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L’imposture du "libéral-conservatisme"

Publié le 28 juillet 2013 par Copeau @Contrepoints

L’expression "libéral-conservateur" gagne en popularité. Que se cache-t-il derrière ce mariage invraisemblable ?

Par Mathieu Bédard.

Si le libéralisme "classique" est une philosophie politique dont découlent des positions telles que la propriété privée, l’opposition à l’impôt, et la régulation des entreprises par les phénomènes de marché plutôt que par l’intervention ex supra de l’État, elle défend aussi des idées comme la libre circulation des hommes, le libre-échange, la liberté d’expression, la liberté religieuse, la pluralité et la diversité, la responsabilité face à ses actes, la paix et la démocratie au sens du respect des droits individuels et de la limitation du pouvoir politique. Certains sous-groupes d’idées parmi celles-ci sont défendus par différents groupes politiques ; on peut en retrouver certains éléments présents sur tout le spectre politique. En revanche, aucun parti politique, ni aucune "position" sur l’axe politique, n’ont un programme entièrement libéral, et c’est en partie pourquoi il est impossible de répondre à la question "le libéralisme est-il de droite ou de gauche ?"

Le conservatisme [1] lui, défend des idées de stabilité dans les valeurs considérées (à tort ou à raison) comme traditionnelles, et une certaine stase culturelle et religieuse, accompagnée d’un franc nationalisme ; des idées principalement défendues en France par l’extrême-droite. La façon dont sont généralement jumelés libéralisme et conservatisme varient. Tantôt elle limite le libéralisme à une doctrine économico-économique, et remplit les cases restantes avec le conservatisme, tantôt elle ne fait que parasiter le nom pour s’approprier une légitimité intellectuelle.

Si de plus en plus de gens se définissent comme "libéraux-conservateurs", la grande majorité sont en fait des conservateurs qui ont été éclairés sur l’absence totale d’une doctrine économique "de droite" et séduit par la cohérence et la justice du libéralisme économique, sans aller jusqu’à accepter ses applications allant au-delà des questions purement économiques. C’est ainsi qu’on voit énormément de "libéraux" autoproclamés défendre des idées allant contre le libre-échange, contre l’immigration, contre la pluralité et la diversité des points de vue et des styles de vie, et souvent se faire les chantres de thèses à la limite (ou au-delà) du racisme. Autant de points de vue et d’idées qui n’ont strictement rien à voir avec le libéralisme. Ce qu’il reste du libéralisme dans le "libéralisme-conservateur" ou le "conservatisme-libéral" ou autre n'est pas clair. Du point de vue libéral, les "libéraux-conservateurs" auraient probablement mieux fait de se trouver un terme équivalent au fiscally conservative des Américains, qui signifie plus ou moins être en faveur du marché, ou du moins opposé aux fiscalités excessives.

Un "libéral-conservateur" milite contre le mariage pour tous.

Pourquoi cet engouement pour le terme libéral alors ? En partie par parasitisme intellectuel ; le libéralisme jouit d’une légitimité intellectuelle et humaine reconnue et acclamée, à tel point que même les communistes contemporains ne peuvent prétendre ouvertement être contre les droits individuels, sous peine de se décrédibiliser complètement. En effet, qui au 21e siècle pourrait se dire contre la liberté ? Se réclamer d’une philosophie cohérente et complète est un atout indéniable pour une vision de la société qui est autrement inavouable et indéfendable. C’est l’équivalent du "je ne suis pas raciste mais" précédant une proposition raciste. Le terme libéral vient désextrêmiser le terme conservateur sans contraindre le conservateur à quoi que ce soit. Et ce, ironiquement, même si le terme libéral véhicule lui aussi, à tort, une consonnance extrémiste en France.

Une autre explication pourrait être que les doctrines marginales attirent des marginaux. Le fait que le libéralisme soit constamment dénigré, caricaturé et calomnié en fait une pensée marginale, franchement incompatible avec la vision dominante naïve face au fonctionnement de l’État. L’idée est donc que les personnes elles-mêmes "marginales" sont naturellement prédisposées à être attirées vers les doctrines qui contredisent l’hégémonie intellectuelle. En revanche il serait faux de dire que les libéraux sont systématiquement des marginaux, la caractéristique dominante chez ceux-ci semble être d’avoir été séduit par la cohérence, l’humanisme et la justice que propose le libéralisme.

Une troisième explication est tout simplement que les libéraux ont mal expliqué leurs idées. Peut-être ont-ils trop insisté sur l’analyse économique, peut-être ne sont-ils pas allés aux fondements éthiques de ce qu’est le libéralisme. Peut-être est-il impossible de communiquer sur les fondements éthiques profonds du libéralisme tout en étant accessible et intéressant. Cela pose la question de savoir si le libéralisme est une philosophie trop intellectuelle là où beaucoup d’autres courants politiques cèdent plus facilement aux émotions et au populisme.

Si certains "véritables" libéraux versés dans l’action politique (et il reste à prouver qu’il y a de véritable libéraux dans l’action politique) souhaitent collaborer sur certains dossiers précis avec les éléments les plus fréquentables de la droite  (tout comme ils pourraient vouloir collaborer avec les éléments les plus fréquentables à gauche), ils feraient bien de reconnaître les incohérences et les incompatibilités qu’il y a entre les deux traditions intellectuelles. Négliger un socle de plusieurs siècles de pensée libérale affaiblirait notre légitimité et notre cohérence intellectuelle, nous marginaliserait, et entretiendrait les mauvaises idées qui circulent à propos du libéralisme.

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Sur le web.

Note :

  1. L'article traite du "conservatisme" tel qu'il est défendu et revendiqué aujourd'hui en France, et non tel qu'on peut le comprendre dans son acception philosophique, notamment au travers des auteurs anglo-saxons.

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