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L'ennemi de la société ouverte est l'ennemi du libéralisme

Publié le 13 août 2013 par Copeau @Contrepoints

Le combat contre le socialisme n'est pas l'alpha et l’oméga du libéralisme. Et ce n'est même pas son combat prioritaire. Son combat est de lutter contre tous les ennemis de la société ouverte, qui se retrouvent partout à travers le spectre politique.

Par Jose López Martínez.

En contrepoint de l'article de Jean Robin : L'ennemi du libéral est le socialiste, pas le libéral-conservateur.

Hier, Contrepoints publiait une tribune de Jean Robin, président de Contre-Attaque, un collectif visant à réunir des personnes issues de la droite, des conservateurs, des gaullistes, etc. Mais aussi des libéraux. Réagissant au débat qui réapparaît régulièrement dans le milieu libéral à propos de la compatibilité pouvant exister ou non entre libéralisme et conservatisme, Jean Robin rappelait dans un premier temps que nombre de grandes figures politiques admirées par les libéraux étaient issues du milieu conservateur. Il poursuivait ensuite par un appel à une sorte d'union sacrée entre conservateurs et libéraux ayant pour objectif prioritaire, au-delà de leurs divergences, de terrasser l'hydre socialiste, considérée comme le mal numéro un.

Il ne fait aucun doute que le socialisme, c'est le mal. Contrepoints n'est pas le dernier endroit où l'on admettra cette évidence. Et l'association Libéraux.org, au travers de ses différentes composantes (forum, encyclopédie, journal, librairie, etc.), n'est pas la dernière à critiquer cette idéologie néfaste. Partant du fait que les libéraux français pourraient aisément tenir leur assemblée générale dans une cabine téléphonique (pour nos jeunes lecteurs, il s'agit de ceci), l'appel à la réunion des forces pour combattre le socialisme semble frappé du coin du bon sens. Comme il apparaît parfaitement raisonnable de faire abstraction de nos différences, sans jamais les gommer, afin de se focaliser sur cet objectif premier.

Au niveau du pur plan politique, on serait tenté d'être assez d'accord avec cette vision des choses. Les alliances entre partis différents mais proches par certains aspects sont la base même de la victoire électorale et de la mise en œuvre d'un programme politique. Seulement, le combat libéral ne se limite pas au seul champ politique et est d'abord et avant tout un combat d'idées. Et l'idée principale du libéralisme est la défense de la société ouverte grâce au contrôle strict du pouvoir de l'État. Alors, oui, le socialisme, selon cette optique, est un redoutable ennemi du libéralisme. Le plus formidable actuellement. Mais il n'est pas le seul. Et il ne fut pas le premier. Est ennemie du libéralisme, toute idée politique, sociale, économique ou philosophique qui promeut l'intervention de l'État dans ce que l'on appellera, faute de mieux, une démarche « constructiviste », hors d'étroites limites bien circonscrites et réglées strictement à minima. Or, il se trouve que, vu sous cet angle plus large, si le socialisme est bien un ennemi clairement identifié du libéralisme, le conservatisme ou, du moins, une certaine conception du conservatisme en est un autre.

Leviathan

Quel est le problème du conservatisme, ou plutôt d'un certain conservatisme adopté, hélas, par un grand nombre de ceux qui revendiquent l'étiquette de libéral conservateur ? Quand Jean Robin écrit que l'on peut être « à la fois conservateur et libéral, à la fois pour la préservation des valeurs humaines et pour le développement économique », il reprend la formulation courante que l'on entend souvent dans la bouche de certains : libéraux en économie et conservateurs en matière de mœurs ou de questions de société. Sauf qu'en disant cela, on ne dit rien, ou seulement la moitié. En effet, quand on se dit libéral en économie, tout le monde sait de quoi on parle : faire confiance aux individus qui choisissent et agissent librement sur le marché et méfiance envers toute action de l'État dans le domaine économique. Par contre, se dire conservateur en morale ou être en faveur de la préservation de « valeurs humaines », on ne sait pas trop à quoi cela fait référence. Est-ce une position morale et philosophique qui fait confiance à l'organisation spontanée entre individus libres ou est-ce, au contraire, une attente d'action coercitive de l'État en vue de faire respecter un code précis de valeurs par l'ensemble de la population ?

