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Des expositions bien peu académiques ?

Publié le 09 juillet 2013 par Aude Mathey @Culturecomblog

Suite à un article du Monde sur la Royal Academy of Arts, qui semble-t-il soit victime de son succès, j’ai souhaité m’intéresser de plus près au fonctionnement des académies,  et pour qu’elles soient comparables, britanniques et française. Que ce soit  la Grande-Bretagne ou la France, de part et d’autre de la Manche, chaque pays a son académie des Beaux-Arts, que ce soit l’académie du même nom en France ou la Royal Academy of Arts au Royaume-Uni. Et comme souvent, deux visions s’affrontent.

Qu’est-ce qu’une académie des Beaux-Arts ?

L’origine et fonctionnement des deux académies (française et britannique) sont assez similaires. Leur  création intervient vers la fin du XVIIème siècle pour l’Académie royale de peinture et de sculpture ancêtre de l’Académie des Beaux-Arts (créée sous Napoléon 1er) et à la fin du XVIIIème siècle pour la Royal Academy of Arts, soit en plein essor de l’art académique.

Alexandre Cabanel, La naissance de Vénus, 1863

Alexandre Cabanel, La naissance de Vénus, 1863

L’art académique (v.1830-1918) est l’expression artistique produite sous l’égide d’une institution organisant le système des Beaux-Arts. Le plus souvent, en histoire de l’art notamment, l’expression art académique recouvre les courants qui, après le Néoclassicisme et après l’apogée du Romantisme, dominent la peinture occidentale du milieu du XIXe siècle, sous l’influence des Académies d’Europe dédiées aux Beaux-Arts et en particulier de l’Académie des beaux-arts française, alors la plus rayonnante. Ainsi, parmi les artistes emblématiques de l’art académique, figurent les peintres français du Second Empire, Alexandre Cabanel, William Bouguereau et Jean-Léon Gérôme. En sculpture, elle se caractérise par une tendance à la monumentalité, représentée entre autres par les sculpteurs Auguste Bartholdi ou Emmanuel Frémiet. L’académisme est caractérisé par un goût très fort pour les thèmes historiques et le goût pour l’orientalisme.

Les deux académies, au-delà de la défense et de la promotion d’un certain type artistique – promotion qui a perduré jusqu’à la moitié du XXème siècle, sont toutes deux des structures indépendantes du pouvoir politique (bien que l’Académie française des Beaux-Arts perçoive des subventions, elle dépend avant tout de l’Institut de France, abritant sous égide plusieurs fondations. La Royal Academy, elle, n’en reçoit aucune) et avec un pouvoir de consultation auprès de ce même pouvoir politique.

Les membres de ces académies (majoritairement voire exclusivement masculins) sont nommés entre pairs et se réunissent en séances afin de débattre de sujets d’actualité sur le domaine qui les occupent. Les académies, dans le cadre de leur mission qui est également de faire connaître l’art national et de proposer des contenus pédagogiques, organisent des expositions, des remises de prix à de jeunes artistes voire proposent des résidences.

Rendre l’art attractif ou oeuvrer dans l’ombre ?

Néanmoins, bien que de telles similitudes existent entre ces deux institutions, c’est la stratégie actuelle qu’elles mettent en oeuvre afin de remplir leur mission qui les sépare.

L’académie française des beaux-arts, plus tournée vers les artistes, est assez peu connue du grand public et communique très peu des exposition qu’elle organise avec la Fondation Marmottan-Monet au musée Marmottan, quant aux prix, n’en parlons pas. Son homologue britannique, quant à elle, organise des expositions événements, véritables usines à succès, qui ne sont cependant pas financées par l’argent public. En effet, la Royal Acadaemy élabore un modèle commercial très rentable. Puisqu’elle ne touche pas un centime d’argent public, elle dépend en grande partie des recettes de ses expositions et parvient à faire tourner la billetterie à plein régime. Le succès public attire aussi les dons de généreux donateurs. Enfin, certaines salles de Burlington House sont louées – une fortune – pour des réceptions privées, tandis qu’une partie du bâtiment est occupée en permanence par la galerie d’art contemporain Pace. « C’est la réalité commerciale de notre monde », assume Christopher Le Brun, le président. Qui poursuit : « Nous faisons aujourd’hui partie du top 5 des musées de Londres, avec la National Gallery, le British Museum, la Tate Gallery, et le V&A »

Cependant, cette vision événementielle qui ne ferait ressortir que certains grands artistes, sans s’attaquer à la diversité de l’art contemporain (car c’est là aussi tout le défi de ce type d’institution), pose problème. La mission de l’académie n’est plus tant ici que de prendre des risques en découvrant et récompensant de nouveaux artistes, mais assurer sa survie et partant, tellement préoccupée par celle-ci, elle n’a dès lors plus les moyens nécessaires d’octroyer un peu de place à ces autres missions.

