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En route pour l’inquisition fiscale ?

Publié le 23 juillet 2013 par Copeau @Contrepoints

Outre des techniques spéciales d’enquête, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale contient une nouvelle définition de l’abus de droit, porte ouverte à l’arbitraire.

Par Florent Belon.

En route pour l’inquisition fiscale ?

Le projet de loi « relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière » comporte de nombreuses mesures élargissant les moyens à disposition de l’administration fiscale. En cela ce projet de loi n’est pas novateur, car toutes les lois de finances en comportent depuis ces dernières années. Mais ce projet de loi rompt un certain équilibre par l’ampleur et la nature de ses dispositions. Elles sont, pour certaines, disproportionnées et ont pour conséquences, pour d’autres, de déplacer ou du moins d’atténuer la frontière entre l’optimisation, qui relève de la connaissance et du maniement habile de règles imposées au contribuable par le législateur, et la fraude fiscale qui est le non respect des règles.

Des techniques spéciales d’enquête et des preuves illicites

Il est ainsi prévu le recours à des « techniques spéciales d’enquêtes » que sont la surveillance, l’infiltration, la garde à vue de quatre jours, les interceptions de correspondances téléphoniques au stade de l’enquête, les sonorisations et fixations d’images de certains lieux et véhicules, les captations des données informatiques… et la possibilité pour l’administration fiscale de recourir à tout mode de preuves, y compris illicites (on pense à des listes volées notamment).

Plusieurs articles ont dénoncé ces éléments :

Le conseil fiscal auxiliaire de l’administration ?

Un amendement (communiste), n°46, prévoyait l’obligation pour les professionnels du conseil fiscal de communiquer à l’administration le contenu de leurs préconisations… Cet amendement ne fut pas adopté. Mais l’idée pourrait ressurgir !

Une nouvelle définition de l’abus de droit : porte ouverte à l’arbitraire et à la rétroactivité

Connaissez-vous Sacré graal des Monty Python ? C’est un film dont de nombreuses scènes sont d’une hilarité absolue, mais malheureusement, malgré toute l’excentricité du film, la réalité les pastiche parfois. La nouvelle définition de l’abus de droit risque d’aboutir à des situations dignes de celle du jugement de la sorcière .

L’abus de droit ou la fraude à la loi sont des notions générales du droit. Elles ont pour but d’éviter que l’on puisse utiliser des dispositions dans un esprit contraire à leur esprit dans l’unique but de nuire aux intérêts d’autrui. On peut relever l’application de ces concepts en matière de droit de propriété (arrêt du 03 août 1915 de la Cour de Cassation dit Clément-Bayard où un propriétaire ayant érigé des installations inutiles pour son usage dans le seul but de détruire le dirigeable du voisin fut condamné), ou encore de droit des sociétés avec l’abus de majorité ou de minorité.

Mais ces notions sont apparues en droit administratif. Le régime de Vichy, comme souvent en matière de dispositions étatistes, a instauré un dispositif permettant de réprimer ces abus de droit en matière fiscale (loi du 13 janvier 1941). Depuis fin 2007, l’abus de droit a également été introduit pour sanctionner les opérations abusives réalisées en vue d’atténuer les cotisations sociales (Article L243-7-2  du Code de la sécurité sociale).

– L’abus de droit fiscal est codifié à l’article L.64 du Livre des procédures fiscales.

La rédaction actuelle vise :

  • soit les actes fictifs (vente dissimulant une donation par absence de paiement du prix ou par prix dérisoire…)
  • soit les actes qui, « recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, […] n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. »

Une notion d’exclusivité du but fiscal est ainsi retenue. Si le contribuable peut démontrer une intention sincère et réelle autre que fiscale (économique, juridique…), l’abus de droit fiscal doit alors être écarté. En revanche, si les opérations n’ont pas d’intérêt en soi, si elles sont dénuées de substance et donc artificielles, le caractère abusif peut ainsi être retenu.

Malgré cette définition claire, il est parfois délicat de prendre position. L’appréciation du caractère abusif doit s’apprécier dans la situation exacte et particulière du contribuable. Une même opération avec des contribuables d’un âge différent, dans une situation familiale différente, ou dans une situation financière ou professionnelle différente pourra être dans une situation jugée comme abusive ou non. La modification de la définition de l’abus de droit introduite par le projet de loi risque de beaucoup relativiser ces difficultés actuelles !

– Le Président UMP de la Commission des Finances au Sénat, Philippe Marini, fin connaisseur de la fiscalité et souvent jusqu’alors gardien d’un certain équilibre fiscal, a introduit une modification majeure de la définition de l’abus de droit fiscal. Son amendement, n°141, à ce jour adopté pour l’essentiel dans le projet de loi (numérotation provisoire de l’article au 11 bis DA), remplace la notion de « but exclusivement fiscal » par celle de « but essentiellement fiscal ».

– Cette question avait été traitée par Olivier Fouquet dans son rapport à propos de la sécurité juridique en matière fiscale de juin 2008, qui avait inspiré la définition actuelle de l’abus de droit fiscal, en page 47. L’extrait suivant résume bien tout ce que l’on peut craindre d’une telle modification : « La substitution de la notion de but exclusif par celui de but essentiel conduirait, même limitée à la seule matière TVA, à d’importantes difficultés en termes de gestion de la procédure : il est, en effet, délicat de chercher à pondérer l’importance relative des différents motifs qui ont pu présider à une opération quand il est bien plus objectif de rechercher l’existence d’un motif non fiscal pour exclure l’abus de droit. Le Conseil d’État risquerait de n’être plus en mesure d’assurer l’application uniforme du concept d’abus de droit en laissant aux juges du fond une marge d’appréciation souveraine sur le caractère « essentiel » du but fiscal poursuivi. Au regard de la sécurité juridique, il s’agirait d’une régression importante et coûteuse en termes d’image pour notre pays. »

En effet, comment mesurer des buts juridiques (contrôle d’une société, transmission familiale…) pour affirmer qu’ils sont prépondérants aux buts fiscaux, eux quantifiables en euros, afin d’écarter une requalification fiscale accompagnée de sanction pouvant aller jusqu’à des pénalités de 80% du montant de l’impôt évité ?

L’exposé des motifs de l’amendement vise l’optimisation des grandes entreprises, et en particulier les opérations internationales. Mais les dispositions proposées ne se limitent en rien aux opérations internationales des grandes entreprises ! Par conséquent cette définition s’appliquerait à l’ensemble des opérations ayant une incidence fiscale favorable aux PME, ou aux particuliers dans le cadre de la gestion de leur patrimoine.

Cette disposition aurait une portée économiquement rétroactive bien que non rétroactive dans la forme. En effet, le texte prévoit une entrée en vigueur des « propositions de rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2014 » soit dans le délai de reprise des impositions concernées. Par conséquent, des actes réalisés avant le 1er janvier 2014, et notamment avant le vote de cette disposition, dont la décision a été prise au regard de la définition actuelle de l’abus de droit, risquent d’être requalifiés selon la nouvelle définition.

Mis à part les effets de communication insignifiants au sujet de la compétitivité ou de la simplification, pour lesquels aucune mesure digne de ce nom n’est prise, la route vers la servitude se prolonge et son rythme devient celui d’une autoroute.

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