Un récent classement fait apparaître que la france a perdu un quart de ses ventes et vient de rétrograder d'une place au classement mondial des exportateurs d'armes (voir par exemple le billet de Guisnel). J. Pellistrandi revient sur la question, merci à lui. O. kempf
La revue américaine Defense News vient de publier son classement annuel des 100 premières entreprises internationales du secteur de la défense pour l’année 2012. Au même moment, le rapport au Parlement sur les exportations d’armes a été présenté par le ministère de la défense, avec un bilan en demi-teinte, marqué par un chiffre en recul de 26% par rapport à 2011. La France a ainsi exporté pour 4,80 milliards d’euros d’équipements militaires, faisant de 2012 la plus mauvaise année depuis 2006, en l’absence de grands contrats signés l’année dernière.
Le Top 100 mondial ainsi dévoilé est particulièrement intéressant et reflète bien entendu la suprématie américaine avec 42 groupes industriels. Lockheed Martin, le constructeur du très controversé avion F 35 est en première position avec 95% de ses revenus provenant du marché de la défense et Boeing est en seconde position avec une part militaire limitée à 38%.
6 groupes français figurent dans ce palmarès, si on y inclut EADS présenté comme néerlandais en raison de son siège installé aux Pays-Bas et au septième rang mondial. Les autres groupes sont donc dans l’ordre décroissant, Thales (11°), DCNS (22°), Safran (25°), Dassault Aviation (55°) et enfin Nexter à la 70° place. Le Royaume-Uni figure en deuxième position avec 10 entreprises dont BAe installé à la troisième place.
Si le classement d’EADS n’est pas une surprise, il faut se réjouir de voir DCNS se maintenir et figurer comme l’un des tout premiers constructeurs navals mondiaux. Cette dimension maritime est trop souvent négligée dans notre approche de l’industrie de défense encore très tournée vers l’action terrestre. Cela prouve que l’industrie navale française est compétitive dans le secteur de la défense. Bien que ne figurant pas dans cette liste, il faut souligner ici que des chantiers comme Socarenam, Piriou ou Couach sont également très présents à l’exportation et contribuent également à la conquête de nouveaux marchés. La récente alliance DCNS-Piriou est à cet égard significative du besoin de « chasser en meute » en élargissant ainsi les catalogues de produits et de services proposés.
Pour l’armement terrestre, Nexter est le seul représentant français, avec une baisse continue de son classement, RTD-Panhard n’y figurant pas.
L’analyse succincte des sociétés montre bien l’impact de la haute technologie et le rôle d’intégrateur et de fédérateur des plus grosses entreprises liées à l’aérospatial. Derrière un Boeing ou en EADS, c’est une myriade de sous-traitants de tailles diverses qui bénéficient ainsi de l’effet de « masse critique » fourni par ces grands donneurs d’ordre. A l’inverse, les entreprises exclusivement centrées sur l’armement terrestre sont plus fragiles, à l’image de Nexter.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, en France, le premier bassin industriel est désormais autour de Toulouse avec Airbus notamment. Et une certaine pénurie de main d’œuvre qualifiée s’y fait d’ailleurs sentir.
Quelles sont alors les perspectives pour les années à venir concernant les groupes français ? Tout d’abord, ce seront bien les conclusions de la prochaine Loi de Programmation Militaire qui définiront le volume de commandes nationales et leur rythme de livraison. Il en est ainsi pour les FREMM de DCNS déjà réduites lors de la précédente LPM de 17 à 11 unités, mais aussi des A 400M pour Airbus Military. 50 A 400M étaient prévus initialement. Ce nombre sera-t-il revu à la baisse ou les livraisons finales seront-elles étalées au-delà de 2025 ? La réponse intéresse à la fois les opérationnels et les industriels, les intérêts des uns n’étant pas nécessairement identiques à ceux des autres. Et pour l’armement terrestre, Nexter et RTD attendent avec inquiétude les suites qui seront données aux programmes des VBMR pour remplacer les VAB quadragénaires et des EBRC pour se substituer aux vénérables AMX 10 RC.
Il ne faut pas se leurrer et bien considérer qu’une industrie de défense repose d’abord sur le client national. Penser que l’on pourrait se passer de commandes nationales est totalement irréaliste. L’exportation est cependant plus que jamais vitale, alors même que la compétition internationale se durcit avec d’une part le retour remarquée de la Russie et l’émergence de nouveaux concurrents, en particulier dans les domaines navals et terrestres comme la Corée du Sud et Israël.
Il reste à savoir si 2013 sera meilleur que 2012 pour la France. Le récent contrat signé avec les EAU pour la fourniture de 2 satellites militaires d’observation et l’acquisition de 17 radars mobiles sol-air est incontestablement un beau succès avec un montant de l’ordre du milliard d’euros. Mais, à l’inverse, l’annonce d’un nouveau retard d’un an dans le chantier de construction des sous-marins du type Scorpène pour l’Inde est inquiétant car il montre ainsi les difficultés liées au transfert de technologie lorsque les conditions techniques de départ ne sont pas réunies. Quel en sera l’impact sur la longue et délicate négociation autour du Rafale ?
Nul doute que ce bilan 2012, bien que ne bouleversant pas les classements, doit interpeler nos dirigeants. Nous avons une industrie de défense compétitive et performante, résultats de décennies d’efforts en recherche et développement et en investissements pour notre propre défense. Une baisse drastique de ces efforts, outre qu’elle signifierait très vite et inéluctablement un déclassement stratégique de notre pays, serait également un naufrage industriel majeur et irréversible.
Jérôme Pellistrandi