« Je dirai maintenant comment est faite Octavie, ville-toile d'araignée. Il y a un précipice entre deux montagnes escarpées : la ville est au-dessus du vide, attachée aux deux crêtes par des cordes, des chaînes et des passerelles. (…) Telle est la base de la ville : un filet qui sert de lieu de passage et de support. Tout le reste, au lieu de s'élever par-dessus, est pendu en dessous : échelles de corde, hamacs, maisons en forme de sacs, portemanteaux, terrasses semblables à des nacelles, outres pour l'eau, becs de gaz, tournebroches, paniers suspendus à des ficelles, monte-charges, douches, pour les jeux trapèzes et anneaux, téléphériques, lampadaires, vases de plantes aux feuillages qui pendent. Suspendue au-dessus de l'abîme, la vie des habitants d'Octavie est moins incertaine que dans d'autres villes. Ils savent que la résistance de leur filet a une limite. » Italo Calvino, Les villes invisibles

Le labyrinthe revient en force, dans toutes les dimensions de notre société. Il revient comme modèle de pensée mais ce n'est plus celui qui présidait à une vision de l'espace sacré ou aux divertissements qui en conservaient le dessin. Le texte de M. Serres sur le jeu de l'oie le pressentait. Selon la classification d'Umberto Eco, le modèle qui nous gouverne est désormais celui du labyrinthe/ Rhizome.
Les mythes, les romans ont ainsi une structure labyrinthique traçant un chemin qui passe par les différentes situations à parcourir ;
L'infini moderne cède alors le pas au chaos de notre siècle déboussolé. À la jointure de tous les temps, dans la bifurcation de ses labyrinthes, le contemporain est le nom des mondes qui se superposent mis en dehors les uns des autres, parcourus par des outsiders qui seront comme des héros de la science-fiction devant des matières dont la mémoire ouvre des nanomondes immenses au sein de villes et d'appartements de plus en plus rétrécis…..J.Clet Martin. Plurivers.Puf

Pour l'anatomie, la physiologie, tout est déjà labyrinthe.
Voici bien longtemps qu'on a remarqué que l'empreinte digitale peut être perçue comme un système de méandres spécifique à chaque individu; la meilleure représentation actuelle du cerveau est aussi un labyrinthe où circulent des informations complexes; on retrouve la spirale dans certaines plantes (volubilis, liseron, tournesol, ananas, etc.) ; l'ADN lui-même est évidemment hélice, spirale et tresse à la fois, source de vie labyrinthique
L'électricité a délocalisé à l'extrême la distribution de la puissance, puis les télécommunications ont fluidifié l'espace-temps – le monde pouvait désormais être conçu comme un ensemble de sites susceptibles d'établir entre eux des liens de communication.
Dans d'autres, en revanche, chacun risque de se perdre : prendre le métro, changer de bus, marcher d'un quartier à un autre, rechercher un service sur Internet, faire des achats dans les rayons d'une grande surface, déambuler dans une gare, un aéroport, un parc d'attractions, un musée, suivre un cursus scolaire, chercher un emploi et même, on le verra, danser, jouer aux échecs, au football, aux jeux vidéo... Apprendre, jouer, rêver, voyager, travailler, consommer, danser, se distraire, découvrir, se soigner, sont, d'une façon ou d'une autre, des occupations labyrinthiques.
« Les médias développent des espaces virtuels. Expérimentant moins qu'elles ne simulent et s'occupant du possible plus que du réel, les sciences, aujourd'hui, se développent dans des espaces virtuels, aussi bien. Le droit règle, enfin, les conduites possibles. Or tout pouvoir politique est depuis toujours, l'art et la capacité du possible et du virtuel. Donc, le pouvoir tend à tomber dans les réseaux des médias, dans les possibles de la science et les règles du droit.
En touchant, localement, chaque individu et en traçant des chemins nombreux, directs et inverses, du local au global, nos réseaux, technologiques, tendent, donc, peu à peu, à remplacer les anciennes grandes instances ou institutions chargées du global, Etats, Droits, Eglises, Banques et Bourses, Ecoles et Universités. Passé la révolution industrielle, la nouvelle révolution technologique porte, en effet, exactement, sur la construction d'un univers. L'innovation touche moins le travail, la production, ou même, peut-être, le commerce, que l'ensemble des liens entre le local et 1e global. Ce qui restait aveugle et caché, dans les institutions, d'où la représentation, se matérialise, devient présent e visible, en temps réel. Cette réalité du temps double et renforce tout ce qui reste virtuel dans les espaces.
. Désormais, visible, construit, fascinant, le réseau s'installe parmi nous, mieux, nous habitons en lui
Qu'a-t-il à faire des autres institutions, D'où la capacité de détruire ou remplacer, pour le pire et le meilleur, le politique, le religieux, le droit, la culture et le savoir ; les rapports de violence et de force ; le commerce et l'argent ; trois instances chargées, depuis l'aurore de l'histoire, de faire apparaître et forger le lien social. Car ces institutions et les personnes qui les hantaient détenaient, jadis, leurs fonctions et leurs pouvoirs de ce que nous ne savions pas tracer les chemins du local au global et que nous ignorions même ce que ce dernier signifie. Or, nous les traçons chaque jour et nous en suivons, en temps réel, les câblages. Tel qui tient ce réseau, qui va du local au global, ayant tous les pouvoirs, remplace le politique ; ayant tous les droits, remplace le judiciaire ; parce qu'il sait tout, remplace le savant ; faisant fonctionner sa machine à fabriquer des dieux, détient, enfin, le sacré ; choisit les lieux de la violence ; fait flamber ou non le commerce et l'échange ».M.SERRES.ATLAS.CHAMPS FLAMMARION.

