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Renouer avec l’histoire de l’immigration

Publié le 19 juillet 2013 par Aude Mathey @Culturecomblog

A l’occasion de la sortie de la première campagne de communication de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration au Palais de la Porte Dorée, Mercedes Erra, présidente du conseil d’administration de la Cité, fondatrice de Betc et présidente exécutive d’Havas Worldwide, a pris le temps de répondre à nos questions. Une exclusivité Culture et Communication.
Image de titre : Palais de la Porte Dorée – Musée national de l’histoire de l’immigration © Cyril Sancereau

Culture et Communication : Cette première campagne de communication dans l’histoire du musée est le résultat d’un constat. Quel est-il ? Un manque de notoriété auprès du grand public ? Ou auprès des français issus de l’immigration ? Ou encore une extension de budget ? (rires)

Mercedes Erra : Le projet du musée – car avec la nouvelle campagne la Cité, pour des raisons de positionnement, est devenue le musée de l’histoire de l’immigration – a débuté en 2004. Malheureusement, il n’a jamais eu les moyens de se mettre en avant. Son budget, extrêmement limité, contribue surtout à financer l’exposition permanente, qui évolue sans cesse afin de toujours intéresser un public fidèle, et une grande exposition temporaire annuelle ( en 2012 : J’ai deux amours et à venir en 2013 : la BD et l’immigration).

Un français sur quatre est issu de l'immigration © Musée de l'histoire de l'immigration-Palais de la Porte Dorée

Un français sur quatre est issu de l'immigration © Musée de l'histoire de l'immigration-Palais de la Porte Dorée

Il reste par conséquent très peu de budget pour la communication et la Cité n’a donc jamais eu les moyens de se faire connaître.  Cette campagne arrive d’autant plus à point nommé qu’aujourd’hui il se pose des questions sur l’immigration, du fait d’une inquiétude grandissante de la population à la vue de la montée du chômage, la durée de la crise et la forte résurgence des nationalismes. Pourtant, l’immigration a structuré la France. Depuis la révolution industrielle, période où nous avons manqué de bras, nous avons lancé des vagues successives d’immigration. Celle-ci est donc historiquement ancienne. D’ailleurs un quart des français est issu de l’immigration. Ce thème est donc un vaste sujet d’exploration, auquel se mêle également le concept d’intégration – très français.

En tant que présidente du conseil d’administration, je me suis donc engagée à donner à ce musée l’ampleur qu’il mérite. Puisque je suis aussi la fondatrice de l’agence Betc, j’en ai profité pour mettre les équipes de l’agence sur ce projet, à travers un mécénat de compétences. Nous avons commencé par modifier le nom de la Cité pour un nom plus simple et plus fort, celui du musée de l’histoire de l’immigration, en assumant ce rôle de musée. Nous avons accolé cette nouvelle appellation à celle du Palais pour deux raisons. La première est que le Palais de la Porte Dorée est un ancien palais colonial construit pour rendre hommage aux colonies dans les années 30. Le parallélisme entre la vision des immigrants d’hier et aujourd’hui ainsi que son évolution nous intéressait. La deuxième raison est un atout certain pour le public : ce dernier sait où nous sommes situés, comme cela est le cas pour le musée du quai Branly ou encore le château de Versailles.

Au-delà de la création de la campagne, comment avez-vous géré sa diffusion ? A-t-on affaire là aussi à un mécénat de compétences ?

Tout-à-fait. J’ai contacté mon réseau et nous avons pu développer de très bons partenariats avec la RATP, JC Decaux ainsi que des journaux comme Le Monde, TV Magazine et Psychologies. Ces entreprises nous ont permis de bénéficier gratuitement d’espaces publicitaires que ce soit en affichage ou en presse. La campagne n’aura donc pas coûté un sou au musée.

Nos ancêtres n'étaient pas tous gaulois © Musée de l'histoire de l'immigration-Palais de la Porte Dorée

Nos ancêtres n'étaient pas tous gaulois © Musée de l'histoire de l'immigration-Palais de la Porte Dorée

J’ai été très touchée par l’engouement suscité autour de cette campagne. Ces partenaires ont démontré qu’ils comprenaient l’importance de la place de l’immigration dans notre société. JC Decaux s’est par exemple engagé dans cette campagne car l’entreprise a un lien fort avec l’immigration : ce sont les immigrés qui ont nettoyé pendant très longtemps les panneaux Decaux. Cette  campagne de générosité a touché beaucoup de gens et pasque le public issu de l’immigration. Elle est présente au coeur de Paris mais aussi des banlieues. Nous serons également présents à l’arrivée du Tour de France, ce qui est un geste symbolique très fort car c’est un événement très populaire. Nous n’aurions pas pu rêver mieux.

Cette campagne a aussi été reprise de nombreuses fois sur la Toile, par des internautes qui, indirectement, sont devenus des combattants, des militants de notre cause. Notre projet, pour rappel, est de montrer l’importance de l’histoire de l’immigration dans la cohésion sociale et républicaine. L’accueil fait partie de nos valeurs.

Cette campagne, quoique humoristique, est tout de même très politique, l’exemple en est du visuel « L’immigration, ça fait toujours de histoires ». Avez-vous eu un soutien du ministère pour cette campagne ?

