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Un bonheur si fragile...

Publié le 21 août 2013 par Perce-Neige

Un bonheur si fragile...Je vais vous dire ce que je crois ! Je crois bien que certains jours, vraiment, l’équilibre subtil du monde nous apparaît, soudain, com-plè-te-ment vrillé... Et qu’alors… Alors… Alors… Alors nous avons beau nous employer avec la dernière énergie à braver les intempéries, pour tenter, au moins, de récupérer notre mise, quoiqu’on fasse, les ami-e-s, nous n’avons, strictement, aucune chance de nous en tirer… Vingt cinq ans plus tard, et pas mal de péripéties dans les chaussettes, Vincent Lemercier n’est pas loin, croyez-moi, de faire ex-ac-te-ment le même constat. En deux mots comme en cent, l’inoxydable administrateur et fondateur de la célèbre clinique Ambroise Paré, ne s’en est, finalement, toujours pas remis ! Ce matin là, en effet, c’est à grandes enjambées, plastiquement irréprochables, qu’il traverse, explicitement préoccupé par dix milliards de trucs pas tous très très jolis, la cour principale de l’hôpital qui donne, direct, sur la place du marché... Un hôpital à l’ancienne (si l’on peut dire), à savoir qui fleure bon l’excès de détergeant abondamment parfumé à la pomme de pin, l’ammoniac discrètement distillé dans tous les coins et l’antiseptique bidon aspergé à la volée en bonbonnes industrielles de cinq litres, au moins. Un hosto comme on n’en fait plus et qui se résume, pour l’essentiel, à quelques pénibles bâtiments de brique rouge, passablement délabrés, et surtout lamentablement contigus à ceux d’un hospice décomplexé que toute personne un peu censée se garderait bien d’approcher à moins d’un kilomètre au bas mot et qui vaut, par parenthèse, l’insigne honneur à Vincent Lemercier (lui-même), de servir quotidiennement de spectacle hilarant, et par suite réconfortant, à toute une navrante armada de personnages tous plus hallucinés les uns que les autres et qui, dans le meilleur des cas, postillonnent entre eux, recroquevillés sur leurs bancs, en jargonnant d’imprévisibles délires. Sauf que Vincent Lemercier, tout à ses réflexions du moment que l’on devine du genre plutôt sophistiqué, ne voit rigoureusement rien à l’horizon. Ni bien sûr l’inévitable et regrettable Marcel qui, comme à son habitude, l’attrape aussitôt par l’ourlet de la blouse qui voltige au passage, tout en lui infligeant sa logorrhée de perversités scatologiques et qu’il repousse d’un geste machinal et fainéant, tout de même compatissant… Ni non plus les indécrottables vrais-faux jumeaux Jean-Baptiste et Jean-Paul, à demi ravagés d’alcool et de cataclysmiques dégénérescences qui parviennent, juste, à trottiner de plaisir en geignant tout de même comme des cabris. Ni non plus le quarteron de génisses désaccordées de dentiers et que rien, ni la cloche de la soupe ni même un improbable tocsin ne semble pouvoir sortir d’une torpeur de couches culottes et de bavoirs baveux, et de rhumatismes déformants que la seule évocation suffit à réveiller, et à vous torturer le ciboulot… Ce dont, par parenthèse, Vincent Lemercier, jeune et digne médecin à l’avenir prometteur, semble – si vous voulez tout savoir - se soucier comme d’une guigne, pour ne pas dire plus vulgaire encore... Car il est temps, maintenant, de révéler à qui veut l’entendre que le futur grand manitou de la clinique Ambroise Paré émerge à peine d’une nuit particulièrement éprouvante du point de vue de son équilibre psychique et moral, puisque toute entière consacrée à s’abrutir salement de télévision, affalé connement en travers du plumard, histoire de s’infuser en accéléré toute une collection de films assez indécents, voire tout à fait impudiques et licencieux, voire franchement obscènes et d’essence pornographique que Julien Savouré, le bellâtre, son voisin de palier, lui a généreusement laissé comme qui dirait en héritage, avant de littéralement se volatiliser pour le week-end. Bref, pour faire simple, une nuit de garde particulièrement morose et placée sous le signe de la solitude intégrale, et de la neurasthénie masturbatoire, et d’un cafard de chiotte, et d’une envie dégueulatoire de casser la gueule à quiconque aurait eu l’idée saugrenue de venir le contrarier et lui chercher chicane… Bref, une nuit pour rien, ou du moins pas grand chose, à lorgner régulièrement le téléphone à l’encéphalogramme dramatiquement plat, exigeant même du bon Dieu, parfois, mais sans y croire vraiment, que quelque chose d’un peu spécial vienne le tirer de la morosité ambiante et se prenant même, entre deux spasmes, à espérer vainement qu’un autocar quelconque en partance vers le sud s’encastre affreusement sous le premier pont