Au-delà de l’indignation qu’a suscité la grâce royale touchant le pédophile de nationalité espagnole et d’origine irakienne, Daniel Galvan, violeur de 11 mineurs marocains ; et en dépit de la publication tardive d’un communiqué royal et l’annulation de la décision de grâce, cette affaire soulève plusieurs doutes sur le bon fonctionnement de la monarchie marocaine, qui ne cadrent pas avec la récente réforme constitutionnelle.
Tout d’abord, il est dit dans le premier communiqué que « Le Roi n'a jamais été informé de quelque manière que ce soit et à aucun moment, de la gravité des crimes abjects pour lesquels l'intéressé a été condamné». Le fait que le Roi Mohammed VI a lui-même signé la grâce ne le rendrait donc apparemment pas responsable. Il paraît toutefois difficile de détenir un pouvoir, en l’occurrence de grâce, si l’on n’en assume pas les responsabilités.
L’argument de candide est en outre peu convaincant : le Roi aurait pu annuler la grâce plus tôt, avant qu’il ne soit acculé sous la pression de la rue. Par ailleurs, Wikileaks avait annoncé en 2010 que le Roi avait déjà gracié un pédophile français en 2006. Enfin, s’ajoute à la liste les révélations de Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation français, sur le scandale de déviances sexuelles d’un autre ministre français pris à Marrakech dans une partie fine avec des mineurs, et libéré en toute discrétion, l’affaire ayant été classée sans suite.
Ensuite, le déni de responsabilité est palpable à travers le deuxième point du même communiqué : « le Souverain n'aurait consenti à ce que Daniel Galvan puisse arrêter de purger sa peine, au regard de l'atrocité des crimes monstrueux dont il a été reconnu coupable ». La conclusion logique est que le Roi signerait sans vérifier. Si le Roi a fait mauvais usage du droit que lui confère l’article 58 de la constitution, lors de cette affaire, c’est qu’il faut en réguler son usage. En l’occurrence, il faut noter que le dahir (n °1-57-387) réglementant la grâce royale date de 1958, et ne détermine pas les délits et crimes exclus du droit de grâce.
Ce problème de gouvernance de la monarchie exécutive renvoie à un autre celui du non respect de l’État de droit. En effet, selon la loi (article 12 du dahir n °1-57-387) c’est le ministère de justice qui doit chapeauter tout le processus avant que le cabinet royal ne statue sur les dossiers. Or, d’après les déclarations du Ministre de la justice, son ministère n’a pas contribué à l’élaboration de la liste des prisonniers espagnols. Le Ministre a déclaré avoir même prévenu le cabinet royal, avouant implicitement le rôle de simple exécutant des instructions du cabinet royal. Ce dernier s’est placé au dessus de la loi en ne respectant pas le dahir et en imposant sa décision.
Enfin, les marocains sauront-ils la vérité sur les coulisses de cette histoire ? Pas sûr. Puisque dans son troisième communiqué, après celui de l’annulation de grâce, le cabinet n’a fait que présenter un bouc émissaire en révoquant M. Benhachem, le délégué général de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion, présenté comme étant le principal responsable. Pourtant, la liste des bénéficiaires avait été préparée par l'ambassade d'Espagne à Rabat, l'administration pénitentiaire marocaine n’était nullement impliquée.
L’esprit de justice commande que l’on remonte plus haut dans la chaîne de décisions, jusqu’aux conseillers du Roi devant assumer leurs responsabilités, notammentOmar Aziman, conseiller responsable des relations maroco-espagnoles et du dossier juridique au Palais et surtoutde Fouad Al Himma, l’ami et conseiller politique du Roi. Ce dernier a été désigné directement et explicitement par le quotidien espagnol “El Pais”, comme étant le principal responsable.
Le monarque peut aujourd’hui difficilement, d’un côté, prétendre réformer et œuvrer pour la démocratisation et la modernisation du pays, et d’un autre protéger des conseillers, non élus, fonctionnant comme un gouvernement de l’ombre et qui détiennent les vrais pouvoirs, mais sans reddition de comptes (sauf envers la monarchie). Cet état de fait consolide la culture d’allégeance exclusive au Roi, que cela soit de la part des conseillers ou des membres du gouvernement.
La monarchie est en réalité à la croisée des chemins. Soit elle continue dans son crédo exécutif décidant de tout et de rien et elle doit alors assumer les conséquences de ses choix politiques et économiques. Soit, elle change réellement de cap pour rester au-dessus de la mêlée, fédératrice du peuple et garante de l’unité et de la sécurité du pays, auquel cas elle soit mettre en place de véritable institutions d’état de droit et de représentation démocratique avec reddition des comptes.