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Le touriste et l'issue (Steinhauer)

Publié le 12 août 2013 par Egea
  • Livre
  • Renseignement

Je suis un amateur de roman d'espionnage. La grande difficulté consiste à en trouver des bons, qui soient actuels. Du temps de la guerre froide, il y avait pléthore d'auteurs (Greene, Le Carré) qui profitaient du schéma général pour trouver des raffinements d'intrigue (et souvent, psychologiques) ravissant les lecteurs. Puis, avec l'après-guerre froide, nous avons eu du mal. Oh ! il y a eu la rafale de méchants terroristes prêts à faire sauter des bombes un peu partout, avec heureusement de super espions qui réussissaient à les trouver avant. Mais de moi à vous (inverse de "de vous à moi"), cela n'était pas très convaincant. Autrement dit, l'absence d'un vrai "méchant" gênait les auteurs.

Le touriste et l'issue (Steinhauer)
Le touriste et l'issue (Steinhauer)

Bine sûr, un Le Carré avait formé pas mal de tentatives pour trouver des solutions à cette difficulté : mais à chaque fois, il inventait une situation, un héros, une intrigue. Suffisant, mais pas assez systémique (par exemple ici). On avait eu P. Kemp, un de mes préférés (voir ici), dont je vous ai parlé régulièrement. DOA avait du nerf et de l'imagination, même si c'était plus du polar que du roman d'espionnage. Jon Stock renouvelait le genre de façon intelligente (voir ici).

Et voici Steinhauer, dont je viens de dévorer "Le touriste" et sa suite "L'issue", chez Pocket. Indispensable, et grand. Et vraiment, le nouveau John Le Carré. Ce n'est pas que de la pub.

Tout d'abord, l'invention d'une agence de renseignement particulière, dépendant de la CIA, qui fait penser au Cirque, l'agence discrète de Le Carré. Un héros qui transpire d'incertitudes psychologiques, à la fois excellent professionnellement et déjanté psychologiquement. Une écriture simple (pas comme ces romans américains où vous avez trois intrigues qui s'intriquent tous les trois chapitres, comme c'est désormais le tic d'écriture pour "faire durer le suspense et l’intérêt" gnagnagna). Ici, une écriture linéaire, à l'ancienne, puisque l'intrigue est suffisamment captivante pour qu'il ne soit pas besoin de l’entretenir artificiellement.

Et surtout, un personnage qui dure, et que l'on retrouve d'un livre à l'autre. Ce qu'on appelle un héros. Et un service américain qui se pose des questions sur son existence, comme le Cirque en sont temps, avec (l'issue) la grande question de la recherche de la taupe. Classique, certes, mais très bien fait.

Rien n'est vrai, et pourtant ces deux livres tout à fait contemporains (2007 et 2008) évitent l'écueil du terrorisme. Dans l'Issue, un adversaire chinois est ébauché, mais ce n'est pas l'incarnation du mal comme on pourrait le craindre d'un américain. De l'espionnage au temps de la mondialisation, de la fin des idéologies, du cynisme généralisé, de la guerre économique... Et où il faut quand même faire des choix "moraux" alors qu'il n'y a plus de bien ni de mal. Plus de schéma mais qu'il faut s'espionner. Faire confiance. Ou pas.

En fait, Steinhauer est un américain qui vit en Europe. L'intrigue se déroule en Europe (Paris, Venise, Budapest, Munich) et on sait que l'auteur ne fantasme pas ces villes et qu'il décrit les rues qu'il a vues (pas comme certains romans qui nous font balader du Louvre à Saint Sulpice sans savoir qu'il y a une rive Gauche). Cette double culture, la critique sous-jacente des excès US (et notamment la lutte incroyable entre services) (et si la DGSE et le BND sont évoqués, ce n'est pas de façon caricaturale) font de l'auteur un écrivain atypique : de là son talent, l'intrigue serrée et subtile, et ce vague sentiment de "fin d'empire" qui fait irrémédiablement penser, encore, à Le Carré : autant celui-ci décrivait la lente descente anglaise, autant Steinhauer décrit, inconsciemment, l'impossibilité de tout étreindre de l'empire américain. Mais avec une intelligence qui permet de ne pas verser dans la critique brute (puisqu'à la fin, le tourisme gagne).

Milo Weaver est le nouveau George Simley.

A lire. Et je vais m'acheter l'étau, le troisième volume de la trilogie.

O. Kempf


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