Magazine Environnement

Henry Ford (1926) et la semaine de 5 jours payés 6

Publié le 29 août 2013 par Bassia

Le constructeur automobile dans cette interview raconte à M. Crowther pourquoi il a réduit la semaine de travail dans les usines Ford du monde entier, à quarante heures sans diminution de salaire

Il y a juste douze ans, Henry Ford faisait une annonce qui, à l’époque, a révolutionné l’industrie et amené des ouvriers par dizaines de milliers à prendre d’assaut les emplois offerts par Ford. Son annonce stipulait que, désormais, le salaire minimum dans ses industries serait de cinq dollars pour une journée de huit heures. À cette époque, un bon salaire était de deux dollars et demi pour une journée de dix heures. À la suite de cela, il a fait une autre annonce beaucoup plus importante que celle-ci, laquelle a ensuite fait le tour du monde.

« Nous avons », a-t-il dit, « décidé et à la fois mis en vigueur dans toutes les branches de nos industries la semaine de cinq jours. Il n’y aura donc plus de travail chez nous le samedi et le dimanche. Ceux-ci seront des jours libres, mais les travailleurs, en fonction du mérite, recevront la même rémunération que pour une semaine complète de six jours par semaine. Une journée continuera d’être de huit heures, sans heures supplémentaires. »

« Pour l’instant, cela ne s’appliquera pas au chemin de fer, et bien sûr elle ne peut s’appliquer aux gardiens ou à certains emplois où les processus doivent être continus. Certains de ces hommes auront à travailler le samedi et le dimanche. Cependant ils représentent moins de un pour cent de notre force de travail et chacun d’eux aura deux jours de repos consécutifs au cours de la semaine. En bref, nous avons changé notre calendrier qui compte désormais une semaine de cinq jours ou de quarante heures. »

« La semaine de travail effective des usines sera également réduite à cinq jours. Mais bien sûr, une journée de huit heures pour un travailleur n’est pas la même chose qu’une journée de huit heures pour l’usine. Afin de rendre optimale l’utilisation de nos usines, nous devons au préalable organiser le travail des hommes en quarts, en équipes. Nous avons constaté il y a longtemps, toutefois, que cela n’est pas rentable de mettre les hommes au travail, à l’exception des opérations continues, de minuit jusqu’au matin. En tant qu’élément de la production à faible coût – et seule la production à faible coût peut permettre des salaires élevés – de gros investissements dans les usines et des machines puissantes sont nécessaires. Des outils coûteux ne peuvent pas rester inactifs. Ils doivent travailler vingt-quatre heures par jour, mais ici l’élément humain intervient. Bien que beaucoup d’hommes aiment travailler toute la nuit et avoir une partie de leur journée libre, ils ne travaillent pas aussi bien et ce n’est donc pas rentable, ou du moins pour ce qui est de notre expérience, de passer aux vingt-quatre heures de travail continu. Mais une usine moderne doit fonctionner plus de huit heures par jour. Elle ne peut pas rester inactive les deux tiers du temps, sinon cela aura un coût. »

« Cette décision de mettre en vigueur la semaine de travail courte n’est pas soudaine. Nous allons vers elle depuis trois ou quatre ans. Nous avons marché à tâtons. Nous avons, pendant une grande partie de ce temps, fonctionné sur une base de cinq jours. Mais nous avons alors payé seulement pour cinq jours de travail et non pas pour six. Et à chaque fois qu’un atelier de l’usine a été particulièrement sous pression, nous sommes retournés aux six jours – à quarante-huit heures Maintenant, nous savons, par nos expériences de passage de six à cinq jours et vice et versa, que nous pouvons obtenir une production aussi importante en cinq jours qu’en six. Nous obtiendrons probablement une plus grande production car de la pression naissent de meilleures méthodes. Une semaine complète de salaire pour une semaine de travail de courte durée sera rentable. »

« Est-ce que cela signifie, » demandai-je, « que le salaire minimum actuel que vous proposez de six dollars par jour pour six jours atteindra-t-il plus de sept dollars par jour, le minimum pour cinq jours de travail restant à trente-six dollars ? »

« Nous travaillons actuellement sur ​​les grilles de salaires», a répondu M. Ford. « Nous avons cessé de penser en termes de salaire minimum. Cela appartient à hier, avant que nous sachions exactement ce que signifiait le paiement de salaires élevés. Actuellement si peu de personnes reçoivent le salaire minimum que nous ne nous en préoccupons pas du tout. Nous essayons de payer l’homme ce qu’il vaut et nous ne sommes pas enclins à garder un homme qui ne vaut pas plus que le salaire minimum. »

« Le pays est prêt pour la semaine de cinq jours. Cela va se généraliser à toute l’industrie. En l’adoptant nous-mêmes, nous la plaçons de fait dans une cinquantaine de secteurs, car nous sommes des mineurs de charbon, des mineurs de fer, des bûcherons, et ainsi de suite. La semaine courte sera généralisée, parce que, sans elle, le pays ne sera pas en mesure d’absorber sa production et de rester prospère. »

