"Flowers wither like love, only blades are eternal."
Retour en Corée du Sud en ce mercredi asiatique pour parler sageuk (série historique). Tandis que War of the Flowers - Cruel Palace se poursuit sur jTBC, de nouveaux dramas de ce genre ont été lancés ces dernières semaines sur les grandes chaînes. Certains sont malheureusement plutôt à oublier, comme Jung Yi, the Goddess of Fire sur MBC, en dépit de la présence de Moon Geun Young. Un autre a en revanche autrement retenu mon attention : The Blade and Petal. Cette série a débuté le 3 juillet 2013 sur KBS2. Diffusée les mercredi et jeudi soirs, elle est prévue pour le moment pour une durée de 20 épisodes. Etant donné ses mauvaises audiences, il est peu probable qu'elle soit rallongée (espérons qu'elle ne soit pas raccourcie).
Initialement, c'est un intéressant article publié sur The Vault au sujet de son storytelling qui a aiguisé ma curiosité pour cette fiction. Sur le papier, son synopsis s'inscrit en effet dans les canons classiques du genre, en revanche, visuellement, The Blade and Petal offre autre chose. Sa réalisation a été confiée à Kim Yong Soo, dont certains parmi vous se souviennent certainement du travail d'ambiance assez fascinant réalisé dans White Christmas. En somme, si The Blade and Petal n'innove pas sur le fond, la forme se montre bien plus entreprenante, voire expérimentale. Tout n'est pas parfait, mais il y a un vrai souffle qui anime ce drama, dans lequel je me suis laissée emporter avec plaisir.
[La review qui suit a été rédigée après le visionnage des huit premiers épisodes.]
The Blade and Petal se déroule au VIIe siècle, à la fin de la période que l'on désigne sous le nom des Trois Royaumes, qui étaient composés de Silla, Baekje et Goguryeo. C'est au sort de ce dernier, le royaume de Goguryeo, que le drama s'intéresse : il va nous relater sa chute, face à la dynastie chinoise Tang et au royaume de Silla, lequel unifiera la péninsule coréenne. Dès les premières scènes, le cadre est posé avec la narration de la princesse Moo Young qui, à côté des ruines fumantes de ce qui fut Goguryeo, s'interroge sur les raisons qui ont précipité son royaume vers sa perte, se remémorrant l'engrenage d'évènements qui allait être fatal. Le drama nous ramène alors au début des tensions avec les Tang, alors que la perspective d'une guerre semble de plus en plus inévitable et que le royaume est de plus en plus divisé.
Tandis que le général Yeon Gae So Mun, le plus haut dignitaire militaire, presse à prendre les armes et à répondre aux provocations chinoises, le roi Young Ryu s'efforce au contraire de freiner ses ardeurs guerrières, estimant que Goguryeo doit se préparer et ne pas se précipiter vers la manière forte. L'opposition entre ces deux hommes qui sont les plus puissants du royaume ne cesse de croître. C'est dans ce contexte déjà difficile que Moo Young fait la rencontre de Yeon Choong. Les deux jeunes gens s'éprennent instantanément l'un de l'autre. Habile combattant, Choong entre même au service de la princesse. Seulement, Moo Young ignore sa réelle identité : il est en fait le fils illégitime du général Yeon, renié par ce dernier, mais venu à la capitale pour rencontrer ce père absent.
L'amour naissant entre Moo Young et Yeon Choong se retrouve pris au piège de la rivalité qui oppose leurs pères. Lorsque l'inéluctable confrontation se produit, les liens du sang et les liens des sentiments se brouillent... La vengeance va-t-elle succéder à l'amour ?
The Blade and Petal se réapproprie une thématique classique : celle de l'amour impossible, déchirant voire autodestructeur, dans la droite lignée d'un Roméo et Juliette. Les sentiments se heurtent violemment à la loyauté familiale, les deux personnages se trouvant écartelés par l'antagonisme de leurs pères. Au cours de ce premier tiers, la série s'attarde sur leurs tiraillements, sur les dilemmes si difficiles à trancher auxquels ils sont confrontés, soulignant combien l'amour semble toujours finir par guider leurs pas, malgré eux, parfois même en dépit de leur raison. Le téléspectateur s'implique sans difficulté dans ce double destin croisé, inachevé et chargé de regrets. Tout se ressent de manière très intense, et l'émotion n'est jamais loin. L'écriture n'a guère à forcer le trait pour acquérir des accents tragiques shakespeariens : le poids des sentiments devient bien douloureux à porter lorsque l'affrontement sort du seul cadre politique et que les complots visant à éliminer le clan adverse prennent forme.
Ces huit premiers épisodes forment une escalade : l'apogée annoncé est le coup d'Etat aboutissant à l'élimination d'un des deux camps - il se réalise finalement dans le huitième. La narration trouve le bon dosage pour nous plonger dans des jeux de cour létaux et dans une montée inéluctable des tensions, tout en ne négligeant jamais les incidences de ces évènements sur les deux jeunes gens placés au centre de l'histoire. Les enjeux sentimentaux sont imbriqués aux luttes de pouvoir en cours. Ironiquement, c'est alors qu'il semblait avoir été définitivement rejeté par son père, que la filiation de Choong acquiert une toute autre dimension : il est un pion projeté sur l'échiquier du royaume, un enjeu pour le roi, mais aussi pour son général de père. Ce lien familial n'est pas appréhendé de la même manière par Moo Young qui, elle, remet en cause ses sentiments, tout en retenant la fidélité manifeste de Choong. Un tournant définitif dans leur relation est cependant franchi lors du coup d'Etat qui signe la mort du roi de la main du général. Le basculement a lieu, le Rubicon est franchi : le désir de vengeance peut désormais se mêler à l'amour, et troubler encore un peu plus ce duo principal.
