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Deux grands témoins égyptiens : Sonallah Ibrahim, Bassem Youssef et l’irrésistible ascencion du général Sissi

Publié le 26 août 2013 par Gonzo

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Va-t-on nous rejouer la sinistre comédie irakienne en brandissant vertueusement dans le cas syrien la carte du chimique – dont on apprend, selon des documents aujourd’hui déclassifiés, qu’elle a été utilisée naguère avec l’assentiment tacite des Etats-Unis ? Au moment d’écrire ces lignes, le monde arabe semble à la veille de bouleversements radicaux, qui modifieraient en profondeur non seulement les données géopolitiques de la région mais jusqu’à ses frontières.

Une seule certitude, les fractures sont déjà immenses entre les points de vue des multiples acteurs (et ceux des observateurs) qui ne partagent plus rien ou presque, y compris a-t-on parfois l’impression par rapport à leurs convictions les plus certaines (ou, si l’on préfère, à ce que l’on se figurait comme telles). En guise d’illustration, on verse au dossier égyptien notre traduction d’une partie d’un entretien (signalé par The Arabist, en train de modifier sa formule) accordé par le romancier Sonallah Ibrahim au quotidien Al-Yawm al-sabee.

Né en 1937, il a milité très jeune dans les rangs du parti communiste égyptien et a connu à ce titre les camps d’internement nassériens. Depuis qu’il s’est consacré à l’écriture à la fin des années 1960, il s’est imposé, sur les scènes littéraires arabe et internationale, non seulement comme un écrivain majeur de son époque, mais également comme une des figures intellectuelles parmi les plus respectées dans son pays (par exemple lorsqu’il a refusé avec éclat, dans l’Egypte moubarakienne de l’année 2003, un prix important (récit par Samia Mehrez, qui revient longuement sur ce “scandale” dans son essai Egypt’s Culture Wars).

Tiré d’un de ses romans, qui, entre autres qualités, met en évidence son incroyable capacité à lire les transformations de la société égyptienne, Zeth, un feuilleton qui retrace l’histoire sociale et politique de l’Egypte depuis la révolution des Officiers libres en 1952, a connu un réel succès (image supra) durant la dernière saison de ramadan. C’est donc un grand témoin de l’Egypte contemporaine qui nous interpelle à travers des commentaires qui (d)étonnent… (Original intégral en arabe, ici.)

Certains ont peur que l’Égypte entre dans une période de guerre civile, pensez-vous que cela soit le cas ?
– A mon avis, je ne pense pas qu’il y aura de guerre civile. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est une confrontation avec les foyers terroristes. Elle va se prolonger un peu mais sans avoir de réelle influence sur la structure profonde (al-bunya al-asâsiyya) de l’Égypte qui est déjà passée par là à de nombreuses reprises et qui est restée homogène.

Après ces événements, les Égyptiens pourront-ils accepter les Frères (musulmans) dans la vie de la société, pourront-ils collaborer avec eux ?
– Cela dépend de la Confrérie des frères [musulmans] elle-même : s’ils acceptent leur défaite et mettent un terme à la violence, ils pourront retourner à la vie de la société. Je parle ici des membres ordinaires de la Confrérie, ceux qui sont plein de bonne volonté, ceux dont on peut se dire qu’on s’est moqué d’eux, et non pas de leurs dirigeants. Avec eux, je ne pense pas qu’il y ait le moindre espoir. Ce sont eux qui ont entraîné la Confrérie dans cette confrontation féroce, qui ont comploté pour provoquer les effusions de sang et la violence. La société ne le leur pardonnera pas.

Certains considèrent que la révolution du 30 juin [2013], en tant que révolution existant à part entière, n’a aucune relation avec la révolution de janvier [2011] : qu’en pensez-vous ?
– Je n’aime pas utiliser ce mot de révolution, il n’est pas assez précis. Le 25 janvier, de mon point de vue, c’est un soulèvement qu’on a fait avorter d’une certaine manière. Et le 30 juin c’est un retour à ce soulèvement. Mais on ne peut parler de révolution que par rapport aux objectifs qu’elle se donne. Pour moi, les soulèvements de janvier et du 30 juin ont réalisé certains de ces objectifs, comme la confrontation avec le terrorisme, l’opposition à la violence et à l’Amérique. Mais en même temps ils n’ont pas apporté jusqu’à présent la justice sociale par exemple.