De l’autre côté, la situation n’est guère plus brillante. Même si l’Académie française, par la voix de Pierre Rosenberg, dénonce les grandes expositions qu’elle accuse de vider les musées, elle ne peut se targuer de remplir sa mission qui est de faire connaître les artistes des beaux-arts au grand public. Les expositions à la salle Comtesse de Caen du palais de l’Institut, où sont  présentés les lauréats des différents prix, sont désespérément vides et le musée Marmottan-Monet, bien que présentant des artistes parfois un peu moins connus du grand public, se centre encore beaucoup – du fait de sa collection – sur les impressionnistes. Ce n’est en effet pas ça non plus que l’on peut appeler une prise de risque.

Les académies ont-elles encore un rôle à jouer ?

Summer Exhibition - Royal Academy of Arts ©  Royal Academy of Arts

Summer Exhibition - Royal Academy of Arts © Royal Academy of Arts

Partir sur une si brève analyse et sur uniquement deux académies pour décider de leur sort serait bien présomptueux. Cependant, force est de constater que ces deux institutions semblent avoir perdu en chemin soit un peu de leurs missions, soit ne pas (plus ?) savoir comment s’y prendre pour se faire connaître auprès du grand public. Il est vrai que, dans le  cas de la Royal Academy of Arts, on ait plus l’impression d’assister à des expositions blockbusters d’artistes à la renommée mondiale dont on sait indubitablement qu’ils feront venir le public en masse, les autres artistes à découvrir étant entassés dans le cadre de la Summer Exhibition, sorte de pêle-mêle infâme dans lequel le visiteur lambda est bien en peine de distinguer quoi que ce soit. Son envie de renouer avec des artistes contemporains lancée par Hugh Casson, alors président à la fin des années 1970, a malheureusement débouché sur la facilité du revenu rapide. Non pas que les artistes sélectionnés pour les expositions ne soient pas intéressants, au contraire, mais ils sont déjà tellement présents dans de nombreuses autres institutions que l’on ne peut que déplorer le manque de diversité de contenu proposé par Burlington House (le château où sont organisées les expositions de la Royal Academy). C’est ainsi que pour le sculpteur Antony Gormley, les grandes expositions sont trop ouvertement commerciales et ont perdu leur objectif artistique. « Elles devraient être beaucoup plus pointues. Actuellement, nous ne faisons que renforcer des clichés sur l’importance supposée de certains artistes. Or la Royal Academy se doit de montrer des oeuvres pour de bonnes raisons, pas simplement pour faire venir la foule. »

Mais ce n’est pas pour autant que l’Académie française des Beaux-Arts tire son épingle du jeu. A contrario, en ne communiquant jamais ou très peu – via un bureau de presse assz bailloné – ses expositions sont assez peu courues, si on ne prend pas en compte bien sûr le Musée d’Orsay qu’elle a contribué à créer mais avec lequel elle n’a aucun lien structurel. Les travaux et les réflexions de l’académie sont assez peu divulgués au grand public et restent dans le domaine restreint des professionnels. On voit ainsi assez peu comment, dans ce cadre, elle peut « contribuer à la défense et à l’illustration du patrimoine artistique de la France, ainsi qu’à son développement, dans le respect du pluralisme des expressions », telles que ses missions sont définies dans ses statuts. Dans ce cadre-ci aussi, on constate un manque de prise de risque. En effet, celui-ci va de pair avec la défense et l’illustration des artistes et du patrimoine artistique français. Or ces deux missions ne sont, à mon sens, pas assez assumées via les quelques prix et les (petites) expositions au Palais Conti.

Les académies ont-elles perdu la foi en chemin ? N’est-il pas possible de concilier expositions d’artistes courus et d’autres plus confidentiel ? Ne peut-on réinventer notre patrimoine ? Là réside tout leur défi.


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