La maladie appelle une compassion assez naturelle. Les gens y sont sensibles. Alors que face au handicap, on constate toujours un mouvement de recul, que j'ai eu longtemps aussi. Il y a quelque chose de figé, d'irréversible dans le handicap. Les autres ont peur de cette différence. Moi, j'ai vraiment vu la cassure, car pendant longtemps j'ai dit que ma fille était malade. Mais aujourd'hui, je pense qu'elle est beaucoup plus dans une forme de handicap que de maladie. Et j'avoue que ça me coûte de l'annoncer, par crainte des réactions. Mais je me fais violence, car c'est important d'affirmer cette vérité : c'est une éducation du cœur aussi.
Le regard des autres fait partie des petites montagnes à gravir au quotidien, dans une société qui, plus généralement, ne se rend guère accessible aux personnes handicapées.
On a essayé de nous faire croire qu'une belle vie était une vie facile. Mais c'est la plus grande cause d'une société dépressive : car au premier couac, on se dit dommage pour moi, j'ai raté le coche. Il n'y a pas d'un côté une vie belle, de l'autre une vie moche. La vie est belle quoiqu'il arrive. Notre société nous fait confondre bonheur et idéal : être heureux est devenu quelque chose que l'on doit atteindre, en cochant des cases.
Ce qu'on nous propose, ce sont des codes de réussite sociale. J'ai appris à m'en affranchir. Certaines personnes se contentent de peu pour être heureuses. Les enfants ont cette capacité-là et certains adultes la conservent. Le bonheur devient simplement le but du quotidien. Chaque jour, on a de quoi être heureux, au moins un petit instant.
Anne-Dauphine Julliand
(La Vie)