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Pourquoi le gouvernement ne peut plus partir en vacances

Publié le 31 juillet 2013 par Juan

Pourquoi le gouvernement ne peut plus partir en vacances 
Les congés estivaux de nos gouvernants sont l'un de ses marronniers d'une actualité politique qui se vide. On pourrait profiter de l'été pour se ressourcer, revenir sur une saison parfois agitée, procurer quelque recul à l'auditoire. Il n'en est rien.
Certes, chaque journal, quotidien ou hebdomadaire, profite de l'été pour publier des « séries » commandées de longue date. Mais il faut aussi meubler le quotidien. La dernière incarnation de l'hystérisation du débat public est cette affaire de vacances hollandaises.
François Hollande, donc, a demandé à ses ministres de rester à portée de main, c'est-à-dire à portée de micro. Convaincu que ses vacances de président normal en août 2012 lui ont beaucoup coûté, il s'est décidé à faire savoir qu'il restait sur le pont, tout comme ses ministres. Cette année, il restera à La Lanterne, cette demeure en marge du Château de Versailles que Sarkozy adorait tant.
Le show doit continuer, encore et toujours.
Le Canard Enchaîné du 31 juillet s'amuse: "dernière consigne de Hollande avant les vacances: non au laisser-hâler". Selon le même Canard, des communicants élyséens lui ont fait savoir qu'il est "hors de question de donner l'impression que le Président se repose pendant que les Français endurent la crise." Dans le même journal, on apprend que Hollande est tout autant agacé par les gesticulations estivales de son ministre de l'intérieur: "Valls en fait trop, il fait du Sarko." On est heureux que la chose soit enfin perçue au Château. L'opération vallsienne n'est pas que médiatique. Le fond trouble et énerve autant que la forme.
Un conseil des ministres a été calé vendredi 2 août. La République n'avait connu cela depuis quelques décennies. On devrait même remonter aux sombres heures de sa chute en 1940 ou quelque part vers les crises du printemps 1958 ou de l'été 1968.
Pire, chaque ministre qui passe au gril de l'interview politique se voit poser les mêmes questions de journalistes goguenards sur leur lieux de villégiature. Ainsi ce mercredi 31, dernier jour de juillet, la ministre du Tourisme et de l'Artisanat Sylvia Pinel se frottait à une interwieuse perspicace de France info qui lui lança tout de go: "ne pas partir en vacances, c'est pas démago". Mme Pinel, le ton trop sérieux, répliqua: "mais c'est toujours comme cela !", avant de reconnaître qu'elle partirait quand même une semaine en Corse. On avait compris qu'elle pensait à la permanence ministérielle qu'on lui réclamait, et non pas à la mise en scène. On pouvait sourire tant la réponse sentait le souffre et le manque de conviction, la langue de bois et l'inefficacité.
Car la question centrale demeure: sommes-nous obligés de se plier à ce cirque dont on ne sait plus qui l'a créé ni qui l'impose ?
Oui.
La réponse est malheureusement forcément affirmative. Quasiment chaque ministre peut penser à son cauchemar médiatique estival, celui où une catastrophe frappe son périmètre d'activité tandis qu'il est loin en vacances; et que ces fichus médias font tourner en boucle l'information selon laquelle la situation est gravissime mais que le ministre en charge est loin.
Chacun des 38 ministres peut être ainsi emporté dans une polémique néfaste. On sait pourtant que leur présence ne changerait rien; que leur propre ministère est souvent également en vacances; que l'action publique ne se mesure pas, heureusement, à la présence de nos ministres devant les caméras de télévision.
Mais nos habitudes – que l'on osera qualifier de sarkofrançaises puisque l'ancien ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy nous a collectivement habitué voici 11 ans à cette intoxication médiatico-politique – sont ainsi.
Imaginez une nouvelle émeute publique tandis que Manuel Valls se repose dans le pays basque espagnol. Imaginez une nouvelle catastrophe ferroviaire pendant que Frédéric Cuvillier, notre ministre des transports, se repose quelque part en villégiature en Corse. Imaginez qu'une panne paralyse l'ensemble du réseau Free ou SFR tandis que la ministre déléguée à l'économie numérique serait en vacances lointaines.  
Imaginez qu'un musée brûle alors qu'Aurélie Filippetti (Culture) se dore le dos quelque part dans le Sud. Imaginez qu'un lycée vide soit vandalisé en plein été mais que Vincent Peillon (Education) ne soit pas là pour commenter la triste affaire au micro de BFM-TV. Imaginez quelques morts de trop à cause de la chaleur mais que Marisol Touraine (Santé) soit trop éloignée pour réagir.  
Imaginez qu'un SDF succombe à une canicule et que Cécile Duflot (Logement) ne soit pas là pour réagir. Imaginez un épisode judiciaire faramineux dans l'affaire Tapie tandis que Christiane Taubira serait retournée dans sa Réunion natale. Imaginez que Michel Sapin (Travail) ne soit pas là le 29 juillet ou le 29 août pour commenter les derniers chiffres du chômage.
Imaginez un nouveau massacre en Syrie alors que François Hollande se reposerait au Fort de Brégançon. L'an dernier, un ancien monarque crut bon pondre un communiqué depresse aoûtien pour exiger des actions immédiates en Syrie.
Imaginez toutes ces absences et personne du gouvernement pour parler au micro. Imaginez ces commentaires médiatiques, vous les avez souvent entendus: "pendant ce temps, le ministre Untel se dore la pillule à l'autre bout du monde."
 Vous vous surprendrez alors à reconnaître que la chose serait médiatiquement, tristement, politiquement, insupportable. De la gauche mélenchoniste à l'UDI borlooïsée, de l'UMP en faillite à l'extrême front mariniste, il se trouvera toujours quelque responsable politique et militants de base pour fustiger cette (fausse) vacance du pouvoir.
On peut, on doit regretter cette infantilisation de la pratique et du débat politiques. Mais elle est réelle, elle se constate tous les jours. 


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