Notre expérience ne peut plus être celle d'un seul chemin pré tracé quel que soit ses méandres.
Au Moyen Âge, l'espace était vécu comme un ensemble hiérarchisé de lieux (lieux sacrés et lieux profanes, lieux urbains et campagnards, lieux célestes et terrestres), un espace très codé de localisations. Redisons le, le labyrinthe était cet espace fermé, de type cnossien ou maniériste, sinueux certes, retardant la marche , mais qui restait rassurant par son enveloppe extérieure et parce que comportant un centre. ….il symbolisait les contraintes de l'existence à d'autres époques de la culture que la nôtre. Un fil d'Ariane ou les cailloux du Petit Poucet permettait de le maitriser. Ulysse finissait par sortir du labyrinthe méditerranéen et le pèlerin atteignait Jérusalem, grâce aux dessins des cathédrales.
Cet espace fermé et hiérarchisé s'ouvrira d'abord avec Galilée et Descartes, qui introduisent un espace infini et infiniment ouvert, passage du monde clos à l'univers infini, selon le titre célèbre d'Alexandre Koyré :
l'étendue se substitue à la localisation. Mais de nos jours, nous vivons, selon Marc Auge dans un espace de la surmodernité qui relativise et déborde l'organisation de l'espace familier, espace que nous n'avons pas encore appris à regarder et à comprendre, un labyrinthe paradoxal qui ne requiert plus le même fil d'Ariane parce qu'y prolifèrent les « non-lieux »
« Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. L'hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de non-lieux, c'est-à-dire d'espaces qui ne sont pas eux-mêmes des lieux anthropologiques et qui, contrairement à la modernité baudelairienne, n'intègrent pas les lieux anciens : ceux-ci, répertoriés, classés et promus « lieux de mémoire », y occupent une place circonscrite et spécifique. Un monde où l'on naît en clinique et où l'on meurt à l'hôpital, où se multiplient, en des modalités luxueuses ou inhumaines, les points de transit et les occupations provisoires (les chaînes d'hôtels et les squats, les clubs de vacances, les camps de réfugiés, les bidonvilles promis à la casse ou à la pérennité pourrissante), où se développe un réseau serré de moyens de transport qui sont aussi des espaces habités, où l'habitué des grandes surfaces, des distributeurs automatiques et des cartes de crédit renoue avec les gestes du commerce « à la muette », un monde ainsi promis à l'individualité solitaire, au passage, au provisoire et à l'éphémère, propose à l'anthropologue comme aux autres un objet nouveau dont il convient de mesurer les dimensions inédites avant de se demander de quel regard il est justiciable… »Marc Auge.Non Lieux.Seuil

