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La bonne année du Prince Bandar

Publié le 26 juillet 2013 par Jcharmelot

Il y a un an, le roi Abdallah d’Arabie saoudite nommait à la tête des services secrets du royaume, le prince Bandar ben Sultan. A l’époque, cette nomination avait créé une curiosité légitime (même si elle fût limitée). Depuis –comme de coutume dans ce milieu–, peu de choses ont filtré de l’action du prince. Mais il n’est pas interdit, vu son expérience, son influence, et son ambition, de lui attribuer du crédit dans les changements importants en cours dans la région, et pour le petit air de restauration, à la française, qui s’y respire après la saison des « Révolutions » et des « Printemps ».

Au moment de sa nomination, le prince Bandar, 64 ans, était déjà très influent auprès du souverain saoudien vieillissant. Il était, et il est demeuré, son conseiller à la sécurité nationale, une fonction créée pour lui en 2005. Son père, Sultan, était alors prince héritier et successeur désigné du roi, jusqu’à sa mort en 2011. Bandar est le neveu de l’actuel prince héritier, Salman, également ministre de la Défense. Et il fait partie du clan des Soudairi, du nom d’une des épouses d’Ibn Saoud, fondateur du royaume. Elle fut la seule à lui donner sept fils, qui ont joué et continuent de jouer un rôle fondamental dans les affaires du pays.

Le prince Bandar est connu pour être un opérateur influent dans une région que le pétrole, la religion et les armes, ont transformé en El Dorado et en poudrière. Et surtout pour avoir une relation  privilégiée unique avec la nation qui depuis la fin des années 50 joue les gendarmes dans le Golfe et au Levant : les Etats-Unis. Bandar a été pendant plus de 22 ans ambassadeur d’Arabie Saoudite à Washington, jusqu’en 2005. Il a servi sous cinq présidents. Il avait des liens si étroits avec George W. Bush qu’il laissait écrire dans la presse américaine qu’il faisait partie de « la famille » du président. Mais ses relations avec le pouvoir américain n’étaient pas seulement d’amitié : il a activement participé au soutien par les Etats-Unis des moudjahidines anti-soviétiques en Afghanistan, y compris les émules d’Oussama ben Laden ; il a organisé un lobby très efficace auprès de la Maison Blanche et du Congrès pour obtenir des armes très sophistiquées pour son pays, en empochant au passage de phénoménales commissions ; il a été au cœur de la campagne de réhabilitation de la monarchie saoudienne, lorsqu’elle a été la cible des attaques de la presse américaine qui a révélé que 15 des 19 kamikazes du 11 septembre 2001 étaient saoudiens ; par la suite, il a fortement appuyé et justifié l’intervention des Etats-Unis contre Saddam Hussein. Sa proximité avec les cercles du pouvoir aux Etats-Unis est telle qu’il a été qualifié par le quotidien israélien Haaretz, d’homme de la CIA.

En le désignant comme No 1 de la Saudi Intelligence Agency, Abdallah, 89 ans, a donc opté pour une forme traditionnelle du contrôle des tensions régionales, que ce soit en Syrie, en Egypte ou sur le dossier iranien. Une école de pensée qui privilégie la discrétion et la prudence, sur une gestion intempestive, désordonnée, et médiatisée, des crises.

Durant ses douze premiers mois « aux manettes », le prince Bandar a dû être inspiré par deux considérations essentielles. D’abord, sa très grande méfiance à l’égard des Frères Musulmans, dont il craint l’influence. Il redoute que l’islamisme de la Confrérie, à la fois radical et social, ne se retourne contre la monarchie saoudienne. Les maîtres de Riyad se disent bien les gardiens de la Mecque et de l’orthodoxie de l’Islam, (et ils sont certes inspirée par une autre forme de fondamentalisme, le wahhabisme), mais dans la réalité, les princes du désert enrichis par le boom pétrolier on depuis longtemps perdu leur idéal bédouin pour se laisser entrainer vers les excès, voir les perversions, d’une fortune trop vite acquise. En outre, l’épisode de l’Afghanistan a servi de leçon à Bandar. Il sait le péril que des groupes de combattants financés par les Saoudiens, armés par les Américains, peuvent présenter lorsqu’ils se cherchent un nouvel ennemi. Bandar a assuré dans un entretien télévisé qu’il n’a jamais eu beaucoup d’estime pour l’intelligence d’Oussama ben Laden, mais les dégâts provoqués par Al Qaïda sont la preuve qu’une organisation clandestine laissée à elle-même peut prendre des initiatives désastreuses.

Les développements récents ont donc été, sans doute, une source de satisfaction pour le prince Bandar.

En Egypte, les Frères Musulmans ont échoué dans leur tentative de gestion du pouvoir, et de ses contraintes. Ils ont été délogés par l’armée, et ont retrouvé leur rôle d’opposition influente, voire violente, et suffisamment puissante pour devoir être écoutée. Le bras de fer entre les militaires et les Frères est dans la nature des choses dans une Egypte terriblement pauvre, extrêmement traditionnelle, et dont les aspirations ne doivent pas être résumées aux envies d’une minorité urbaine et éduquée à se faire entendre sur Facebook ou Twitter. La cogestion entre les kakis et les barbus est un impératif, même si elle s’avère difficile. Pour bien montrer son soutien au général al Sissi  –casquette plate et insondables lunettes noires–, Ryad a mobilisé dans la foulée du coup d’état 12 milliards de dollars, avec l’aide des Emirats et du Kuweit, pour donner un bol d’air à l’économie égyptienne.

