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Dans la tête de Charles Swan III (Roman Coppola)

Par Interstella_fr

Dans la tête de Charles Swan III

Roman Coppola, fils de, frère de, cousin de, souvent réalisateur de deuxième équipe chez ses proches – dont son ami Wes Anderson -, scénariste pour ce dernier, réalisateur de publicités, de clips… mais pas que. Son premier film, CQ, était déjà un petit bijou très très attachant, devenu aussi culte chez les uns que détesté chez les autres, ayant pour héros un jeune homme rêveur, le cœur entre deux femmes, à qui on confiait les clés d’un long métrage.

Très fan de CQ (c’est une honte que je n’aie pas de billet sur ce film ici), j’attendais donc le deuxième film de Roman Coppola avec impatience ; mais les premiers échos un peu tièdes m’ont fait revoir mon attente, au point que je m’attendais carrément à voir un film complètement insignifiant. Certes, au premier abord Charles Swan III est moins ambitieux que CQ, et je n’ose imaginer combien de fois les spectateurs diront en sortant que le scénario doit tenir sur une feuille A5 (mais sur ce reproche, Pacific Rim sort vainqueur !) Là où CQ jouait clairement avec les codes du cinéma, avec le principe du « film dans le film », ici la frontière est moins fictionnelle et plus intrinsèque, puisqu’il s’agit de scènes tirées de l’imaginaire du personnage de Charles Swan (interprété par Charlie Sheen, assez excellent avec ses lunettes de soleil vissées sur le nez, dans ce rôle volontairement proche de son image publique, réussissant le miracle de ne pas être antipathique). L’imaginaire en question a de forts liens de parenté avec celui de la sœur, Sofia Coppola, ou de l’ami Wes Anderson : des familles aisées, des personnages désœuvrés en crise existentielle, des maisons très décorées avec piscine, un milieu « arty-créa », en plus ici situé dans les années 70… Certains s’empresseront de crier au « hipster » (oui, c’est le loup du 21ème siècle), à la superficialité, à l’hypocrisie. Ce serait, je crois, une grosse erreur et risquerait de bloquer tout accès au film, qui se trouve derrière cette vitrine. Ce serait aussi reprocher au réalisateur le milieu d’où il vient, tout simplement… On ne va pas lui demander de faire du Ken Loach.

Il est amusant de voir à quel point toutes les scènes de « fantaisie », d’imaginaire, sont profondément marquées par le cinéma (là encore, comment reprocher au réalisateur d’être tombé dedans quand il était petit ?) : comédie musicale au début dans le cimetière, western, film d’action des seventies, numéro musical un peu kitsch de bossa nova (avec le délicieux Águas de Março, chanté en brésilien par les deux acteurs principaux, Katheryn Winnick & Charlie Sheen)… Même sur le principe de l’artiste face à lui-même qui voit sa vie défiler, on pense au célèbre All That Jazz de Bob Fosse. Sauf que Roman Coppola, avant tout, cherche à (s’)amuser et à (se) faire plaisir. Tous les moments rêvés / imaginés sont ainsi de gros moments de bonheur où un sourire nous flotte sur le visage, sans que ce soit jamais vraiment de la franche comédie ou de la franche parodie. Une sorte de tonalité en demi-teinte qui n’atteint pas la perfection (inaboutie elle aussi pourtant, dans sa nature-même) des œuvres de Wes Anderson, en particulier celle de Moonrise Kingdom, que Coppola avait co-écrit. Pourtant ici aussi tout est jeu, jeu d’enfants, tout ressemble à vrai dire au bricolage grandeur nature d’une bande de gamins, de frères et sœurs, et cousins, qui utiliseraient la maison familiale, les accessoires des parents (vieux téléphones, fauteuils improbables) avec un fétichisme contagieux, pour tourner un film, laissant libre cours à leur imagination et mettant en images ce dont ils ont toujours rêvé. Le plaisir d’utiliser ces objets, de filmer ces maisons (j’ai reconnu la cuisine vue dans None plus one, court-métrage de Tracy Antonopoulos et de Gia Coppola, nièce de Roman – il s’agit probablement de la cuisine de Roman lui-même) dégage un plaisir ludique très discret, pour lequel il faut accepter de lâcher un peu son esprit d’analyse pour en capter les effluves et se laisser chatouiller.

Ce qui est fascinant, et qui découle de cette « méthode Coppola », c’est ce sentiment de bien-être général qui se dégage du jeu des acteurs. Absolument pas mis en danger, loin de toute torture psychologique et de tout inconfort, ils sont tous très détendus, comme s’ils étaient chez eux, en famille… Et pour cause, c’est vraiment la famille Coppola-Anderson regroupée (Jason Schwartzmann, ou encore Patricia Arquette, ex-femme du cousin Nicolas Cage, qu’on n’avait pas vue au cinéma depuis 2006 dans Fast Food Nation de Richard Linklater), avec quelques nouveaux venus (Aubrey Plaza en tête) et bien sûr les habitués (Bill Murray bien sûr, très non-cabotin ici, et on aperçoit même Angela Lindvall, inoubliable héroïne de CQ).

Alors quoi ? Oui, effectivement, l’argument est mince, et on sort de la salle en se disant qu’on aura vite oublié tout ça. Que ça ne va pas jusqu’au bout, que ce n’est pas assez fou. Que ce n’est finalement que l’histoire d’un pauvre petit homme riche quitté par sa top-model de copine. Que l’actrice principale (Katheryn Winnick) fait quand même très mannequin, avec un visage d’ailleurs assez proche de celui d’Angela Lindvall. Que les personnages féminins sont souvent vus de façon caricaturale – comme en témoigne le sketch de Kirby, personnage interprété par Jason Schwartzmann ; sauf que cette apparente misogynie est démentie par les scènes de fantasme où les femmes deviennent des personnages puissants et fascinants (mais bon, tout de même, il faut reconnaître que les personnages féminins ne sont pas la force du film). Que tout ça part un peu dans tous les sens.
Mais ce côté fourre-tout est assumé très clairement par le réalisateur, depuis les premières images du film où l’on voit tout et n’importe quoi sortir de la tête de Charles Swan, jusqu’à la dernière scène où il met en scène littéralement l’expression everything and the kitchen sink (jeu avec l’expression courante everything but the kitchen sink, qui désigne justement cette idée de fourre-tout). De plus, au-delà de ça, le film reste dans l’esprit par son ambiance si particulière, sa bande originale de très haut niveau par Liam « Plush » Hayes, et ses moments mémorables (Águas de Março, donc, mais aussi les quelques moments dansés, les quelques pas de claquettes – sur ce point mon avis est totalement partial puisque dès cet instant mon cœur était hameçonné -, la scène de marionnette). Je trouve aussi que le sens du cadrage et des mouvements de caméra sont particulièrement élégants, imprégnant le film d’un héritage cinématographique jusque dans sa technique. Et le dernier plan est tout simplement magique, où les acteurs, devenus eux-mêmes, permettent aux personnages de se réconcilier.

Note : 4,5/6

Note : 4,5/6

Bonus track : la chanson Águas de Março, ici interprétée par Antônio Carlos Jobim & Elis Regina (mais la version de la BO est aussi disponible sur Deezer, ainsi que la BO toute entière d’ailleurs)


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