Un tel monde labyrinthique peut être qualifié de « chaos », à condition de ne pas comprendre celui-ci comme inerte, simple mélange d'éléments dus aux hasards mais comme ce qui défait toute consistance dans l'infini. Physique il est aussi mental : Il guette toute pensée prise entre la fermeture et la menace inverse d'inconsistance ; nous sommes submergés par des « données » de toutes sortes, par un afflux incessant de ponctualités de tous ordres, perceptives, affectives, intellectuelles, dont le seul caractère commun est d'être non lié. (régime de notre information médiatique). « Décodage généralisé » selon Deleuze. Nos schèmes intellectuels et perceptifs traditionnels, nos habitus deviennent impuissants face à cette démesure des données. l'existence d'un tel chaos exige une toute autre pensée, une nouvelle forme de liens et de déchiffrement que celle de schèmes interprétatifs et de codes tout faits.
« De cette demi-maîtrise naissent nos angoisses, devant lesquelles nous érigeons le principe de précaution; il décide au préalable. S'il reste un principe, précédant tout commencement, il risque d'étrangler l'œuvre. Préformationniste, il devient prétexte d'immobilité, une sorte de sophisme paresseux. Laissons donc ce prin- et ce pré-, faux et inutiles. Comme tout bouge et se négocie à la contingence, mieux vaut qu'il varie comme le font la maîtrise et le principe de raison.
Inventons alors une éthique à la mode cybernétique. Gouvernons des productions dont nous ne décidons jamais, une fois pour toutes et avant tout, du comportement. Suivant les enseignements obtenus au cours deleur évolution, infléchissons en temps réel nos décisions, en pratiquant la prudence du pilote. À la barre, il gouverne le vaisseau suivant ses intentions ou celles de la collectivité dont il exécute le dessein, mais en tenant compte sans cesse des réactions de la houle, du vent, de la tenue du bâtiment, de sa danse avec la lame, de l'humeur de l'équipage, de l'âge du capitaine... têtu, tient le cap, sans muser vers les quatre vents de la rosé, mais change de route s'il le faut, fait escale, met en panne ou à la cape, revient sur ses pas, contourne les cyclones et les parages de bonace... bref gouverne. Avertie de la contingence du monde, la prudence agit selon la logique des modalités. »Michel Serres. Rameaux Le Pommier.
Penser le bouleversement contemporain implique donc une révolution de la pensée, réinterrogeant nos catégories, ce que Deleuze appelle une « pensée du dehors », ou « pensée nomade » qui épouse le modèle du rhizome. »: « La pensée, écrit Deleuze, s'installe ainsi en dehors de la conscience, dans un monde de conjonctions et de rencontres à chaque fois singulières et imprévisibles, et le dehors s'installe dans la pensée à travers l'extériorité des espaces et des lieux. »