The Blade and Petal développe donc une histoire classique, entre romance et pouvoir, qui s'inscrit parfaitement dans les canons d'un sageuk. L'originalité du drama ne tient pas à son fond, mais à la manière dont cette histoire va être racontée et mise en scène. Si certaines fictions présentent une réalisation neutre et calibrée, que l'on qualifierait aisément d'interchangeable, ce n'est pas du tout le cas de celle proposée par Kim Yong Soo. En effet, ce dernier se montre particulièrement interventionniste, multipliant des effets de style qui peuvent un temps dérouter, voire surprendre, avant que le téléspectateur ne se prenne au jeu. C'est la caméra qui rythme ici le récit, proposant presque sa propre narration qui se substitue aux dialogues : elle appuie sur les regards, répète certaines scènes, repasse des moments en suivant différentes perspectives, et plus généralement joue sur une théâtralisation de l'écran qui est poussée à son paroxysme.
Les épisodes semblent trouver leur propre souffle sous la direction d'un réalisateur orchestrant images et musique. Il use dans cette optique d'une bande-son omni-présente qui donne une dynamique à l'ensemble. L'utilisation d'instrumentaux modernes souvent entraînants, loin de toute musique traditionnelle, ainsi que de la chanson phare de l'OST (cf. la 2ème vidéo ci-dessous), tombe le plus souvent juste. The Blade and Petal limite les dialogues et raccourcit les échanges, parlant au téléspectateur visuellement et musicalement. Les scènes paraissent parfois des tableaux s'animant sous nos yeux, poussant la symbolique à son maximum, voire au-delà. La caméra devient un acteur à part entière du récit, dépassant le seul scénario pour aposer sa marque sur la narration. Si bien que l'exécution de l'histoire apparaît presque prendre le pas sur son contenu, un choix dans lequel tous les publics ne s'y retrouveront pas. Signe que la réalisation reste à un stade expérimental, elle ne transforme pas toutes ses tentatives : elle a notamment quelques longueurs, et cède parfois à des répétitions de scènes un peu trop excessives. Mais l'ensemble constitue un effort aussi louable qu'intéressant.
Enfin, The Blade and Petal peut s'appuyer sur un assez solide casting. Concernant les deux représentants de cette romance qui ne peut pas être, c'est Kim Ok Bin (Hello God, Over the rainbow) qui interprète la princesse Moo Young ; tandis que Uhm Tae Woong (Resurrection, The Devil, Dr Champ, The Equator Man) joue Yeon Choong. Leurs scènes communes fonctionnent, et la caméra n'a pas à forcer artificiellement le lien qui se noue entre leurs peronnages. Ensuite, pour incarner leurs pères respectifs, on retrouve Kim Young Chul (IRIS, The Princess' Man), qui interprète le roi, et Choi Min Soo (The Sandglass, The Legend, Warrior Baek Dong Soo) qui joue le général Yeon. Il faut reconnaître à ce dernier une certaine tendance au sur-jeu de la stoïcité au cours des premiers épisodes. Mais les deux forment de solides adversaires à l'écran, et ils délivrent notamment une marquante ultime confrontation. Du côté des rôles plus secondaires, Ohn Joo Wan (Chosun Police) incarne ce cousin royal qui trahit son oncle pour un trône et un pouvoir placé sous la dépendance militaire du général. On retrouve également Lee Jung Shin (du groupe CNBLUE), ou encore Park Soo Jin (My Girlfriend is a Gumiho, Flower Boy Next Door).
Bilan : The Blade and Petal est l'histoire d'une romance impossible, sur laquelle se superpose la fin d'un royaume qui s'apprête à disparaître. Cela confère au récit une dimension émotionnelle, aux accents forcément tragiques, qui happe le téléspectateur. Le scénario est classique, bien huilé mais prévisible. La valeur ajoutée de ce drama vient de la manière dont cette histoire est racontée et portée à l'écran : la caméra très interventionniste orchestre et mène à la baguette un récit auquel elle donne vie et ampleur, se faisant acteur à part entière de la narration. L'initiative est intéressante, même si l'expérience n'est pas toujours parfaite, avec quelques excès. Peut-être que tous les publics ne parviendront pas à adhérer à ce style, mais The Blade and Petal n'en est pas moins un solide sageuk dont le souffle saura emporter plus d'un téléspectateur curieux. Un sageuk qui aura aussi très bien réussi son premier apogée constitué par le coup d'Etat attendu. A découvrir.
NOTE : 7,5/10
Une bande-annonce du drama :
La chanson principale de l'OST (Dear love, de WAX) [Vidéo sous-titrée anglais] :