La genèse d’un lien social qui dépasse la famille ou le clan est, depuis JJ Rousseau, une préoccupations des juristes et des philosophes. Michel Serres, avec “Le contrat naturel” (Flammarion, 19992), que je relis en ce moment, y rajoute sa pierre.
Il l’illustre d’un tableau (ou d’un fragment de tableau) de Goya dans lequel deux individus se battent à grands coups de bâtons, enfoncés jusqu’aux genoux dans un bourbier ou des sables mouvants: “A chaque mouvement, un trou visqueux les avale, de sorte qu’ils s’enterrent ensemble graduellement. A quel rythme ? Cela dépend de leur agressivité: à lutte plus chaude, mouvements plus vifs et secs, qui accélèrent l’enlisement. L’abîme où ils se précipitent, les belligérants ne le devinent pas: au contraire, de l’extérieur, nous le voyons bien”.
Il oppose l’anomie généralisée où chaque clan assaille les autres, en hostilité “naturelle” et permanente, la Somalie actuelle en étant un exemple poignant, à la guerre qui suppose un contrat préalable de cohabitation raisonnée.
Plus loin, il transfère la problématique au dialogue dans lesquels les deux opposants “luttent ensemble, dans le même camp, contre le bruit qui pourrait brouiller leur voix et leurs arguments” et l’illustre: “Le soir, dans les foyers, la clameur de la télévision fait taire toute discussion. Une vieille publicité de “La voix de son maître” montre un chien assis très sage devant un pavillon de gramophone; nous voici devenus d’obéissants chiots écoutant, passifs, le chahut de nos maîtres”.
Plus loin encore, il montre comment la science, les “lois de la nature”, supplantent peu à peu le droit et en arrive au principe de raison qui “décrit le contrat naturel” sans lequel la nature nous engloutira parce que nous l’aurons détruite.
Ces quelques lignes indignes appauvrissent ce tonique petit ouvrage. J’espère néanmoins donner envie de le lire à tous ceux qui réfléchissent aux origines et à l’évolution du droit.