Dans la classification d'Umberto Eco, le rhizome s'oppose au labyrinthe « maniériste » qui peut se dérouler en une arborescence :
« A la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni à l'Un ni au multiple… Il n'est pas fait d'unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. Il n'a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde.. Une telle multiplicité ne varie pas ses dimensions sans changer de nature en elle-même et se métamorphoser. A l'opposé d'une structure qui se définit par un ensemble de points et de positions, de rapports binaires entre ces points et de relations biunivoques entre ces positions, le rhizome n'est fait que de lignes :
Ce qui est en question dans le rhizome, c'est un rapport avec la sexualité, mais aussi avec l'animal, avec le végétal, avec le monde, avec la politique, avec le livre, avec les choses de la nature et de l'artifice, tout différent du rapport arborescent : toutes sortes de "devenirs »…G.DELEUZE ET F.GUATARRI.MILLE PLATEAUX. Minuit.
La pensée du labyrinthe contemporain serait ainsi une pensée nomade. Concept topologique qui désigne chez Deleuze une distribution dans l'espace, un espace ouvert sans repères, sans frontières déterminées. Pour le philosophe il faut toujours « parler en géographe ». La pensée à une inscription dans le sol. L'espace n'est pas un récipient mais un ensemble de règles de production. Ainsi nomade et nomos (la « loi ») dérivent de la même racine grecque nem (« partager » ou « attribuer à un troupeau
« Tout autre est une distribution qu'il faut appeler nomadique, un nomos nomade, sans propriété, enclos, ni mesure.» Ceci a-t-il un lien avec le mode de vie chez les nomades ? Oui, bien entendu. Mais à condition de concevoir la vie nomade selon la conception deleuzienne du voyage comme un aspect de l'espace ou un rapport avec l'espace dans lequel l'espace perd son organisation rigide. Le nomade est, à l'origine, celui qui fait paître. Si nous définissons la particularité de la vie nomade, c'est principalement le déplacement et l'instabilité, mais ce n'est pas cela qui intéresse Deleuze, c'est plutôt la manière de distribuer et de peupler l'espace, floue de l'espace, l'absence de l'ordre statique, étatique ».
« Dans ce terme (contrairement à ce que l'on a l'habitude de penser), ce n'est pas l'idée d'extrême mobilité ou d'errance (d'ailleurs il ne cesse de nous rappeler que les circuits coutumiers les des nomades sont beaucoup plus fixes qu'on ne le pense, que vrais nomades ne bougent pas beaucoup), mais surtout la forme de distribution dans l'espace, qui devient dans sa philosophie espace mental, espace social, espace politique. Il ne faut pas comprendre le nomadisme dans le sens du voyage comme déplacement dans l'espace. Car comme disait Deleuze, les grands voyageurs ce sont ceux qui ne se déplacent pas. Les nomades sont toujours au milieu, n'ont ni passé avenir, ils ont seulement des devenirs, devenir-femme, devenir-animal, devenircheval. Les nomades n'ont pas d'histoire, ils ont seulement la géographie : « C'est à propos de ces nomades qu'on peut dire, comme le suggère Toynbee : ils ne bougent pa ».
« Ce qui veut dire que le mot, au départ, ne désigne pas le déplacement mais une manière particulière d'occuper l'espace. L'espace nomade est un espace illimité, dans lequel tout change : « les orientations n'ont pas de constante, mais changent d'après les végétations, les occupations, les précipitations temporaires. » Il ne faut pas interpréter le nomadisme comme un déplacement mais comme un devenir perpétuel et un changement, même sur place, en espace en mouvement. Le nomadisme est une distribution « rhizomatique » sans modèle, selon les besoins immédiats. L'espace nomade est donc d'abord un lieu d'occupation sans limites précises (par exemple, l'étendue autour d'une ville). Le nomade se meut dans un espace sans repères (le désert, la mer, l'espace glacial), il ne connaît pas les lieux fixes, les Etats et les empires. L'essentiel dans cette vie de nomade, c'est le devenir perpétuel et la haine de l'organisation rigide et distribution ferme de l'espace. Non seulement le nomadisme est une distribution sans propriété et sans mesure, mais Deleuze va lier le nomadisme avec le devenir pour en faire une ligne de fuite. Avec sa machine de guerre, le nomade s'oppose au despote avec sa machine administrative ; l'unité nomadique extrinsèque s'oppose à l'unité despotique intrinsèque. Outre le fait que ce n'est pas le déplacement qui détermine le nomadisme mais l'absence de limites, le devenir perpétuel ; il y a aussi le fait que le nomadisme n'a pas d'objectif précis ou de finalité dans le devenir,sinon chercher sans cesse les prairies, poursuivent des itinéraires déterminés ».Nouri Ismail.Thèse De Doctorat.Esthétique Nomade.La Ligne.Deleuze Et Klee.
Une telle pensée donne le privilège à la ligne qui se définit d'abord par son caractère dynamique ;elle exprime la fonction, le processus, l'opération et le chemin. La voie de la création prend la supériorité sur les formes créées. Alors que la forme a un caractère statique, figé, qui peut devenir mortel la ligne est toujours vivante, en promenade permanente, comme l'acte de parcourir.
J'ai déjà cité la nouvelle de Borges sur les deux labyrinthes, celui du prince qui multiplie les murs et les constructions dures pour enfermer le nomade arabe dans un labyrinthe dont il sort pourtant ; à l'inverse, le labyrinthe du nomade ne comporte aucun mur aucun espace clos, c'est en un mot le désert. Le prince y meurt faute de savoir s'y orienter et être prêt à y survivre.
Si l'espace sédentaire est strié par des murs, des clôtures, des chemins et des répartitions fixes, l'espace nomade des steppes, des déserts, des glaces ou de la mer est lisse et marqué par des traits qui s'effacent et se déplacent avec le trajet.

Je voudrais donner un exemple de cette pensée nomade que nous redécouvrons ;un exemple qui est un paradoxe .Comme nous le montrent le travail des ethnologues, comme aussi le beau livre de Bruce Chatwin, le Chant Des Pistes., cette pensée existe de manière ancestrale chez des peuples dont on a simplement nié l'existence(terra nullius) ou considéré comme l'exemple même de la primitivité, à savoir les aborigènes d'Australie.(pour plus d'informations cliquer sur la catégorie aborigènes)
« L'interprétation dynamique de traces visuelles et la projection de savoirs spéculatifs dans l'espace sont la clef de la pensée aborigène. Ce système cognitif spatialisé repose sur une vision de l'univers qui pourrait être qualifiée de « connexionniste », car tout y est virtuellement connectable et interdépendant : toute connexion entre deux éléments a des effets sur d'autres éléments de ce réseau. Que ce soit les hommes et les femmes, le règne animal, végétal ou minéral, la terre, le souterrain ou le ciel, l'infiniment petit et l'infiniment grand, la vie actualisée et les rêves, tout interagit. Ces connexions sont mises en œuvre par les rites, les rêves, et par le lien spirituel et physique qui unit chaque humain à certains éléments de son environnement, lien qu'on a coutume en anthropologie de qualifier de « totémique".barbara glowczewski. reve en colere.terre humaine.plon.
Les lignes de chants, lieu de parcours, d'échange et d'alliance (on échangeait des chants avec le groupe voisin dont il fallait en retour apprendre le chant) renvoient précisément à ce que Deleuze appelle » « ritournelle ».
Les Aborigènes ne sont donc pas enracinés dans un territoire ou dans une représentation qui calque celui-ci sur un mètre conventionnel, une norme stable. Ils occupent un seuil; ils illustrent le principe de « transgressivité », un entre-deux permanent figure contemporaine du labyrinthe. Un tiers espace pénétré de toutes les forces qui naissent et s'expriment à la charnière entre les mondes

