On n'osera pas accuser Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur,
d'avoir signé de telles consignes. Pas ici, pas dans ses colonnes.
Les
reproches, critiques et accusations doivent rester suffisamment
précises pour qu'on laisse à d'autres le plaisir de la caricature.
Mais ces consignes écrites existent. Le journal La Croix les a révélées, mardi 16 juillet.
Quelques
fonctionnaires de la Préfectorale ont enjoint les centres d'hébergement
d'urgence de refuser les sans-papiers, une pratique initiée sous
Nicolas Sarkozy. En cas de désobéissance, la sanction est déjà tombée
chez certains, une suppression des subventions.
C'est odieux, mais il faut être précis.
1. L'hébergement d'urgence, géré par des associations, comprend 77.000 places, il est largement saturé.
Il l'est d'autant plus que celui dédié aux sans-papiers déboutés du
droit d'asile est également saturé: on ne compte que 21.000 places en
centres d’accueil pour les demandeurs d’asile pour 60.000 demandes par
an... Pour être précis, Florent Gueguen, directeur général de la FNARS
rappelle que “qu’un demandeur d’asile ne doit pas rester en Cada(*)
lorsqu’il a épuisé ses recours pour obtenir la protection de la France,
mais l’État doit prévoir des solutions pour gérer cette sortie du
dispositif vers l’hébergement généraliste, avec un accompagnement.“ Le journal La Croix mentionne le cas de la Gironde: “Dans
ce département, le 115 a géré 50 676 nuitées en hébergement d’urgence
durant le seul premier semestre 2013, soit deux fois plus que sur
l’ensemble de l’année 2012“.
L'été venu, les remises à la rue de centaines de SDF inquiètent. Fin juin, avant la récente polémique, Florent Gueguen s'inquiétait: “Si
à Paris les choses globalement s'améliorent, en Rhône-Alpes, un millier
de places ont fermé, en Isère 500 places seront fermées d'ici quelques
semaines, en Gironde 150 personnes sont rejetées du 115 tous les soirs“.
Ainsi en Isère, l'hébergement d'urgence 'traditionnel' est à ce point défaillant qu'environ 600 familles ont été expulsées de leur logement fin juin. “La hausse des personnes sans domicile fixe est notamment due aux manques de places d’accueil pour les demandeurs d’asile“ expliquait Politis début juillet. En PACA, Louis Gallois s'est indigné de la vétusté d'un centre qu'il visitait le 5 juillet dernier.
2. L'hébergement d'urgence est un droit. La Croix, lundi 15 juillet, rappelait le code de l’action sociale et familiale: “toute
personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et
sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence“.
En janvier 2013, le gouvernement avait confirmé sa volonté de s'y
conformer. Il avait aussi promis 4.000 places supplémentaires en Cada
(*).
3. Certains centres d'hébergement ont reçu des consignes écrites de refuser des SDF immigrés et sans-papier. “Plusieurs
instructions écrites de préfectures, auxquelles « La Croix » a eu
accès, demandent au 115 de ne plus mettre à l’abri les étrangers en
situation irrégulière.“
En fait, cela ressemble au rappel des consignes pour les établissements surchargés. La Croix cite un courriel envoyé le 13 janvier 2013 par la Préfecture de Gironde aux associations gérant de l'hébergement d'urgence : "Sont
exclues d’une orientation vers l’insertion, les personnes (…) sans
titre, titulaires d’un titre inférieur à un an ou d’un simple récépissé
de demande de titre et les travailleurs migrants saisonniers sans emploi
et sans ressources pouvant prétendre à des aides dans un autre État de
l’UE." La Croix
mentionne aussi un second cas de figure, celui des associations gérant
des Cada, qui refusent de mettre à la porte les déboutés du droit
d'asile. Et de citer un courrier officiel du préfet de Maine-et-Loire,
François Burdeyon, du 22 avril 2013, qui écrit: "Je vous demande de
me saisir (…) lorsque vous êtes embarrassés par des situations précises
de personnes déboutées dont l’OQTF (NDLR : obligation de quitter le
territoire) a été notifiée et qui se maintiennent dans les dispositifs
d’hébergement que vous gérez avec les dotations versées par l’Etat.
(...) Dans le cas contraire, je me verrai contraint de diminuer les
subventions des opérateurs." Interrogé par la Croix, le préfet explique: "il
n’y a pas lieu de proposer une place dans une structure de réinsertion
sociale à des personnes qui ont vocation à quitter le territoire".
4. Certaines associations ont perdu leur subvention parce qu'elles refusaient d'appliquer ces consignes. Pourquoi ajouter la honte à la difficulté ? Le directeur général de la FNARS est plus général: “l'Etat
nous demande de les mettre dehors un mois après le rejet de leur
dossier. Si nous les gardons, nous avons une sanction financière car on
ne nous paye plus les nuités.“ La Croix cite quelques cas d'associations ayant ainsi perdu leur subventions préfectorales.
5. S'agit-il d'une politique coordonnée ? Rien n'est moins sûr. Même les associations en doutent. "Je
ne crois pas que l’État ait une volonté particulière de discriminer tel
ou tel type de population, mais force est de constater que la gestion
de la pénurie de places se fait toujours au détriment des étrangers"
commente Florent Gueguen, directeur général de la FNARS. Il ajoute:
“Certaines préfectures leur demandent de donner le nom et le statut
administratif des personnes accueillies.“
Mardi soir, le Monde relayait un début de réponse officielle: "au
ministère de l'intérieur et au ministère du logement, on admet
l'existence d'une situation très 'tendue' mais on dément l'existence de
'consignes'." Le cabinet de Cécile Duflot complète: "si le
principe de l'inconditionnalité se trouve écorné dans certains endroits,
on se mettra en contact avec les services de l'Etat."
(*) centre d’accueil pour les demandeurs d’asile (Cada); 21.000 places recensées pour environ 60.000 places.