venu, juste à la sortie de la ville, ou qu’un hélicoptère Puma immatriculé on-ne-sait-où s’écrase malencontreusement sur l’un des immeubles de l’avenue Gambetta, ou même, soyons fous, qu’un séisme de magnitude neuf se prépare gentiment à rayer de la carte les trois quart du département et plus encore. Bref… Bref, on aura compris que Vincent Lemercier, finissant, à l’arraché, par sombrer corps et âme dans un sommeil particulièrement prometteur sur le coup de cinq heures du mat, n’était, par conséquent, pas spécialement frais et dispo à dix heures cinquante-huit, pétantes, et des poussières... L’était guère disponible pour l’écoute, ce garçon, si vous voulez tout savoir. L’était pas trop prêt à s’en aller, la fleur au fusil, pêcher le gardon. Ou à vous susciter de psychanalytiques confidences. Ou à vous caresser l’hypothalamus dans le sens du poil en vous festonnant le discours de compliments positivement chiadés. L’était plutôt à pester dans toutes les langues de la terre envers le soleil estival qui s’improvisait tortionnaire et martyriseur de première en se permettant de lui supplicier le museau d’ultraviolets affreusement sournois et cabotins. L’était plutôt à vouloir se protéger de toute cette pègre. A vouloir respirer un peu. A vouloir qu’on se calme. Et qu’on lui lâche dé-fi-ni-ti-ve-ment les basques. Et qu’on évite de trop chercher à tirer sur la corde. L’était plutôt à vouloir mentir effrontément sur toute la ligne. Si bien qu’enfin traversé en coup de vent le portillon des Urgences, presqu’indifférent au paysage mortifère, de morve et de misères, l’avait poussé la porte du bureau des infirmières d’une véridique torgnole administrée vaillamment du pied gauche, puis de l’épaule droite. Avant de saluer d’un ricanement pépère, et soudain ragaillardi, Julie Moliton, la petite brune au visage de fouine dont il lui arrivait, régulièrement, de lamentablement confondre les extrémités, à savoir l’envers et l’endroit, ou bien le dessus et le dessous, la croupe et le poitrail,  le sabre ou le goupillon, quand, tous deux, elle et lui, lessivés d’épuisements et d’écœurements de toutes sortes, ils avaient, hélas, à se geler le derrière plus de quarante huit heures chrono dans ce trou. Ce que la Fouine, par parenthèse, n’était guère du genre à sentimentaliser à l’excès. Ni non plus, soyons justes, auprès des copines, à négationner la performance pourtant, si vous voulez mon avis, terriblement ordinaire. Prestation qu’elle commémore, ce matin-là, d’un indécrottable sourire, tout à la fois hypocrite et pervers, et qu’elle ponctue d’un bâillement appuyé avant de balancer diverses paperasses sur la paillasse. Une admission au 415, mon pote ! concède-t-elle, enfin, en rappelant, gracieuse, qu’au bas mot, minimum minimorum, ouais, ça’devait faire au moins trois plombes qu’elle trépignait d’impatience dans la carlingue. Sans personne au téléphone pour lui tenir le crachoir. Et qu’au vu du règlement, et des instructions en vigueur, et du serment Pipeaucrate, je-blague-pas, elle n’était nullementcensée se décarcasser plus que ça en lieu et place de connards de première du genre de celui qu’elle avait maintenant sous les yeux. Et qu’elle n’avait pas quatre bras, ni cinq mains, ni même le tiers du quart d’énergie nécessaire pour s’aventurer à poser une perf un dimanche matin. Le tout, glouglouté de café tiède, et de divers encombrants nicotinés qu’elle venait d’extraire péniblement de sa poche. Et regards fuyants et mauvais. Et sourire pourtant presque radieux quand Romain, le garçon d’étage aux biscotos d’enfer, s’était fort salacement, à ce moment-là, déjà pas mal introduit dans l’entrebâillement de la porte. Et poursuivant joyeusement la corrida en poussant l’avantage comme si l’uppercut précédent n’était pas suffisant, et donc fanfaronnant, urbi et orbi, que la folle dingue du 310 n’en faisait plus qu’à sa tête. Et vomissait tripes et boyaux. Et, sans malice, racontant aussi, tout en forçant peu à peu sur les décibels, que la kaliémie du 216 virait tranquillou au cauchemar. Et que le 318 braillait comme un veau depuis que j’ignore-quel-trouduc avait niaisement décidé de le sevrer de morphine. Ouais, ouais, ça va, j’ai compris, j’arrive… avait alors esquivé celui  qui, plus tard, peut-être, se souviendrait de ces années là comme, tout compte fait, quasiment les plus heureuses de son existence. Et qui consistaient, alors, à céder sur toute la ligne, et sans plus tarder, et sans plus discuter, en se décidant, péniblement, à partir patrouiller, solitaire, dans les méandres marécageux du couloir de gauche. D’abord. Puis à s’enfiler le lacis de chausses trappes du couloir de droite. Ensuite. Pour le dire