En Syrie, la progression des groupes islamiques incontrôlés a été stoppée. Et pour l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, il s’agit d’un résultat satisfaisant. Bien sûr, ce que la presse arabe appelait au printemps 2013 le plan « B », c’est-à-dire le plan « Bandar », le remplacement de Bachar al Assad dans un laps de temps raisonnable par un régime acceptable pour Ryad et Washington, ne s’est pas produit. Au contraire, un équilibre semble se dessiner sur le terrain entre les forces loyales à Bachar, et une rébellion très dispersée. Cette réalité a été prise en compte de façon pragmatique par les protagonistes dans la région, et la perspective d’une Syrie divisée et affaiblie semble générer moins d’inquiétude qu’une Syrie démantelée et sans Assad. D’une manière oblique, le Pentagone a répété dans un récent rapport au Congrès qu’il n’y avait pas de solution militaire au conflit. Les stratèges du DOD ont détaillé les coûts, les difficultés et les risques, d’une intervention américaine même limitée. Et en la présentant de cette manière négative, ils ont rendu un forcing du Congrès quasi impossible, au moment où la Maison Blanche se refuse absolument à s’engager dans une telle aventure. Ceux-là mêmes qui naguère annonçaient la fin de Bachar en un rien de temps, assurent aujourd’hui qu’il sera encore au pouvoir dans un an. En 2014, année d’élections en Syrie, que beaucoup voit comme une éventuelle solution de sortie de crise.

Aujourd’hui, pour les Etats-Unis, comme pour Bandar et le pouvoir saoudien en général, la victoire d’une opposition considérée comme contrôlable est difficilement envisageable. Cette hypothèse se heurte à toute une série d’obstacles, dont la réalité s’est finalement imposée. A commencer par la détermination des Etats-Unis à ne pas s’engager dans une nouvelle aventure militaire au Moyen-Orient, où depuis près de 60 ans (Liban, 1958) leurs interventions ont rarement été couronnées de succès. Ensuite, en dépit des engouements parisiens pour les uns et les autres, les opposants syriens qui ont portes ouvertes à Ryad comme le chrétien Michel Kilo ou le déserteur de luxe Manaf Tlass sont loin d’avoir le physique, ou le mental, du rôle pour se placer à la tête d’un pays en miettes. Par contre, les combattants fondamentalistes endurcis en Irak, et qui passent sans contrôle la frontière entre les deux pays présentent un réel danger, et menacent bien plus que la survie politique de Bachar al Assad.

Finalement, après plus de deux ans d’efforts inutiles pour déloger Bachar, l’ambitieux Bandar doit faire ses comptes, tout comme ses amis de Washington. L’élimination de l’héritier Assad ne s’est pas produite avec la célérité promise au début de la rébellion par les pays qui étaient alors en première ligne comme le Qatar, la France, ou la Turquie. Il faut donc le conserver dans une équation moyen-orientale qui se complique. Et Bandar n’est pas contre et n’a pas de haine personnelle contre Bachar : en 2000, il fut l’un de ses plus ardents supporteurs lorsque la vielle garde de Damas le considérait trop juvénile pour remplacer son père ; en 2005, il fut aussi le premier officiel saoudien à rendre visite à Bachar après l’assassinat en février du premier ministre libanais Rafic Hariri, homme lige de Riyad, dont Damas étai alors soupçonné.

Ce gel du front syrien, le « stalemate » comme disent les Américains, va créer un espace dans lequel les Saoudiens, avec leur arme préférée : l’argent, ont les meilleures chances de réussite. La remise à sa place du Qatar ne peut que faciliter le travail. Le petit émirat a eu les yeux plus gros que le ventre, et s’était lancé dans une stratégie tous azimuts qu’il n’a pas su contrôler. L’émir, Cheikh Hamad, a dû laisser la place à son fils, qui prêtera une oreille plus attentive aux conseils de ses ainées et de son grand voisin. Et il aura des ambitions plus modestes. Dans un article révélateur, le New York Times reprenait récemment un thème souvent abordé avant que le Qatar ne devienne, pour la presse internationale, l’inspirateur et le financier de la modernisation politique du monde arabe. « Qui est donc cet amateur d’art, aux poches si pleines ? », s’interrogeait le journal. « Le Qatar, bien sûr ! », répondait-il, dans le même titre. Replaçant ainsi l’émirat dans un rôle qui lui va mieux : celui de philanthrope global, qui investit dans l’art et les affaires l’immense fortune que son sous-sol et la nature lui ont réservée. Mais qui se tient désormais en retrait des grandes manœuvres diplomatiques.

Pour les Saoudiens, qui considèrent, comme Israël, que le seul vrai défi est l’Iran, les Etats-Unis ne doivent plus perdre ni leur temps, ni leur argent, dans des opérations politiques ou militaires qui érodent leur crédibilité, et mettent leurs alliés en danger. Ils sont aussi les plus attentifs au message transmis par Barack Obama, au début de son deuxième mandat : « votre pétrole ne nous intéresse plus autant qu’avant. Nous exploitons le nôtre, et le gaz de schiste. Et nous ne viendrons plus faire la police, si les choses dégénèrent dans la région. » Le prince Bandar, l’homme de la relation fusionnelle avec les Etats-Unis, a été aussi –et ce n’est pas étonnant– celui de l’ouverture et du rapprochement progressif avec le nouveau venu dans le Golfe, la Chine.


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