Les mois d'été, traditionnellement plus calmes, sont l'occasion de s'attarder sur des sujets qu'on n'a pas toujours l'occasion de traiter dans le flot normal de l'actualité trépidante des autres mois de l'année. Je profite donc de ce début de mois d'août pour revenir sur les récentes péripéties de nos élus concernant l'utilisation souvent douteuse de ces fonds qui leur sont généreusement attribués...
Bien sûr, ici, je pourrais revenir en détail sur les affaires récentes qui ont vaguement secoué le parti socialiste. Guérini, Andrieux, Kucheida, tant de noms qui sentent bon le terroir et la solide corruption politique, et qui n'ont pourtant entraîné aucun vent de panique dans le Camp du Bien, faiblement impacté par de tels scandales. Je dis faiblement, puisqu'apparemment, le fait que des députés soient mis en examen et condamnés, éventuellement plusieurs fois de suite, ne semble pas émouvoir les instances dirigeantes de ce parti.
Ainsi, Harlem Désir, toujours très prompt à jouer le Petit Père La Morale lorsqu'il s'agit de juger des politiciens des autres partis, a toujours fait preuve d'une souplesse de gymnaste ukrainien dès que l'affaire concerne un membre de sa propre écurie et il ne faut sans doute pas y voir une coïncidence puisque c'est probablement ce trait de caractère qui lui vaut, maintenant, d'en être le patron. Je dis ça avec d'autant plus d'assurance qu'on constate la même souplesse et le même détachement face à l'honneur et à la décence chez son prédécesseur, François Hollande, lui qui s'étonnait récemment que Guérini, justement, soit encore membre du PS alors qu'il traîne toute une batterie de cuisine derrière lui. On attend de voir sa surprise quand il sera mis au courant que Sylvie Andrieux a été condamnée mais est toujours sur les bancs de l'Assemblée.
Malgré ces rappels, croustillants s'il en est et qui montrent fort bien à quoi servent effectivement vos impôts, le but de ce petit billet n'est pas de repasser en détail chacune de ces affaires, ou de revenir, une fois encore, sur le feu d'artifice qui nous fut offert par Cahuzac. En réalité, je voulais évoquer ces cas plus discrets de détournements de fonds, de gabegies, de gaspillages honteux qu'on trouve tant chez les parlementaires nationaux que dans les communes dont la taille, restreinte, et la notoriété, modeste, leur permet de passer sous le radar de l'actualité nationale. Vous, lecteur, en connaissez certainement pas loin de chez vous et si vous avez des liens sur des articulets de presse, je suis toujours intéressé pour faire un pot-pourri de ces petites largesses que tel ou tel élu s'accorde pour édifier le bon peuple sur sa gloire locale et assurer sa réélection.
À titre d'exemple, je vous propose le cas, récent et assez symptomatique, de Cugnaux.
Pour Cugnaux, charmante commune de Haute-Garonne proche de Toulouse et comptant 15.000 habitants, quelques faits furent rapportés dans les journaux locaux concernant les dépenses somptuaires du maire. Ce dernier, à la tête d'une commune que la crise ne semble pas avoir touchée ni de près, ni de loin, vit suffisamment dans l'opulence pour proposer d'endetter fermement sa commune auprès des banquiers habituels (Crédit Agricole, Banque Postale et Caisse d’Épargne) pour y bâtir un magnifique Pôle Culturel Qui Construit l'Avenir Avec Une Belle Dette Qui Ronfle. Je ne connais pas la nature des prêts qui sont envisagés ; espérons simplement que ceux-ci ne sont pas indexés sur le Franc Suisse comme certaines autres communes dont les maires, incompétents notoires, viennent maintenant pleurnicher devant les sommes faramineuses à rembourser. Mais à lire les articles consacrés aux débats sur ce Pôle Culturel, on comprend qu'il s'agit bien là, à 13.000.000 d'euros (excusez du peu) d'une dépenses que certains n'hésitent pas à qualifier - oh ! - d'inutile.
