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Syrie et gaz, saison 2

Publié le 21 août 2013 par Egea
  • Gaz
  • GUerre de l information
  • SYrie

On commençait à se lasser, cette fin d'été : PRISM ne scandalise personne en France (ou plutôt, personne dans les médias sinon les dénonciations convenues), l’Égypte tend à se calmer. Subitement, voici donc une attaque de gaz massive en Syrie. Et cette fois, à une dose suffisamment élevée pour que les doutes de la dernière fois (voir mon billet, saison 1) soient levés. Il y a donc eu attaque de gaz en Syrie. Deux jours après l'arrivée des inspecteurs de l'ONU, dont la mission paraissait à l'avance condamnée tellement elle avait été édulcorée. Mais là, puisqu'elle est là, son intérêt est relancé, ils pourront relever les preuves dans les temps et selon les conditions.... Bon, reprenons et raisonnons.

Syrie et gaz, saison 2
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D'abord, il y a eu des centaines de victimes. Je constate que l'OSDH a été prudent (ce qui est tout à son honneur) par rapport aux chiffres annoncés par ailleurs, par des "opposants syriens". Toutefois, les images et les sources nombreuses font dire que selon toute probabilité, il y a eu des bombardements de gaz. Je ne nierais pas cet aspect des choses (même si comme tout le monde, j'attends d'en savoir plus, etc.). Il ne s'agit plus de la matérialité des faits. Simplement de qui? et pourquoi ?

Bien, maintenant, réfléchissons.

Hyp 1 : B. Assad est maboul. On le savait. Donc, les agents de l'ONU arrivent dimanche, et lui tire le mercredi. Manière de dire : la ligne rouge annoncée par le président Obama il y a un an, et que j'ai déjà repoussée, je vous montre que je m'assois dessus et qu'il ne se passera rien. Accessoirement, cela lie encore un peu plus les Russes et Iraniens qui n'ont pas de solution de rechange.

Hyp 2 : malgré tout ce qu'on dit un peu partout, B. Assad n'est pas aussi bien militairement qu'on le dit. Certes, il a repris des trucs aux insurgés (Qoussair, Homs) mais il en a perdu ailleurs. Comme s'il n'avait pas beaucoup de marge de manœuvre Et qu'il ait eu absolument besoin de l'infanterie du Hezbollah, signe que lui-même n'en avait pas assez. Bref, les gaz, ça remplace les copains de la Bekaa quand on ne peut pas faire autrement. Et Damas, ça ne se touche pas. Et pour des raisons tactiques que vous et moi ignorons mais pas lui, il fallait ne pas hésiter, suivant la ligne suivie depuis le début.

Hyp 3 : B. Assad n'a pas tiré de gaz. On ne tire des gaz que quand on est dans une situation délicate, pourquoi donc tirer sur des civils, certes en zone adverse, mais alors qu'il n'y a pas de nécessité tactique, et qu'en plus les agents de l'Onu sont là et qu'il s'agit plutôt de contrôler les choses ? Du coup, c'est quelqu'un d'autre, qui aurait intérêt justement à déclencher l'émotion internationale (qui se range toujours du côté des victimes, et là, il y a plein de victimes), pour faire monter les enchères, prouver que la ligne rouge a été franchie, et forcer une intervention occidentale.

Regardons maintenant les réactions médiatiques. Pour le coup, ça a eu de l'effet. Toutefois, paradoxalement, je sens une certain incertitude. Pas du Monde, bien sûr, mais des autres médias qui ne nient pas le bombardement, mais se méfient (le journal de FR 2 ce soir était prudent, par exemple). Les commentaires en ligne sont assez partagés (j'ai consulté le Monde et le Figaro, mais je devine que c'est à peu près partout). De l'émotion, bien sûr, mais aussi plein de gens qui disent "intox, alors que les inspecteurs de l'Onu sont là depuis deux jours". Disons également qu'après le bombardement du marché de Sarajevo, des massacres au Kosovo ou les "armes de destructions massives" en Irak, le public a appris à se méfier des "évidences" et sait dorénavant que dans ces conflits, il n'y a pas des bons et des méchants, mais que des méchants, et que les méchants sont capables de tout, y compris de se tirer dessus pour obtenir un avantage médiatique et au-delà politique et peut-être militaire (selon le vieil axiome que nous ne cessons de pratiquer en post guerre froide : l'intervention est la continuation de la politique qui est la continuation de l'émotion médiatique par d'autres moyens).

Observons enfin les réactions politiques. Bien sûr, France et Royaume Uni témoignent d'une grande fermeté, convoquent une réunion d'urgence du CSNU, font des déclarations martiales.... mais se gardent quand même d'accuser qui que ce soit : on n'entend pour l'instant parler que d'une enquête de l'ONU,"puisqu'elle est sur place". Manière de gagner du temps, de laisser passer l'orage médiatique, pour finalement ne rien faire. C'est encore plus vrai des États-Unis. On lira une interview du général Dempsey, parue ce jour (réalisée avant le bombardement).

Autrement dit : la mission de l'ONU devrait aller voir, constater qu'il y a eu bombardement, se déclarer incapable de dire qui a tiré. Çà prendra du temps, suffisamment pour que l'émotion retombe. Dans la configuration actuelle, il n'y aura donc pas d'intervention occidentale.

Conclusion : qu'il s'agisse de l'hypothèse 1, 2 ou 3, le résultat sera à peu près le même.

Mais comme toujours, je peux me tromper !

Denier commentaire : cette affaire nous montre désormais que la guerre se déroule désormais sur tous les champs de bataille, selon les principes de la guerre hors limite que je suis en train de lire en ce moment. Autrement dit, le champ de bataille médiatique est fortement intriqué avec le champ de bataille classique. Quelle que soit l'hypothèse (c'est-à-dire origine Assad ou origine insurgés), la question n'est pas de "rallier l'opinion internationale", selon ce qu'on croit habituellement. Il s'agit de la gagner pour rapidement revenir sur le terrain des armes classiques. Autrement dit encore, la "guerre de l'information" peut s'agiter indépendamment, mais aussi (et surtout) en conjonction avec d'autres sphères stratégiques. Nous avons ici un bel exemple de manœuvre non pas simplement interarmes, mais intersphères. Et dans le cas présent, elle n'est pas gagnée, quels que soient les moyens tragiques mis en œuvre. Comme si le ressort de "l'émotion internationale" s'émoussait.

Car à la fin, il y a eu quelques centaines de victimes, dont beaucoup de civils, cette nuit. La distinction entre soldat et non soldat s'amenuise. Ces morts sont tombés au front, d'une certaine façon. Requiescant in pace. Le salut aux morts à la guerre est universel.

O. Kempf


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