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« Soumission » des journalistes et des médias à Nicolas Sarkozy : mythe et réalité

Publié le 27 avril 2008 par Roman Bernard

L'intervention télévisée de Nicolas Sarkozy jeudi dernier a encore été l'occasion pour nombre de blogueurs de gauche, avant et après l'émission, d'écrire que les journalistes sont soumis à la droite, au gouvernement, à Nicolas Sarkozy. Voudrait-ce donc dire que ces journalistes adhèrent majoritairement aux idées dites " de droite " ? Ou, pire, que cette droite dont les idées seraient forcément moins bonnes que celles de la gauche - à supposer que cette dernière en ait aujourd'hui, ce qui est douteux -, " soumettrait ", on ne sait par quel moyen digne des pires dictatures, ces journalistes décrits par les plus cléments comme des victimes de la droite, par les plus acharnés comme des complices, qu'écris-je, des collaborateurs ?

Il n'y a pourtant rien de plus erroné que de prétendre, comme certains l'avaient fait en réaction à mon billet " Ce qui manque à la jeunesse de droite " , que les journalistes français sont de droite. C'est même très majoritairement le contraire. Qui connaît bien les médias de l'intérieur - c'est mon cas, désolé de le rappeler à ceux qui en parlent sans savoir - sait pertinemment que les journalistes sont pour la plupart de gauche.

Le médiologue Cratyle, véritable successeur de Régis Debray, l'épopée guévariste en moins, en convenait lors d'un débat animé mais courtois à la République des blogs de janvier dernier. Patrice Lamothe - c'est son nom - ne passe pourtant pas, au contraire de votre ami rédacteur, pour un fieffé sarkozyste. Le Chafouin, qui refuse qu'on le classe dans le spectre politique, mais que l'on peut objectivement situer au centre-droit, partage ce constat. Il est vrai que, tout comme Cratyle et votre serviteur, il sait de quoi il parle, puisqu'il est lui-même journaliste.

Il existe pourtant des arguments, fondés mais non pertinents, pour dire que les journalistes français sont de droite. D'abord, les patrons des grands groupes de presse sont, c'est un fait, majoritairement sarkozystes. J'ai objecté à plusieurs reprises aux incrédules - ou plutôt à ceux qui croient béatement à la thèse inepte de l'appartenance des journalistes français à la droite - que ces Bolloré, Bouygues et Lagardère ne sont pas journalistes, et partant qu'ils n'écrivent ni ne filment, photographient, enregistrent, commentent. Ce sont les chefs, certes. Mais, d'une part, cela n'oblige pas leurs salariés, que je sache, à abjurer leurs idées de gauche au profit de celles de droite, et n'empêche pas non plus que ces mêmes salariés-journalistes fassent leur travail, sans que leur soit imposée comme règle de se convertir à la droite. Une remarque ici : pour les gauchistes d' Acrimed, est " de droite " toute personne qui accepte l'odieuse économie de marché, ce que sont bien obligés de faire les journalistes s'ils veulent que survivent leurs médias, pour la plupart en crise.

Cela n'en fait pas des droitiers pour autant, pour la bonne et simple raison que le clivage gauche-droite est mouvant. L'acceptation du marché n'est pas, n'est plus le facteur discriminant entre gauche et droite comme il l'était jusqu'aux années 1980.

Allons plus loin. Si les journalistes sont de gauche, comment ceux qui prétendent le contraire estiment-ils que les médias pour lesquels ils travaillent seraient, eux, de droite ? C'est sur la ligne éditoriale que l'influence du patron de presse se fait sentir. Il serait toutefois inconséquent de croire que le patron, par le biais des hommes qu'il a placés à la tête de son média, va unilatéralement imposer une ligne éditoriale à des journalistes soumis et résignés. Il s'exerce nécessairement un rapport de forces entre les deux parties. Si la plus puissante possède l'argent, qui agit comme un moyen de contrainte et de récompense à la fois - et donc de domination -, les journalistes possèdent la compétence professionnelle, ce qui n'est pas rien.