autrement, Vincent Lemercier, plutôt beau gosse, il faut bien le dire, quoiqu’assez peu conscient de la chose, au fond, et pas très soigneux sur les apparences, 27 ans à tout casser, Vincent Lemercier, donc, s’apprêtait à découvrir ce qui pourrait s’apparenter à une nouvelle dimension, en pénétrant, mais sans la moindre  effraction, heureusement, la toute dernière chambre du corridor ombrageux et sans précisément savoir, bien sûr, qu’il en prenait pour longtemps, voire pour perpète... Sur le lit débraillé, la fille, en demi teintes, roupillait à poings fermés. On ne lui voyait guère, croyez moi, que ses cheveux fantasques à moitié filandreux. Une bouche vaguement en grimace. Un visage à la ramasse aux trois quarts défoncé par des larmes et protégé sur sa droite d’une extravagance botanique qu’on eut dit provenir de quelque étrange et lointaine contrée et dont il eut sans doute été plaisant d’énumérer les inquiétantes particularités. Sauf qu’une silhouette, involontairement libidineuse d’ailleurs, sans doute, et opportunément en embuscade dans le recoin de le plus reculé du continent, s’était immédiatement manifestée de la manière la plus nette, en détournant illico l’attention, pour le moins flottante à ce moment précis, du presque docteur Vincent Lemercier forcé, par conséquent, d’en revenir à des préoccupations davantage terre à terre. Immédiatement en effet, Mélanie Faucon se déclarerait profondément soulagéequ’un médecin quelconque daigne enfin se déplacer jusqu’à ce placard à balai poussiéreux dont, depuis la nuit des temps, personne, semble-t-il, ne s’était vraiment soucié. Puis la silhouette - qui se ferait chair, qui se ferait lèvres pulpeuses à souhait, qui se ferait dans le même temps regard supplicié, épaules dénudées, qui se ferait taches de rousseur et mèches bouclées, et parfum d’agrumes, et sucre candie - la silhouette, donc, ne tarderait guère à déblatérer tout son saoul, sans presque prendre le temps de respirer, ce couplet foncièrement désolant de rouspetailles, doléances et pleurnicheries les plus diverses d’où il ressortait vaguement que la situation de Violaine Parmentier, ici présente, était indéniablement catastrophique et proprement lamentable depuis que lui était (hélas) venue à l’esprit, trois ou quatre heures plus tôt, au sortir de l’espèce de bowling et dancing de merde de la zone commerciale, l’idée, pas spécialement géniale, on en conviendra, de traverser la nationale à toutes berzingues et sans tourner la tête ni à droite ni à gauche, et sans écouter personne que son cœur à elle, et sans rien voir d’autre, donc, que ce qu’elle avait cru voir, à savoir, dans l’entre deux des premières lueurs de l’aube, sur le parking d’en face, le profil ahuri, reconnaissable entre tous, d’un pervers de première qu’elle avait croisé, trois ans plus tôt, dans des circonstances qu’il faudrait mieux, d’ailleurs, ne pas trop relater par le détail… On m’a tout raconté, avait alors, d’une moue galvaudée et d’une voix mal assurée, brusquement coupé l’impitoyable Vincent Lemercier tout en lorgnant, presque aux trois quarts encore ensommeillé, sur le gribouillis qu’il avait judicieusement gardé crispé dans la main droite. Puis se disant, dans le même temps, sérieux, que le monde avait, enfin, réellement basculé sur l’horizon... Et que l’humanité toute entière entrait, cette fois, putain, de pleins pieds dans l’Ère du Verseau… Vu qu’il venait, ni plus ni moins, de rencontrer la femme de sa vie... Et que les cent prochaines années seraient, pour lui, comme un océan de bonheur... Et qu’il pourrait même crever tout de suite, là, comme un chien, la conscience tranquille... Sauf que l’océan de bonheur précisément commençait plutôt mal. Car, au même moment, sur le lit en carafe, la bouche en grimace, explorant d’un remue ménage ténu de lèvres pincées la présence d’un hypothétique visiteur, la bouche en grimace donc se réveillait lentement au point de geindre faiblement, puis un peu moins faiblement, puis un peu plus franchement à mesure qu’il lui semblait à nouveau possible d’échapper à ce cauchemar insensé. Sans compter que, dehors, dans le soleil estival, et malgré l’odeur de clope, et de pisse, et d’autres excréments dont il faudrait mieux n’avoir jamais entendu parler, les jumeaux péniblement parvenus à coloniser le banc, recta, le plus proche de la fenêtre avaient eu, subitement, l’envie de pousser la chansonnette. Sans parler des portières qui claquaient à tout va et des voix grincheuses qui s’apostrophaient à l’approche du déjeuner. On ne le dira jamais assez, un océan de bonheur, ça ne dure pas très longtemps, vous pouvez me croire ! 

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