairement : « J’aimerais vous combattre sur le plan des principes et des idées, sans haine personnelle, de sorte qu’à la fin de la bataille, et quelle qu’en soit l’issue,
je puisse vous serrer la main avec fierté, parce que j’aurais le sentiment d’avoir eu affaire à un adversaire digne et droit, qui a observé un code d’honneur et de décence
élémentaire. » (12 juillet 1976).
Nelson Mandela a inlassablement prôné la réconciliation et le pardon : « Ne nous attardons pas sur les querelles de clocher concernant notre passé. Qu’il nous inspire plutôt les contributions intellectuelles et culturelles à la
représentation et à la compréhension de notre humanité commune, qui peut faire de cette planète un monde meilleur pour tous. » (Le Cap en juillet 2002).
Cela ne l’empêchait pas de vouloir préserver le souvenir : « Certains considèrent qu’il vaut mieux oublier le passé. Certains nous critiquent quand nous disons que nous pardonnons, mais que nous n’oublions pas. Ils ne
sont pas d’accord sur le fait que les auteurs de violations des droits de l’homme doivent d’abord révéler et faire connaître celles-ci avant qu’on leur accorde l’amnistie. (…) Les Sud-Africains
de la rue sont déterminés à ce que le passé soit révélé, afin qu’il ne se répète pas. S’ils exigent cela, ce n’est pas par esprit de vengeance, mais pour que nous entrions ensemble dans l’avenir.
La question pour notre nation n’est pas de savoir si le passé doit être révélé, mais de faire en sorte qu’il le soit de façon à promouvoir la réconciliation et la paix. » (Le Cap le 13
février 1996). Car pour lui, il ne peut pas y avoir de pardon sans souvenir : « Nous nous souvenons de notre terrible passé afin de pouvoir y
faire face, de pardonner quand le pardon est nécessaire, de nous assurer que jamais plus une telle inhumanité ne nous déchirera et de nous pousser à éradiquer un héritage qui rôde dangereusement
autour de notre démocratie. » (Le Cap le 25 février 1999).
Le 18 septembre 1994 à Mthatha, il a eu cette formule qui pourrait résumer avec concision son état
d’esprit : « Nous devons pardonner le passé et, dans le même temps, restaurer la dignité des victimes, entendre leur détresse. ».
Responsabilité individuelle
L’un des traits marquants de la pensée de Nelson Mandela, c’est aussi qu’elle fait la part du collectif et de
l’individuel.
Bien sûr que son combat était collectif, la preuve, c’est qu’il a préféré rester en prison tant que le
problème de l’apartheid était posé, indépendamment de sa vie personnelle, mais il n’a jamais non plus rejeté le principe de la responsabilité individuelle : « Nous ne pouvons ni guérir ni construire si, d’un côté, les riches de notre société ne voient les pauvres que comme des hordes importunes, et de l’autre, les
pauvres s’avachissent et attendent la charité. Nous devons tous prendre nos responsabilités pour améliorer nos conditions de vie, et avoir pour volonté de donner le meilleur de nous-mêmes, pour
le bénéfice de tous. » (Le Cap le 9 février 1995), règle qu’il s’appliquait bien sûr à lui-même : « J’avais l’intention d’aider à
corriger les erreurs de l’Afrique du Sud mais j’avais oublié que la première chose à faire était de dépasser les faiblesses du Sud-Africain que je connaissais le mieux : moi. »
(Prison de Robben Island en 1975).
Dans les années 1980, il aurait pu négocier sa libération en échange de la discrétion mais il l’avait refusé
car il se serait senti traître par rapport à ceux qu’il avait défendus et voulait encore protéger : « Nous n’accepterons en aucune circonstance
d’être libérés et confinés dans le Transkei ou n’importe quel autre bantoustan. Vous savez fort bien que nous avons passé la dernière partie de notre vie en prison justement parce que nous sommes
opposés à l’idée même d’un développement séparé, qui fait de nous des étrangers dans notre propre pays et a permis au gouvernement de perpétuer l’oppression jusqu’à ce jour. » (Prison
de Pollsmoor le 27 décembre 1984). Il le répétait à Piete Botha (le Président sud-africain de l’époque) : « Aucun être humain qui se respecte ne
s’abaisserait, ne s’humilierait à accepter des obligations de cette nature. Vous ne devriez pas poursuivre notre emprisonnement en vous appuyant sur l’expédient de conditions qui, vous le savez,
sont inacceptables pour nous. » (Prison de Pollsmoor le 13 février 1985).
Entre vos mains…
Pour conclure ce recueil de quelques citations tirées essentiellement du livre "Pensées pour moi-même" de
Nelson Mandela (éd. de la Martinière, 2011), voici ce que déclarait Nelson Mandela le 11 février 1990, au Cap, quelques heures après sa libération de prison où il passa près vingt-sept années de
sa vie (arrêté le 12 juillet 1963) : « Mes amis, mes camarades, mes compatriotes sud-africains, je vous salue au nom de la paix, de la
démocratie et de la liberté pour tous ! Je me présente devant vous non comme un prophète mais comme un humble serviteur du peuple. Vos efforts inlassables et héroïques ont rendu possible ma
présence ici aujourd’hui. Je place donc les dernières années de ma vie entre vos mains. ».
Nelson Mandela n’est certes pas un prophète, mais il est un héros à la stature morale et politique
exceptionnelle. Et c’est cela qui lui donne toute sa richesse à avoir fait avancer les libertés, la paix et la démocratie de ce monde.
Happy Birthday to You, Madiba !
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (18 juillet
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Prix Nobel de la
Paix.
Pardonner, ce
n’est pas facile.
L’Afrique du Sud de Nelson Mandela.
L’Afrique du Sud de Thabo Mbeki.
L’Afrique du Sud de Jacob Zuma.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/the-mandela-day-138761