Un bon patron de presse sait qu'il ne pourra pas agir totalement à sa guise avec une équipe qui, en dehors du " nerf de la guerre " qu'est l'argent, n'a en rien besoin dudit patron pour produire le contenu de son média. Celui-ci, à l'inverse, a besoin d'une bonne équipe pour produire un bon contenu, car contrairement à une idée popularisée par certains blogueurs, l'information est un métier, qui s'apprend.

Le rapport de forces est donc plus équilibré que ne pourrait le penser celui qui ne connaît pas la vie d'une rédaction. Toutefois, en plus des chefs qu'ils nomment, les patrons disposent d'une seconde arme, ou plutôt d'une seconde armée, celle des chroniqueurs et éditorialistes, qui donnent leur coloration politique aux médias.

C'est là que la mauvaise foi des tenants de la " droititude " des journalistes et des médias apparaît au grand jour. Ils citent la liste, longue mais volontairement non exhaustive, des éditorialistes et chroniqueurs, dont certains, éminents, sont en effet de droite : Nicolas Baverez, Éric Zemmour, Ivan Rioufol, Alain-Gérard Slama, Yves Thréard, François d'Orcival, Alexandre Adler, Claude Imbert... Cette liste ferait presque oublier leurs confrères, non moins nombreux ni même éminents, de gauche.

Ainsi, avec le bosquet des patrons et éditorialistes de droite qui cache la forêt des journalistes de gauche, certains voudraient croire et faire croire que les médias français sont " de droite ". Ils vont même, laissant éclater ainsi au grand jour leur ignorance de la production d'un journal, jusqu'à dire que France 2 est une chaîne " de droite " car son présentateur-vedette, David Pujadas, est réputé proche de la majorité actuelle. Pour ceux qui ne l'auraient pas remarqué, David Pujadas n'a pas filmé, monté, commenté ni même choisi les sujets qu'il se contente de lancer dans son JT.

La récente grève à France Télévisions pour protester contre la suppression de la publicité sur le service public de l'audiovisuel, voulue par Rocard et mise en oeuvre par Sarkozy, a montré des journalistes peu suspects de sympathie pour le président. S'ils s'opposaient à une idée de gauche - que, du reste, j'approuve -, c'est bien que la majorité actuelle, ou tout du moins son chef depuis son élection à la tête de l'UMP en 2004, n'a pas franchement leur faveur. Et, contrairement à leurs homologues des médias privés, les journalistes du service public télévisuel ne risquent pas un licenciement si leur reportage déplaît au président du groupe, Patrick de Carolis.

" Domination charismatique "

Alors, si les journalistes sont de gauche et les médias qu'ils produisent le résultat d'un compromis avec leurs patrons de droite, qu'est-ce qui explique que, comme le relevaient plusieurs blogueurs vendredi matin, les médias soient dominés par Sarkozy, qui y est omniprésent, y rencontre peu d'opposition et surtout, est devenu un vrai argument de vente pour la presse écrite, que ce soit par adhésion ou par rejet ?

Peut-être, comme le faisait remarquer Anna en commentaire à mon avant-dernier billet, les journalistes devraient-ils se poser la question de la responsabilité de cette domination sarkozyenne sur les médias, que Max Weber eût qualifiée de " charismatique ".

On ne peut reprocher à Nicolas Sarkozy, nommé au ministère de l'Intérieur en 2002 malgré la rancune tenace de Jacques Chirac, qui ne lui pardonnait pas sa trahison en faveur d'Édouard Balladur lors de la présidentielle de 1995, d'avoir voulu utiliser les médias à son profit. Si, dès son arrivée Place Beauvau, celui qui allait dominer le quinquennat chiraquien est devenu omniprésent dans les médias, c'est qu'il devait, pour évincer les héritiers naturels de Jacques Chirac, Alain Juppé puis Dominique de Villepin, partir à la conquête de l'opinion sur le terrain de la sécurité, thème qui avait décidé de l'issue de l'élection de 2002, avec le scénario que l'on sait.