Dans le premier cas, on reconnaît que la société possède son propre rythme d'évolution et que la prudence, la retenue et l'humilité à l'égard des processus sociaux sont les meilleures politiques que l'on peut suivre comme mode de gouvernement. On reconnaît également que les mœurs et les valeurs morales, comme le langage, naissent de l'interaction libre et spontanée entre les individus et non pas d'une codification imposée par la force, qui n'est qu'une simple reconnaissance officielle a posteriori. Comme le dictionnaire de l'Académie française ne crée pas la langue ni ne peut la figer. Dans ce cas, non seulement le libéral conservateur fait partie intégrante de la famille libérale mais le libéralisme devient la meilleure voie du conservatisme. Dès lors, il n'est même plus besoin de faire appel à une union sacrée entre libéraux conservateurs et libéraux, puisque sans objet.

Par contre, dans le second cas, on estime que l'État posséderait dans ses attributions la création, la gestion, la conservation, mais surtout l'imposition de schémas moraux, de « valeurs humaines », d'identité de la société, de modèle de famille, d'homogénéité religieuse ou « ethnique », etc. Et là, bien sûr, on se retrouve non seulement en claire opposition au libéralisme, mais même avec le conservatisme, car devant un constructivisme réactionnaire qui défend l'action de l'État pour obliger les individus à se conformer à un modèle idéalisé d'une société fantasmée. Dans ce cas, on voit mal ce que gagneraient les libéraux dans une alliance – même contre l'ennemi commun qu'est le socialisme – avec des « conservateurs » fourvoyés dans l'erreur.

Non, le combat contre le socialisme n'est pas l'alpha et l’oméga du libéralisme. Et ce n'est même pas son combat prioritaire. Son combat est de lutter contre tous les ennemis de la société ouverte, qui se retrouvent partout à travers le spectre politique, comme les socialistes se retrouvent dans tous les partis, ainsi que l'indiquait Hayek. Alors, s'il est concevable de proposer une alliance tactique au niveau politique entre un parti libéral et d'autres éléments de la droite en vue d'une stratégie globale de conquête démocratique du pouvoir contre le socialisme, il n'y a aucun sens à faire de même au niveau plus général du combat d'idées. À ce niveau, le « conservateur » qui prétend interdire l'immigration pour préserver une soi-disant identité nationale, bafouer les droits des fidèles d'autres religions, pénaliser des adultes responsables qui consomment des produits abusivement déclarés illégaux, etc. est un ennemi idéologique du libéral aussi redoutable que le socialiste.

Malheureusement, le panorama politique français n'est pas des plus réconfortants à cet égard. La preuve en creux est la petite liste des personnalités politiques libérales conservatrices citées par Jean Robin : trois noms, trois Anglo-saxons. Car la culture politique anglo-saxonne a conservé, jusqu'à récemment du moins, une véritable tradition du conservatisme libéral qui fait sien, tout comme le libéralisme, ce vieux proverbe chinois que j'ai inventé ce matin « Ne fais rien et tout sera fait. » Par contre, en France où la droite n'est ni libérale ni conservatrice – pour diverses raisons politiques et historiques –, c'est le désert aussi bien politique qu'intellectuel et le véritable libéral conservateur y fait figure de poisson volant – il existe bien, mais il est très loin de représenter le genre.

C'est pourquoi, tout en lui demandant de bien vouloir excuser l’impertinence, on se permettra de donner un conseil à Jean Robin : avant de vouloir forger une alliance entre libéraux et conservateurs, il serait bon que ces derniers ou que ceux qui s'arrogent cette dénomination clarifient leurs idées et leur positionnement politique. Car si l'on peut gagner une élection sur un simple programme négatif et une croisade contre un ennemi commun, cela n'en fait pas pour autant un vrai projet de société compatible avec les idées libérales. Et on ne voit pas pourquoi les libéraux devraient acheter un chat dans un sac. Ni pourquoi ils devraient s'abstenir de critiquer les conservateurs ou prétendus tels lorsque ces derniers présentent des dérives liberticides. En fin de compte, qui aime bien, châtie bien.


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