« Les ouvriers bien rémunérés ont plus de loisirs, et ces loisirs deviennent des besoins. Ces désirs de loisirs vont bientôt devenir des besoins. Bien gérée, une entreprise paie des salaires élevés et vend à bas prix. Ses ouvriers ont le loisir de profiter de la vie et ont les moyens pour financer cette jouissance. »

« L’industrie de ce pays ne pourra exister longtemps si nombre d’entreprises reviennent à la journée de dix heures de travail, car alors les gens n’auront plus de temps pour consommer les biens produits. Par exemple, le travailleur devrait avoir accès à l’automobile pour aller faire du shopping de l’aube jusqu’au crépuscule. Et cela aura des conséquences innombrables, pour l’automobile, en permettant aux gens de se déplacer rapidement et facilement, on leur donne une chance de découvrir ce qui se passe dans le monde – ce qui les conduit à une vie plus riche qui nécessite plus de nourriture, plus et de meilleurs produits, plus de livres, plus de musique – plus de tout. Les avantages du voyage ne sont plus limités à ceux qui peuvent se payer un coûteux voyage à l’étranger. Il y a plus à apprendre dans ce pays qu’il n’y en a à l’étranger. »

« Tout comme la journée de huit heures a inauguré notre chemin vers la prospérité, la semaine de cinq jours va ouvrir le chemin d’une prospérité encore plus grande. »

« Bien sûr, il y a un côté humaniste à la réduction du temps de travail quotidien et hebdomadaire. Cependant s’attarder sur ce point est susceptible de nous mettre dans l’embarras car alors les loisirs pourraient devenir prioritaires sur le travail au lieu de se situer après le travail – où ils doivent se situer. Il y a vingt ans, l’introduction de la journée de huit heures généralisée aurait créé de la pauvreté et non de la richesse. Il y a cinq ans, l’introduction de la semaine de cinq jours aurait eu le même résultat. Les heures de travail sont régies par l’organisation du travail et par rien d’autre. C’est l’augmentation du nombre de grands trusts et de leur capacité à utiliser l’énergie, à utiliser des machines conçues avec précision, et plus généralement à réduire les déchets, les matériaux et l’énergie humaine qui a permis d’arriver à la journée de huit heures. Puis, aussi, il y a le gain par le biais de la fabrication de précision. À moins que les pièces ne soient réalisées avec précision, les avantages de la production en quantité seront perdus à l’assemblage. Des progrès supplémentaires dans le même sens ont permis la semaine de cinq jours. La progression a été naturelle. »

« La loi relative aux huit heures de travail par jour ne fait que confirmer ce que l’industrie avait déjà découvert. S’il en était autrement, la loi créerait de la pauvreté au lieu de de la richesse. Un homme ne peut être payé un salaire supérieur à sa production. Dans le passé, avant que nous n’ayons le management et l’énergie, un homme devait travailler de longues journées dans le but d’obtenir une vie simple. Maintenant, les journées longues ne feraient que retarder la production et la consommation. À l’heure actuelle, la fixation par la loi d’une semaine de cinq jours serait imprudente dans un délai relativement court car l’industrie n’y est pas prête même si une grande partie l’est. C’est pourquoi je crois que la pratique sera généralisée dans l’industrie qui la rendra universelle.

« Il est grand temps de nous débarrasser de l’idée que les loisirs pour les ouvriers sont soit “du temps perdu”, soit un privilège de classe. »

« La nature a fixé les premières limites de travail, nous avons besoin des suivantes. L’inhumanité de l’homme envers l’homme a été liée à cela pendant une longue période, mais maintenant nous pouvons dire que le droit économique va finir le travail. »

« Les employeurs à l’ancienne ont l’habitude de s’opposer à nombre de jours fériés dans ce pays. Ils disent que les gens abusent des loisirs et seraient mieux sans en avoir autant. »

« Ce n’est que récemment qu’un professeur de français a parlé de la consommation accrue d’alcool en pointant la journée de huit heures, la dénonçant comme un dispositif qui donne plus le temps de boire aux ouvriers. »

« Il est généralement admis que si les hommes boivent, leurs familles sombrent dans la pauvreté et eux-mêmes dans la dégénérescence, donc moins ils ont de temps libre à y consacrer mieux c’est. Mais ce n’est pas valable pour les États-Unis. Nous sommes prêts pour les loisirs. La loi sur la prohibition, à travers la plus grande partie du pays, a permis aux hommes et à leurs familles de vraiment profiter de leur temps libre. Un jour de congé n’est plus un jour en état d’ébriété. Mais aussi un jour de congé n’est pas chose si rare qu’il doit être célébré. »

