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Wifredo Lam et Aimé Césaire, destins croisés

Publié le 05 août 2013 par Aicasc @aica_sc

Lam retornocouvWifredo Lam et Aimé Césaire suivent, avant de se rencontrer à la Martinique en 1941, des itinéraires parallèles sans doute partagés par nombre de jeunes natifs de la Caraïbe à l’avenir prometteur.

Nés dans une île de la Caraïbe, Cuba pour Lam, la Martinique pour Aimé Césaire, ils la quittent pour rejoindre le continent Européen afin d’y poursuivre leurs études dans leur métropole respective, Madrid pour Lam, Paris pour Césaire.

L’un et l’autre effectuent un retour au pays natal, en 1941 pour Lam, en 1939 pour Césaire ; retour au pays natal   qui imprimera sa trace dans leurs créations littéraires ou plastiques.

C’est à cette étape de leur vie qu’ils se croisent à la Martinique en 1941. Lam a alors trente – neuf ans et  Césaire vingt – huit ans. Le contexte de cette rencontre a été maintes fois raconté. En 1940, Wifredo Lam quitte Paris et rejoint à Marseille de nombreux artistes et écrivains, René Char, Pierre Mabille, Marc Chagall, Max Ernst, Oscar Dominguez, Victor Brauner et André Breton. Les liens entre Lam et Breton se resserrent : Wifredo illustre de six dessins le poème de Breton, Fata Morgana et participe à la conception du  tarot de Marseille. Puis Lam embarque à bord du Capitaine Lemerle avec André Breton, sa femme et sa fille, Victor Serge, André Masson, Claude Levi Strauss. Lors d’une escale de quarante jours à la Martinique en avril 1941, Breton et Lam font la connaissance d’Aimé Césaire et de l’équipe de Tropiques.

André Breton évoque longuement leurs entrevues et réunions dans Martinique Charmeuse de serpents : le soir, dans un bar que la lumière extérieure faisait d’un seul cristal, sur la terrasse de sa maison qu’achevait d’enchanter la présence de Suzanne Césaire belle comme la flamme du punch, sur le gouffre d’Absalon comme sur la matérialisation même du creuset où s’élaborent les images poétiques quand elles sont de force à secouer le monde, sans autre repère dans les remous d’une végétation forcenée que la grande fleur énigmatique  du balisier qui est un triple cœur pantelant au bout d’une lance.(1)

Plusieurs articles dans la revue Tropiques, conséquences concrètes de ces moments privilégiés, paraîtront en 1943 et 1945 : dans le numéro 6/7 de février 1943, la revue des revues d’Aristide Maugée évoque la publication de Retorno al païs natal traduit par Lydia Cabrera, illustré par trois dessins de Wifredo Lam et préfacé par Benjamin Perret ainsi que l’article de Pierre Mabille sur l’exposition de Lam à New – York. Un autre article de Pierre Mabille rédigé en mai 1944 sur le tableau La Jungle de Lam est publié dans le numéro 12 de Tropiques de janvier 1945.

En effet, dès son retour à Cuba en 1942, après sept mois de voyage, Wifredo Lam, fortement impressionné par le Cahier d’un retour au Pays natal, demande à Lydia Cabrera de le traduire en espagnol et le fait publier aux Editions C.T Poétique à la Havane illustré de trois de ses dessins à l’encre de Chine.

Il réalisera aussi, en 1947, le frontispice pour la première édition en volume du Cahier d’un retour au pays natal par les Editions Bordas (Paris).

Pour sa part, Aimé Césaire a publié plusieurs textes poétiques et critiques à propos de Wifredo Lam. L’un d’entre eux à Port au Prince en 1944, Simmons, demeure introuvable. Le texte critique Wifredo Lam et les Antilles paraît en 1947 dans les Cahiers d’art est repris sous le titre Wifredo Lam dans le numéro 52 du magazine XXème siècle publié en 1979. Des poèmes, Tam-Tam II et A l’Afrique portent la dédicace à Wifredo.

Ils vivent l’un et l’autre une expérience haïtienne mais séparément, Aimé Césaire en 1944 pour une tournée de conférences et Wifredo Lam en 1945, invité par Pierre Mabille alors attaché culturel français, pour l’inauguration de l’Institut culturel. Il exposera alors  à Port – au – Prince.

Après dix années à Cuba, Lam rentre en France en 1952. Aimé Césaire a été élu député en 1945. Les retrouvailles sont alors possibles. Les deux amis se retrouvent régulièrement.

Quarante ans après la publication de Retorno al païs natal, les éditions italiennes Grafica Uno publient un porte- feuilles d’estampes, Annonciation. Les eaux – fortes ont été créées par Wifredo Lam entre 1969 et 1971. A la demande de Lam, Aimé Césaire compose sept poèmes au regard des sept gravures. Ces poèmes seront intégrés ensuite au recueil,  Moi laminaire.

Ainsi, à quarante ans d’intervalle, les créations plastiques de littéraires de Lam et Césaire dialoguent sur le papier mais dans des contextes de création dissemblables.

Illustration de Wifredo Lam pour l'édition cubaine Retorno al païs natal

Illustration de Wifredo Lam pour l’édition cubaine Retorno al païs natal

Trois dessins de Lam sont inclus dans l’édition cubaine de Retorno al païs natal : un crocodile à tête de cerbère, un hybride complexe et un oiseau – lumière. Le texte a précédé l’image puisque Lam prend l’initiative de cette édition une fois rentré à Cuba et en conçoit les illustrations. Le rapport du texte à l’image n’est pas de l’ordre du descriptif et n’implique pas de mimétisme. L’autonomie de l’image par rapport au texte est totale.

Annonciation présente sept eaux – fortes. La composition est recherchée. Les nombreuses silhouettes claires  et les symboles familiers du peintre s’associent en des relations complexes sur des fonds sombres, brun foncé. L’image a précédé le texte. Wifredo Lam sollicite Aimé Césaire pour créer les textes qui accompagnent les gravures. La connivence artistique entre les deux hommes, l’harmonie amicale engendrent une alchimie somptueuse. (2).

Ils partagent en effet les mêmes valeurs. La révolte et l’engagement sont au cœur de leur création, arme miraculeuse pour l’un comme pour l’autre.

La peinture est l’une des rares armes qu’il nous reste contre la sordidité de l’histoire disait Aimé Césaire à propos de la peinture de Lam.

Armes de rêves et d’imagination, armes symboliques et non violentes…

mon frère

que cherches- tu à travers ces forêts

de cornes de sabots d’ailes de chevaux

 

toutes choses aiguës

toutes choses bisaiguës…

j’ai reconnu aux combats de justice

le rare rire de tes armes enchantées…

dit le poème Wifredo Lam  du recueil Annonciation.

Dominique Brebion

Aica Caraïbe du Sud

NOTES

1 BRETON André – Martinique Charmeuse de serpents Editions Jean Jacques Pauvert 1972. Première édition en 1947

2 MAXIMIN Daniel – Césaire et Lam, insolites bâtisseurs HC Editions 2011


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