Du Grenelle de l'environnement au Conseil national de la transition écologique

Publié le 18 août 2013 par Arnaudgossement

Le Ministère de l'écologie vient de publier au Journal officiel, le Décret n° 2013-753 du 16 août 2013 relatif au Conseil national de la transition écologique. Retour sur un texte important mais décevant.


Un peu d'histoire (récente)

Il est utile de rappeler les évènements qui ont conduit à la création du Conseil national de la transition écologique. Ce qui permet d'apprécier la portée du texte publié ce matin.

Il convient de rappeler qu'au lendemain du Grenelle de l'environnement, ses participants étaient tombés d'accord sur l'idée de prolonger et d'institutionnaliser le dialogue environnemental qui s'était noué entre tous les acteurs du développement durable, de juin à octobre 2007.

Deux institutions devaient permettre de poursuivre ce dialogue. Le Conseil économie, social et environnemental (CESE) tout d'abord. Malheureusement, au lendemain de la révision constitutionnelle destinée à moderniser le CESE, le spectacle donné par le Gouvernement qui n'a pas résisté à la vieille tradition d'offrir un strapontin aux amis du pouvoir, a porté un rude coup à la crédibilité de ce qui devait préfigurer l'académie du futur, décrite par Pierre Rosanvallon. La création d'un conseil du Grenelle de l'environnement devait quant à elle, contribuer à placer le développement durable au cœur du Gouvernement.

Malheureusement, l'ambition de donner un siège au dialogue environnement s'est, par la suite, essouflée. Deux écoles se sont affrontées parmi les personnes qui ont contribué, de 2007 à 2009, à la rédaction de la loi "Grenelle I".

La première proposait l'organisation d'un véritable dialogue environnemental. Si le progrès du droit social dépend de la qualité du dialogue social, celui du droit de l'environnement dépend de la qualité du dialogue environnemental. La conférence des parties prenantes du grenelle ne devait donc pas se réduire à un comité Théodule de plus au sein du Ministère de l'écologie. Elle devait permettre de mettre le développement durable au centre du dispositif gouvernemental, grâce à la création d'une institution interministérielle, chargée d'aider, non seulement à la mise en œuvre, mais à la conception des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

La deuxième école tendait à l'inverse à une simple rénovation de l'ancien conseil national du développement durable, créé en 2003. Ce dernier avait lui-même succédé au "Comité français pour le sommet mondial du développement durable" créé pour préparer le sommet mondial de Johannesburg de 2002. Ils avaient l'un et l'autre pour intérêt d'être placés près du Premier ministre et d'avoir ainsi un caractère interministériel. Malheureusement, leurs réunions et travaux sont restés assez confidentiels. Cette deuxième école portait donc une réforme beaucoup moins ambitieuse qui réduisait le processus du grenelle à nouveau comité présidé par le Ministre de l'écologie.

C'est pourtant cette deuxième école qui s'est imposée.

Ainsi, si la loi n°2009-967 "du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement" a effectivement prévu la création d'une "conférences parties prenantes du grenelle de l'environnement", elle a strictement borné sa compétence. Son article 1er précise :

"(...) Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.
La stratégie nationale de développement durable et la stratégie nationale de la biodiversité sont élaborées par l'Etat en cohérence avec la stratégie européenne de développement durable et en concertation avec les représentants des élus nationaux et locaux, des employeurs, des salariés et de la société civile, notamment des associations et fondations visées au deuxième alinéa de l'article 49 de la présente loi.
L'Etat assure le suivi de leur mise en œuvre au sein d'un comité pérennisant la conférence des parties prenantes du Grenelle de l'environnement (...)"

La Conférence des parties prenantes du Grenelle n'avait donc plus pour seul rôle que d'assurer la mise en œuvre des politiques publiques liées au développement durable.  La loi "Grenelle I" du 12 juillet 2010 n'a, pour sa part, pas poursuivit ce chantier.

C'est par un décret n°2010-370 du 13 avril 2010 qu'a été créé le "Comité national du développement durable et du Grenelle de l'environnement" présidé par le Ministre de l'écologie et regroupant les collèges du Grenelle de l'environnement. Un forum où il est possible d'interpeller le ministre de l'écologie et de glaner des informations. Les médias ne se sont que très rarement intéressés à ces travaux.

La loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 "relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement" avait donné une valeur législative à ce Comité et changé son nom. L'article 13 de cette loi précise :

"Le titre III du livre Ier du code de l'environnement est complété par un chapitre III ainsi rédigé :

« Chapitre III
« Conseil national de la transition écologique

« Art. L. 133-1.-Le Conseil national de la transition écologique est présidé par le ministre chargé de l'écologie ou son représentant.
« Il peut décider de la création de formations spécialisées permanentes en son sein.
« Art. L. 133-2.-Le Conseil national de la transition écologique est consulté sur :
« 1° Les projets de loi concernant, à titre principal, l'environnement ou l'énergie ;
« 2° Les stratégies nationales relatives au développement durable, à la biodiversité et au développement de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises.
« Il peut se saisir de toute question d'intérêt national concernant la transition écologique et le développement durable ou ayant un impact sur ceux-ci.
« Il est informé chaque année par le Gouvernement de l'évolution des indicateurs nationaux de performance et de développement durable pertinents pour mesurer l'avancement de la transition écologique.
« Art. L. 133-3.-Les avis du Conseil national de la transition écologique sont mis à la disposition du public par voie électronique.
« Ils sont transmis par voie électronique au Parlement, au Conseil économique, social et environnemental, aux conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux ainsi qu'aux organismes intéressés par la transition écologique.
« Art. L. 133-4.-La composition et les modalités de fonctionnement du Conseil national de la transition écologique, notamment, sont précisées par voie réglementaire. »

Le législateur a donc manqué une occasion de repenser cette institution et s'est surtout contenté d'en changer le nom. Le CNTE a surtout un rôle consultatif. Dans la pratique, il a pour principal intérêt, d'une part de permettre à ses membres de s'adresser au ministre de l'écologie qui préside ses réunions, d'autre part, de leur permettre d'être informés des travaux du ministère. Ce qui n'est pas négligeable et au contraire fort utile. Mais, six ans après le Grenelle de l'environnement, il est regrettable de n'être pas allé plus loin.

Le Conseil national de la transition écologique

Aux termes du décret du 16 août 2013, le CNTE, qui se réunissait en réalité déjà, est présidé par le Ministre en charge de l'écologie et comprend cinquante membres, principalement répartis en six collèges de huit membres chacun :

1. un collège élus assurant la représentation des collectivités territoriales

2. un collège de représentants des organisations syndicales interprofessionnelles de salariés représentatives au plan national

3. un collège assurant la représentation des organisations d'employeurs

4. un collège "assurant la représentation des associations de protection de l'environnement et des fondations ou organismes reconnus d'utilité publique exerçant, à titre principal, des activités de protection de l'environnement agréées et habilitées, en application de l'article L. 141-3, pour prendre part au débat sur l'environnement qui se déroule dans le cadre des instances consultatives ayant vocation à examiner les politiques d'environnement et de développement durable"

5. un collège de parlementaires

6. un collège "divers" qui comprend des chasseurs ou des associations familiales.

Un arrêté doit encore être signé pour désigner les membres du CNTE, à l'exception bien sûr des élus.

Les limites du CNTE

C'est parce que j'attache une très grande importance à cette institution que je ne peux que regretter le législateur n'ait pas souhaité renforcer son rôle. Il faut donc espérer que ce soient ses membres eux-mêmes, malgré les limites des textes créateurs, qui œuvrent à l'animation d'un véritable dialogue environnemental.

La première limite tient à l'expression "transition écologique". Celle de "développement durable" a désormais un contenu, une histoire et même une réalité. celle de transition écologique est un mot valise où chacun met ce qu'il veut bien y mettre. Pour les uns, il faut entendre "révolution écologique", pour les autres la transition écologique est son contraire, un stage préalable destiné à durer. A tout prendre, il aurait été plus simple et plus utile de rationnaliser tout le dispositif censé correspondre au dialogue environnemental en fusionnant plusieurs comités et en ne créant qu'une seule conférence environnementale.

La deuxième limite tient à ce que le CNTE n'a pas de caractère interministériel. Sa capacité d'influence et l'intérêt qui lui sera témoigné dépend donc de l'influence du Ministre de l'écologie.

La troisième limite tient à ce que le CNTE ne peut fonctionner sans une réelle réflexion sur la représentativité de ses membres. Et le chantier de la représentativité ne se limite pas à celle des associations environnementales. Le débat national sur la transition énergétique a révélé que les acteurs des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique peinent à trouver une place pour exposer leurs analyses et revendications.

La quatrième limite tient à ce que l'énergie est trop souvent déconnectée de l'écologie. Or, le débat national sur la transition énergétique (DNTE), parti de l'idée fausse que l'énergie est un enjeu autonome des autres, a démontré qu'il faut penser ensemble tous les volets du développement durable. Or, l'organisation du DNTE, sans le CNTE, pose la question de savoir si ce dernier pourra efficacement se saisir de la question de la transition énergétique.

Autre limite et non des moindres : le CNTE correspond pour l'essentiel au CNDDGE. L'échec du deuxième a été diagnostiqué mais on ne voit pas ce qui a été fait pour que les mêmes causes ne reproduisent pas les mêmes effets. le seul fait d'avoir publié le décret de création du CNTE en pleine torpeur estivale ne facilitera pas sa médiatisation.

Enfin, le décret du 16 août 2013 créé également un comité des hauts fonctionnaires en charge du développement durable. Malheureusement, ce comité est déconnecté du CNTE.

En conclusion, il faut espérer que le législateur revienne sur l'enjeu du dialogue environnemental.

Arnaud Gossement