Pour conclure je voudrais citer un texte de Bertrand Westphal, un des fondateurs de la géocritique, texte qui n'est pas sans rapport avec la pensée nomade et son échappée des lieux. Il résume d'une certaine façon « l'homme dans le labyrinthe », sa confrontation avec l'espace du réel. Il évoque le philosophe Clément Rosset pour qui le réel est « idiot », c'est à dire qu'il est simplement ce qu'il est, et donc on ne peut que le suivre (au lieu de s'évader dans un monde d'illusion.) .Extravaguant pourtant selon Sophocle, l'homme du moins a la capacité d'en explorer les virtualités.
« Ayant tous les chemins, sans chemin il marche vers rien quoiqu'il puisse arriver » Antigone.

« Après avoir cité Lucrèce et Dante se plaignant l'un des incertitudes du temps et du lieu et l'autre des tracas que lui inspire la voie droite sujette à l'égarement, Rosset s'intéresse au personnage de Geoffrey Firmin dans Au-dessous du volcan (1947) de Malcolm Lowry. Geoffrey Firmin, ancien consul démis de ses fonctions, tente sans y parvenir d'échapper à l'emprise de l'alcool au fond d'une petite ville du Mexique. L'histoire est connue et il n'est pas nécessaire d'y revenir. Ce qui retient l'attention de Rosset, c'est la démarche claudicante du diplomate: as somehow, anyhow, they moved on ; ils avancent « de toute façon d'une certaine façon». La progression cahin-caha de l'alcoolique Geoffrey Firmin accompagné d'Yvonne devient symptomatique de ce que pourrait être l'inscription dans l'espace de l'ensemble de l'humanité, fût-elle sobre. C'est qu'elle aussi, face à la ligne droite que les cartes idéalisent, clopin-clopine de part et d'autre du repère, dans un Bei-Spiel permanent. Comme dit Rosset, « il n'est pas de "n'importe quelle façon" (anyhow) qui ne débouche sur "une certaine façon" (somehow), c'est-à-dire précisément sur quelque chose qui n'est pas du tout n'importe quoi, n'importe quelle façon, mais au contraire cette réalité-là. et nulle autre, cette façon qu'elle a d'être et aucune autre façon. Indétermination totale et détermination totale sont à jamais confondues l'une avec l'autre ». Cette réalité-là caractérise le lieu dans l'espace. Certes, elle n'est pas celle qu'une norme globalisatrice, déterminante, isole. Elle est plutôt celle qui accompagne les mille et une déclinaisons possibles de l'espace, la multitude d'incartades que la ligne droite qui pourtant devrait faire de l'espace un lieu global suscite...
L'espace n'est jamais vraiment là, il est au-delà, en deçà, à côté. Là est simplement le lieu, qui jamais ne coïncide avec l'espace. Il y a bien un espace vide, il est inqualifiable. As somehow anyhow, il est dans la transgression permanente, dans la trans-gressivité. Pour Rosset, il pourrait s'agir d'une extra-vagance, celle qui, selon lui, affecte l'Antigone de Sophocle aussi bien que le consul de Lowry. L'extra-vagance fait de l'un et de l'autre, et virtuellement de tout individu, un être pantoporos, « capable d'emprunter tous les chemins, y compris les voies interdites ». Ce faisant, il brave la monotonie du réel et les restrictions du lieu. Il s'ouvre un chemin dans l'espace et rouvre un espace que de toute façon rien ne saurait entraver. L'attitude pantoporos consacre l'approximation et l'approche relative au détriment de la permanence et de la station absolue. Elle est peut-être la seule plausible, qui arracherait l'individu moderne ou postmoderne à la sensation de clôture que lui inspire l'espace localisé, l'espace que les cartes, les lignes et les stries enferment dans le lieu. ».

Pour plus ample iconographie , les VILLES LABYRINTHES du peintre néerlandais ESCHER ET LES CORPS FRACTALS DE JEAN CLAUDE MEYNARD, reproduits ici.
http://www.jeanclaudemeynard.fr/TAE17.html
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