Avec Peri, Caccini participe à l'invention de deux fondamentaux de l'opéra baroque: le récitatif et l'aria, même si le terme d'opéra n'est pas encore employé à cette époque pour désigner ces premières oeuvres à sujet profane du recitar cantando. Rinaldo Alessandrini relève la 'pauvreté' du langage musical de Caccini qui donne une oeuvre monodique encore proche du langage parlé. Il s'agissait, pour cet auteur de madrigaux, de retrouver l'esprit du théâtre antique dont on imaginait alors qu'il pouvait avoir été chanté sur le mode de ce qui allait devenir le récitatif. L'interprétation des musiciens du Concerto italiano est d'une telle qualité et d'un tel entrain qu'on reste captivé d'un bout à l'autre de l'oeuvre, malgré ses côtés parfois répétitifs. Les chanteurs sont également remarquables, notamment dans l'ornementation de la ligne mélodique par les trilles, et portent l'opéra à l'unisson des instrumentistes, n'était-ce la contre-performance de Silvia Frigato, qui, malgré la joliesse de sa voix, reste cependant par trop fluette, trop en retrait des deux rôles qu'elle interprète (la salle du théâtre d'Innsbruck n'est pas grande et il a fallu tendre l'oreille pour entendre la chanteuse). La mise en scène intelligente et amusante de Hinrich Horstkotte contribue aussi d'égale manière à la réussite de la représentation.
Jeux innocents avant la noce. Euridice (Sivia frigato) dans un colin-maillard. En arrière-plan,
Marie de Médicis et Henri IV assistent à la scène.
L'oeuvre a été composée à l'occasion des noces de Marie de Médicis, la fille du Grand Duc de Toscane Francesco Ier de Médicis, avec le Roi de France, Henri IV. Le mariage avait été célébré au Dôme de Florence le 5 octobre 1600. L'oeuvre a été écrite dans la mouvance de la Camerata forentina (Camerata Bardi), qui s'attachait notamment à faire revivre la tragédie antique. Ottavio Rinuccini en a écrit le livret dont une première version a été mise en musique par Jacopo Peri. C'est cette première oeuvre qui fut représentée pour la première fois au Palais Pitti le lendemain des noces, soit le 6 octobre. Peri avait intégré dans sa composition deux 'arias' de Giulio Caccini, l'aria d'Euridice et celui du berger, ainsi que le choeur Al canto, al ballo. Presque aussitôt après, Caccini réutilisa le livret pour composer sa propre musique, entre 1600 et 1602. L'Euridice de Caccini fut jouée pour la première fois à Florence en 1602. Caccini en publia la partition, chez Giorgio Marescotti, avant que celle-ci fût exécutée, et avant la publication de celle de Jacopo Peri. Cette rapidité de publication fait de L'Euridice de Caccini le premier opéra publié connu.
Synopsis
Comme l'oeuvre a été écrite pour être exécutée pendant les festivités d'un mariage, Rinuccini a adapté le récit mythologique en lui donnant une fin heureuse. Le mariage d'Orphée et d'Euridyce de la première scène évoque celui de Marie de Médicis et d'Henri IV, qui s'est déroulé en l'absence de l'époux qui s'était fait représenter, comme il était concevable à l'époque lors des mariages des puissants. Cette absence peut être mise en parallèle avec l'absence d' Euridyce qui meurt avant même d'être mariée. La circonstance de l'écriture du livret et le parallèle introduit rendaient une fin tragique impossible.
Prologue
La personnification de la Tragédie présente le lieu de l'action et le caractère des personnages et s'excuse aussitôt après du public: elle ne pourra jouer son rôle véritable qui est d'évoquer les malheurs et les désastres d'une action qui se termine par une fin malheureuse. Elle invite tous ceux que réjouissent la beauté des corps des jeunes mariés et la sérénité du paysage à écouter le chant d'Orphée.
Acte I
A l'aube, un mariage se prépare dans un village d'Arcadie. Des bergers et des nymphes (le berger, la nymphe du choeur, Tirsi et Arcetro) se réjouissent de l'harmonie du couple qui va s'unir. Euridyce se retire avec ses suivantes pour les préparatifs de la noce rituelle, tandis qu'Orphée chante sa joie, et les habitants du village commencent à danser. Mais il est interrrompu par la nymphe Daphné,qui accourt affolée. EuridYce se meurt, piquée par un serpent alors qu'elle traversait une prairie. Avant son dernier soupir, elle prononce le nom de son bien-aimé, Orphée, qu'elle appelle.
Acte II
Orphée veut répondre à cet appel. Guidé par Vénus, il descend aux enfers et demande à Pluton de lui restituer sa bien-aimée Mais Pluton est d'abord inébranlable: la loi est la loi, dura lex sed lex, et est la même pour tous. Proserpine implore sa clémence. Mais Orphée continue de chanter et, aidé des divinités infernales, parvient à faire fléchir l'infernal souverain.
Acte III

Le pouvoir de la musique et du chant orphiques (Furio Zanasi en Orphée) ressuscite la morte
A la fin de la journée, Orphée n'est pas revenu au village. Tous sont tristes et déplorent tristement sa décision de descendre aux Enfers. mais Arcetro paraît et se met à faire le récit de l'impensable. Orphée aurait réussi! Les habitants du village ne parviennent pas à le croire. Orphée paraît enfin, avec Euridyce vivante marchant à ses côtés. Tous se remettent à préparer le festin de la noce tout en célébrant le pouvoir de la musique et la magie du chant qui ressuscite les morts.
La scène des Enfers: Sara Mingardo (Proserpine), Antonio Abete (Pluton)
et Furio zanasi (Orphée)
C'est un spectacle d'une rare qualité que nous a offert le festival d'Innsbruck, avec la superbe interprétation du Concerto italiano, d'excellents chanteurs, et le regard à la fois intelligent et amusé d'un metteur en scène accompli qui a su garder une âme d'enfant. et la mettre au service d'une musique qui a gardé la jeunesse des grands débuts. On en sort avec l'impression d'avoir pu goûter aux prémices de l'opéra. Quel privilège!
L'Euridice Composta in Musica in Stile Rappresentativo de Giulio Caccini (1551–1618) Libretto d' Ottavio Rinuccin
avec
Euridice, Tragedia Silvia Frigato (Soprano)
Orfeo Furio Zanasi (Baryton)
Dafne, Proserpina Sara Mingardo (Contrealto)
Venere Monica Piccinini (Soprano)
Arcetro Giampaolo Fagotto (Ténor)
Plutone Antonio Abete (Basse)
Aminta, Tirsi Luca Dordolo (Ténor)
Caronte Mauro Borgioni (Baryton)
Radamanto Matteo Bellotto (Basse)
Choeur et ensemble instrumentral Concerto Italiano
Direction musicale et clavecin Rinaldo Alessandrini
Mise en scène et costumes Hinrich Horstkotte
Décors Nicolas Bovey
Crédit photographique: Innsbrucker Festwoche/Ruppert Larl