Que pensez-vous de la manière de présenter la révolution du 30 juin comme un renversement militaire et non pas comme [le résultat de] la volonté populaire ?
– C’est un soulèvement populaire et celui qui ne le voit pas ainsi se trompe. Ce qui compte ici c’est de savoir si ce pouvoir œuvre au profit du peuple ou non. Et la réponse est oui. Il n’y a donc pas de problème. Et si ce pouvoir venait à s’écarter de cette ligne, il est facile de sortir, la rue est là !

Il y a pourtant de nombreuses raisons d’être inquiet du pouvoir des militaires, à cause de l’Assemblée militaire [SCAF, le Conseil suprême des forces armées] installé après la révolution du 25 janvier et du départ (tanahhi) de Moubarak… Comment résoudre ce problème ?
– Comme je l’ai mentionné, les appréhensions au sein des rangs de la jeunesse sont liées à l’expérience amère de la précédente Assemblée militaire. Et il faut rappeler que j’ai le droit et que les jeunes ont le droit de savoir qui dirige cette Assemblée militaire, de savoir ce qui s’y passe, et sans que des informations soient cachées pour des prétextes de sécurité. Le problème n’est pas bien difficile à résoudre, il faut que des jeunes de la rue y soient présents, c’est la garantie qu’il n’y aura pas de déviation par rapport au processus démocratique.

Que pensez-vous de l’intervention du général Abdel-Fattah Sissi dans la vie politique ?
– Il est intervenu d’une manière parfaite (mumtâz). On peut le constater à travers ses discours marqués par la précision, la rationalité (al-nadhra al-’ilmiyya) et l’absence d’enflure rhétorique. Il est précis et objectif. Je pense qu’il représente un atout (maksab) pour la vie politique égyptienne. Pour moi c’est ce qui explique que des Égyptiens ont eu l’idée qu’il se présente aux présidentielles. À mes yeux, c’est parfaitement son droit. Toute personne en a le droit, alors que dire pour quelqu’un qui, comme lui, fréquente quotidiennement les Égyptiens, qui s’efforce, en fonction des pouvoirs de la loi, de réaliser les demandes du peuple, qui se tient à ses côtés ! Mais il doit le faire sur une base saine. Et pour cela, il suffit que, pour la première fois depuis Gamal Abdel-Nasser, il arrive dans [le contexte] d’une menace des USA et des pays occidentaux. Tout le mérite revient au général Abdel-Fattah Sissi, il a mis en évidence le nationalisme de sa personnalité.

Lui donnerez-vous votre voix au cas où il se présenterait aux présidentielles ?
– Je suis corps et âme avec lui ! Mais la question de savoir si je lui donnerais ma voix me paraît prématurée.

Dans un registre radicalement différent, les arabophones prendront peut-être plaisir à écouter cette émission de Bassem Youssef ironisant (peut-être avec cruauté) sur une Egypte totalement repassée sous la coupe de l’ancien régime… En anglais, une déclaration, d’une formidable ironie, vient d’être mise en ligne.

L’introduction de ce texte intitulé Egypt-The-destruction-of-a-nation :

I have decided today that I will no longer be neutral. I will not grab the stick from the middle. It would be easy to direct my anger at both sides, to free my conscience from the practice of the police, criticize the performance of the interim government for its stupidity and insistence on the security solution and scream at the top of my lungs, “down with military rule!” I could dedicate the remainder of this article to cursing the Brotherhood and showing how their actions led to our current suffering. I could extend my condolences to the martyrs and emphasize that “all the blood is sacred” as I curse both sides and put my pen down with a healthy conscience because I have preserved my humanity, cursed the universe and raised myself to a moral high ground from which I could drop my curses, disdain and loathing for the army and the Brotherhood.

It is a nice, easy and inwardly comfortable solution.

However, today, I have decided to take a side: I will take one side for there is no room for lenient and undecided stances. I have decided I will take the side of the Brotherhood. What? Did I shock you? Just bear with me.

Sur Sonallah Ibrahim, voir également dans ce blog :
- Sonallah Ibrahim, l’homme qui regarde l’Egypte en douce, à propos, notamment, de la sortie de Al-Talassus (mai 2007).
- “La loi française”, un nouveau roman de Sonallah Ibrahim (octobre 2008).
- Les “règles de l’art” et le prix (d’un intellectuel) en Egypte, à propos des prix littéraires arabes en général, et de “l’affaire” de 2003 en particulier (juin 2009).
- “Dhât” et la censure des jupes : entre démocratie et démagogie, sur les difficultés du tournage du feuilleton tiré du roman du même nom (février 2012).


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