La longue campagne électorale de Nicolas Sarkozy - cinq ans - a été relayée par les journalistes, car ceux-ci ont été littéralement sidérés par la communication d'un genre nouveau employée par le futur président : langage direct, vocabulaire familier, ton énergique. Tout le contraire de ses prédécesseurs. Il faut croire que les journalistes français n'étaient pas outillés pour s'opposer à l'instrumentalisation sarkozyenne des médias. Même lorsque, dans la campagne, nombre d'entre eux ont explicitement soutenu Ségolène Royal, les journalistes n'ont pu appuyer cette dernière qu'en diabolisant son adversaire, ce dont ce dernier s'est servi pour, suprême habileté, se poser en victime des médias qu'il avait pourtant utilisés dans son intérêt cinq années durant.

Les journalistes sont tout simplement soumis à Sarkozy car leur méconnaissance, pour ne pas dire leur ignorance des dossiers que vient défendre le président, et avant lui le candidat, les rend vulnérables face au rouleau compresseur de la communication sarkozyenne. S'il est des responsables de la réelle domination des médias par Sarkozy, dénoncée avec raison par les journalistes, c'est à n'en pas douter ces derniers.

Plutôt que de hurler avec les loups - ou plutôt bêler avec les moutons -, comme le fait notamment Libération qui consacre par appât du gain et court-termisme un nombre excessif de " unes " à Nicolas Sarkozy (" unes " qui, soit dit en passant, ne peuvent être comprises que par un lecteur français, ce qui est étonnant pour un journal soi-disant internationaliste), les journalistes français feraient mieux, s'ils veulent vraiment s'opposer à Sarkozy, de réaliser de véritables enquêtes sur la politique qu'il mène, ses insuccès et ses impasses. Au lieu, comme Véronique Auger jeudi soir dernier, de n'interroger le président que sur des détails mille fois répétés, sur lesquels Sarkozy peut se faire un plaisir de déballer son " plan com' ".

Je n'aime guère Philippe Val, mais il me semble que cette conclusion à sa chronique du 14 septembre 2007 sur France Inter constitue une réponse parfaite aux adeptes de la prétendue " vigilance démocratique ", qui n'abuse du reste personne :

Je pense qu'il y a deux sortes de critiques du journalisme et des médias : celle qui les hait et veut leur mort, et celle qui les aime et veut qu'ils s'améliorent. Ces deux critiques n'ont rien en commun. L'une est totalitaire [...] et l'autre est celle des démocrates exigeants : on aimerait parfois que la différence apparaisse plus clairement.
Roman Bernard

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LES COMMENTAIRES (1)

Par marche a terre
posté le 31 août à 15:07
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vôtre 7-9 n,est pas sans intérêt a mes yeux puisque je l,écoute pratiquement chaque matin ,pourtant je suis régulièrement exaspéré par le ton général de celui-çi ,a mes yeux et très nettement vous n,êtes pas neutres politiquement il n,est pas difficile d,imaginer que vous êtes de gauche ( ce qui est évidemment aussi respectable qu,être a droite ,personne ne détenant la vérité a lui seul ,et, qu,est-ce que la vérité? ce qui me gène beaucoup c,est le ton suffisant en général adopté ,et,que vous ne respectez pas vos auditeurs en tentant a l,évidence d,orienter leurs choix en fonction de vos opinions a vous ,quelle prétention ,par ailleurs et omis cela j,aime assez bien ce que vous faites ,évidemment si le coeur vous en dit je vous autorise a faire état de mon opinion si tant est qu,elle puisseintéresser une seule personne et que vous soyez plus libres et plus honnêtes que je l,imagine avec regret et aussi un tout petit peu moins prétentieux , chiche ,vous pouvez aussi citer mon nom , salut les intellos de bac a sable ... jean-laude houizot la claie sainte-anne sur-vilaine 35390 .