Et il est vrai qu'à bien y réfléchir, on se demande ce qui justifie exactement d'endetter 15.000 personnes, d'un coup, pour un bidule cultureux dont manifestement, ils se passent assez bien. Et puis en ces temps de crise, on se demande si ces habitants ont les moyens de claquer chacun 900 euros supplémentaires pour une telle réalisation... En tout cas, du point de vue du maire dont la réélection n'est pas assurée et alors que les municipales approchent, la réponse est, elle, toute trouvée : il faut ce pôle.
Cette désinvolture dans la dépense des fonds publics, lorsqu'elle n'est pas, justement, placée sous les feux médiatiques, se retrouve tout autant à l'Assemblée Nationale. C'est logique, du reste, puisque les députés sont souvent des maires qui sont "montés en grade" à la faveur d'une élection. Les habitudes contractées dans une commune ne se perdent donc pas si facilement (surtout les mauvaises), et on les retrouve rapidement dans l'hémicycle. Et ce, d'autant plus facilement qu'un mécanisme particulièrement choupinou leur permet justement de se lâcher sur le sujet.
Il s'agit de la réserve parlementaire.
Si vous ne savez pas de quoi il s'agit, disons simplement que c'est une dotation financière utilisable par les sénateurs et députés, issue du budget de l'Assemblée Nationale et du Sénat, qui sert à financer des associations et des collectivités de leur circonscription. Quelques mots ont filtré à ce sujet pendant le mois de juillet, à la suite de la parution plus ou moins volontaire de l'emploi de ces sommes dans différents documents. Parution qui avait permis au journal Le Monde de produire une infographie, et à deux ingénieurs, Charles Miglietti, Kilian Bazin, de réaliser un site web, ReserveParlementaire.fr, interactif et illustrant assez bien comment et par qui est utilisée cette réserve d'argent public qui échappe assez bien aux tensions médiatiques habituelles dès qu'on parle d'argent en France.
Il faut comprendre qu'on parle de 150 millions d'euros dans lesquels piochent gentiment nos élus, pour aider qui sa commune d'origine, qui telle école, institution ou monument qui en aurait besoin. L'utilisation des fonds est à discrétion des élus et personne ne s'inquiète vraiment de savoir si tout ceci est bien règlementaire. Sur le papier, ça l'est, bien sûr : chaque député, chaque sénateur, va venir attribuer un montant, plus ou moins gros, pour telle réalisation à tel endroit. Très généralement, la somme est bien employée pour ce à quoi elle est destinée, et le tout se fait avec, on le suppose, le minimum de contrôle qui évite que certains indélicats se servent au passage (chose purement hypothétique, je vous l'assure, tant est rikiki le nombre de cas d'un député ou d'un sénateur ayant fraudé).
Mais on ne peut s'empêcher de se demander pourquoi cette réserve fut si longtemps gardée secrète, et pourquoi elle continue d'exister à l'heure d'une crise sans précédent où l’État, on le rappelle, se doit à la fois de réduire ses dépenses et montrer l'exemple en matière de transparence fiscale. On peine à comprendre pourquoi aucun mouvement d'agacement franc et massif ne s'est fait jour dans la presse lorsqu'on a appris, à la suite de ces jolies "data-visualisations" du Monde et de ReserveParlementaire.fr, par exemple,
- que les députés sont très généreux pour leurs propres communes, et les sénateurs encore plus, alors que ceci pourrait bien constituer un beau conflit d'intérêt,
- qu'il y a une dizaine de communes qui ont reçu des financements venant de personnes qui ne sont élues ni de l'assemblée Nationale ni du Sénat.
- que les ministres et le président utilisent aussi cette réserve, malgré là encore quelques évidents conflits d'intérêts, et le tout, dans l'opacité la plus complète.
Rassurez-vous : ce système, parfaitement inique, de distribution de bonbons aux frais du contribuables, perdurera tant qu'il sera possible. Bien sûr, les parlementaires eux-mêmes reconnaissent volontiers que "ce n'est pas acceptable d'utiliser ainsi l'argent du contribuable".
Mais, on le comprend aisément, s'il fallait qu'une habitude soit légitime et saine pour durer, il n'y aurait rapidement plus aucune incitation à devenir élu.
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