L'immigration ça fait toujours des histoires © Musée de l'histoire de l'immigration-Palais de la Porte Dorée

L'immigration ça fait toujours des histoires © Musée de l'histoire de l'immigration-Palais de la Porte Dorée

Nous ne sommes pas dans l’idéologie mais dans les faits. Il nous a semblé important de nous appuyer sur ces faits pour construire notre campagne. Ainsi, un français sur quatre est issu de l’immigration est un fait. Et c’est d’autant plus important que l’on a fini par l’oublier. Notre rôle est aussi de rappeler ce genre de faits. L’autre visuel « Ton grand-père dans un musée »fait surtout référence à notre public, que nous connaissons bien. Même si nous avons un problème de notoriété et de trafic, ce qui a conduit à cette campagne, notre public est très différent des musées traditionnels. C’est en grand partie un public social, du fait de ses liens avec l’immigration. C’est aussi un public de groupes, les personnes y viennent grâce à des associations et c’est un moment qu’ils partagent ensemble. Enfin, ce sont aussi les enseignants et leurs élèves. Beaucoup de professeurs d’histoire et de philisophie pensent que ce musée apporte une ouverture d’esprit à leurs élèves, ouverture d’autant plus importante dans notre contexte actuel.

Cette campagne a donc essayé d’être factuelle. Nous avons eu le soutien de l’État, comme beaucoup d’autres musées, mais il n’est pas intervenu dans la campagne. Ce sont plutôt nos valeurs du vivre ensemble et de la démocratie de la diversité que l’État nous accompagne. Cela n’a pas empêché néanmoins qu’Aurélie Filipetti, notre ministre de la culture, soit touchée par la campagne et le musée car cela lui rappelait l’histoire de son père.

Le seul visuel qui n’est pas factuel en effet est celui qui dit que l’immigration crée des histoires. Et c’est vrai que cela crée des histoires et ce, à plusieurs niveaux : des histoires personnelles qui touche chaque personne, des histoires avec le pays dans lequel elle s’est intégrée et bien sûr des histoires dues à la nervosité ambiante qui fait que ce sont souvent des personnes rejetées.

A mon sens, cette campagne a surtout quelque chose de courageux. Il faut assumer sa force et ses valeurs d’accueil.

Enfin, quel conseil donneriez-vous à d’autres musées de taille similaire qui souhaitent lancer une campagne sans forcément en avoir le budget ?

Selon moi, dans la vie, beaucoup de choses sont une question d’énergie.

Ton grand-père dans un musée © Musée de l'histoire de l'immigration-Palais de la Porte Dorée

Ton grand-père dans un musée © Musée de l'histoire de l'immigration-Palais de la Porte Dorée

Pour une campagne de communication, il faut d’abord prendre quelqu’un de la partie. Nous avons montré avec le musée de l’histoire de l’immigration qu’une campagne de communication bien faite était utile et touchait les gens.

Deuxième point, ne pas hésiter à faire appel au mécénat de compétences qui est très brillant et malheureusement sous- exploité. Les gens sont prêts à se laisser convaincre si on a du coeur, si on partage son projet avec passion.

Chez Betc, nous faisons beaucoup de mécénat de compétences. Nous avons travaillé pour la BNF, le château de Versailles à la demande de Jean-Jacques Aillagon, le Grand Palais pour Jean-Paul Cluzel. Ce mécénat est pris sur le temps de travail des salariés et ces derniers choisissent sur quels projets ils souhaitent s’investir. Nous avons une très forte adhésion du personnel parce que justement les projets ont du coeur. Nous contribuons quand nous le pouvons. Par contre, les espaces publicitaires, par exemple, ne sont pas toujours offerts. Certains musées en ont clairement le budget, pas comme celui de l’histoire de l’immigration. Il faut être raisonnable dans son investissement personnel.

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Mercedes Erra

Mercedes Erra © DR

Mercedes Erra © DR

Mercedes Erra est Fondatrice de BETC, première agence française de publicité, et Présidente Exécutive de Havas Worldwide. Elle est également Présidente d’Honneur de l’Association HEC. Mercedes Erra est Officier de la Légion d’Honneur et Officier dans l’Ordre National du Mérite.

Mercedes est née en Catalogne et arrivée en France à l’âge de six ans.  Diplômée d’HEC et de la Sorbonne (Maîtrise et CAPES de lettres), elle enseigne en 3ème cycle (DESS de Marketing et Communication des Entreprises) à l’Université de Paris 2 (Assas). Elle est souvent consultée sur des sujets de connaissance du consommateur, et sur tous les sujets touchant à la stratégie des marques.

Mercedes Erra est spécialisée dans la construction et la gestion des grandes marques.  Elle a créé à ce titre BETC Consulting et BETC Consumer Intelligence, entités orientées vers l’expertise consommateur et marque. Elle a contribué à d’importants tournants stratégiques pour les marques dont elle s’est occupée (la santé pour Danone, la jeunesse pour Evian, la vision d’Air France – faire du ciel le plus bel endroit de la terre, McDonald’s « venez comme vous êtes ».).

L’agence qu’elle a fondée, BETC, est devenue en 15 ans première agence française, classée deuxième agence créative au monde en 2010 (Gunn Report) et élue meilleure agence créative en France par CB News pour la 13ème fois en 16 ans.

A titre personnel, Mercedes est engagée dans le Women’s Forum for the Economy and Society dont elle est l’un des membres fondateurs, dans le nouveau  forum Osons la France, dans l’UNICEF, dans la Fondation ELLE. Elle est également membre actif du Comité français de Human Rights Watch.

Par ailleurs, Mercedes Erra a été nommée Présidente du Conseil d’Administration de la Cité Nationale de l’histoire de l’Immigration en janvier 2010 et est devenue Présidente du Conseil d’Administration de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée en 2012. Elle est également administratrice des groupes Accor, Havas, de la Société de la Tour Eiffel  et de La Fondation France Télévisions depuis 2011.

Mercedes est maman de cinq enfants.


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