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Edward Snowden, un héros libertarien

Publié le 27 juillet 2013 par Copeau @Contrepoints

Edward Snowden a prouvé que pour servir son pays, il faut parfois trahir son gouvernement.

Un billet d'opinion de Patrick Smets paru dans Le Soir.

Edward Snowden, un héros libertarien

Edward Snowden

L’actualité donne rarement l’exemple d’actes authentiquement héroïques, accomplis consciemment par des individus désintéressés, au péril de leur sécurité et de leur liberté. Pareilles actions sont d’autant plus rares lorsque leur auteur sait, en les commettant, qu’elles susciteront l’opprobre d’une grande partie de l’opinion.

Lorsqu’Edward Snowden, jeune informaticien autodidacte et surdoué, prend la décision de révéler au monde que la NSA dirige un vaste programme d’espionnage à la fois illégal et éthiquement injustifiable, il sait qu’il se condamne à l’errance, à la clandestinité et à la vindicte populaire. Et pourtant il le fait, parce qu’il croit que le pouvoir de l’Etat, quel qu’il soit, doit connaître des limites strictes, et que c’est un devoir de résister à l’autorité lorsque celle-ci abuse de son pouvoir. Il le fait parce que ses principes moraux le lui commandent. Il le fait parce qu’il est libertarien.

Le Larousse 2014 a reconnu l’existence de ce nouveau mot dans la langue française : un libertarien est « partisan d’une philosophie politique et économique qui repose sur la liberté individuelle conçue comme fin et moyen. Les libertariens se distinguent des anarchistes par leur attachement à la liberté du marché et des libéraux par leur conception très minimaliste de l’État ». Les libertariens, autrefois confinés aux Etats-Unis, essaiment de par le monde : il existe des mouvements libertariens dans la plupart des pays européens, et notamment en France et en Belgique, qui défendent une vision radicale de la liberté individuelle conçue comme limite absolue aux pouvoirs des gouvernements. La conception libertarienne de la société implique que le gouvernement ne peut guère intervenir dans une relation entre adultes consentants, et ce dans tous les domaines : familial et privé, mais aussi économique et social. Selon l’éthique libertarienne, le gouvernement n’a certainement pas le loisir de prendre connaissance à sa guise de nos communications privées, que ce soit par lettres, par email, par téléphone ou de toute autre manière.

La Constitution belge, qui était d’inspiration libérale, nous dit depuis 1831 que « le secret des lettres est inviolable ». Les libertariens militent pour que ce principe, couplé à celui du respect de la vie privée garanti par la Convention européenne des droits de l’homme, soit pleinement restauré et adapté à l’évolution de la technique. Les timides réactions des gouvernements européens aux révélations fracassantes de Snowden masquent mal leur embarras ; il est fort à parier que leurs pratiques d’espionnage ne soient guère plus respectueuses des libertés que celles de leur homologue américain.

Certes, la police doit avoir les moyens de déjouer les crimes en préparation, et notamment les entreprises terroristes. Mais s’il faut pour cela surveiller des communications, cela doit avoir lieu dans un cadre légal strict et sous le contrôle étroit d’un juge indépendant. Il ne pourrait y avoir de plus belle victoire, pour une organisation terroriste, que de voir nos sociétés renoncer aux libertés qui leur restent au prétexte de lutte contre le terrorisme. Malheureusement, les évolutions récentes vont toutes dans ce sens ; les pouvoirs des agences de renseignements semblent ne connaître aucune limite, et les lois de plusieurs pays européens ont été assouplies pour permettre que nous soyons espionnés plus facilement. Les règles applicables en Belgique sont manifestement insuffisantes. En témoigne la croissance constante du nombre d’écoutes téléphoniques qui, en 2010, s’élevaient à plus de 5.000.

Georges Orwell ne s’y était pas trompé : aucune liberté n’est possible sous la surveillance constante de gendarmes surpuissants ne connaissant aucun garde-fou. Si le gouvernement peut connaître tous les détails de notre existence, il acquiert sur nos vies un pouvoir absolu dont il sera tenté d’abuser tôt ou tard. Or il n’y a pas de plus noble cause que de braver les autorités légales pour défendre les libertés individuelles. C’est ce que nous rappelle Edward Snowden, héros libertarien : pour servir son pays, il faut parfois trahir son gouvernement.


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