« Cela ne veut pas dire que le loisir ne peut pas être dangereux. Tout ce qui est bon est aussi dangereux. Quand cela est mal géré. Lorsque nous avons mis en vigueur notre salaire minimum de cinq dollars pour une journée de huit heures il y a quelques années, nous avons dû observer beaucoup de nos hommes pour voir ce qu’ils faisaient de leur temps libre et comment ils utilisaient leur argent. Quelques hommes ont pris des emplois supplémentaires – certains travaillant la journée avec nous et de nuit dans une autre usine ; certains autres ont bu leur rémunération supplémentaire. D’autres encore ont mis à la banque le surplus et ont continué de vivre comme auparavant. Mais en quelques années, tous se sont autorégulés et nous avons arrêté notre supervision devenue inutile. »

« Il n’est pas nécessaire du tout de mettre du sentiment dans cette question des loisirs des travailleurs. Le sentiment n’a pas sa place dans l’industrie. Dans les temps anciens, ceux qui pensaient que les loisirs étaient néfastes avaient généralement un intérêt dans les produits de l’industrie. Le propriétaire du moulin a rarement vu le bénéfice du temps de loisir pour ses employés, à moins qu’il ait pu contrôler ses émotions. Maintenant nous pouvons considérer à froid les loisirs comme une composante des affaires. »

« Il n’est pas facile alors de défendre les loisirs, vu la coutume qui les considère comme “du temps perdu”, du temps retiré à la production. C’était une suspension de l’activité du monde. Les considérations sur les loisirs étaient généralement axées sur le fait que les gens qui travaillent dur devraient avoir un peu de répit pour se remettre de leurs fatigues. Le motif est purement humaniste. Il n’y avait rien de concret à ce sujet. Les loisirs sont une perte qu’un bon employeur pourrait prendre sur ses profits. »

« Que le diable trouve du travail pour les mains oisives est probablement vrai. Mais il y a une différence profonde entre les loisirs et l’oisiveté. Nous ne devons pas confondre loisirs avec fainéantise. Nos employés sont parfaitement capables d’utiliser à bon escient le temps libre qu’ils ont après le travail. Cela a déjà été démontré par nos expériences au cours de ces dernières années. Nous constatons que les hommes reviennent, après un repos de deux jours, frais et dispos et qu’ils sont capables de mettre leur esprit ainsi que leurs mains immédiatement au travail. »

« Peut-être n’utilisent-ils pas leur temps libre au mieux. Ce n’est pas à nous de le dire, à condition que leur travail soit meilleur qu’il ne l’était lorsqu’ils n’avaient pas de temps libre. Nous ne sommes pas de ceux qui prétendent être en mesure de dire aux gens comment utiliser leur temps dans les commerces. Nous avons foi en ce que l’homme moyen trouvera de lui-même le meilleur chemin, même si cette façon de faire peut ne pas correspondre exactement avec les programmes des réformateurs sociaux. Nous savons que beaucoup d’hommes ont entrepris la construction de leurs propres maisons, et pour répondre à leur demande en bois de bonne qualité et pas cher, nous avons créé une scierie où ils peuvent acheter le bois de nos propres forêts. Les hommes s’entraident dans ce bâtiment et par conséquent répondent par eux-mêmes à l’un des problèmes de la cherté de la vie. »

« Nous pensons que, compte tenu de cette possibilité, les gens vont devenir de plus en plus experts dans l’utilisation efficace de leur temps libre. Et nous donnons cette chance. »

« Mais c’est l’influence des loisirs sur la consommation qui rend si nécessaire la journée de travail courte et la semaine courte. Les personnes qui consomment la majeure partie des marchandises sont les gens qui les fabriquent. C’est un fait que nous ne devons jamais oublier. Et qui est le secret de notre prospérité. »

« La valeur économique des loisirs n’a pas trouvé sa place dans la pensée des dirigeants industriels à une grande échelle. Alors que la vieille idée de ”temps perdu” nous a quittés, et qu’on ne croit plus que la réduction de la journée de travail de douze heures à huit heures diminue la production, la valeur positive industrielle – la valeur des dollars et des centimes – issue des loisirs, n’est toujours pas comprise. »

« La durée des journées de travail vient d’augmenter en Allemagne,  dans l’illusion que  la production pourrait augmenter. Elle est très probablement en train de diminuer. Avec la diminution de la durée de la journée de travail aux États-Unis, une augmentation de la production est advenue, parce de meilleures méthodes d’utilisation du temps des hommes ont été accompagnées par de meilleures méthodes consistant à utiliser leur énergie. Et c’est ainsi qu’une bonne chose en a apporté une autre. »

« Ces points de vue sont très familiers. Mais il y a un autre angle, cependant, que nous devons prendre en considération – la valeur industrielle positive du temps libre, car elle augmente la consommation. »

« Lorsque les gens travaillent plus longtemps et ont moins de loisirs, ils achètent donc moins de marchandises. Aucune de nos villes n’était aussi pauvre que celles de l’Angleterre où les gens, jusqu’aux enfants, travaillaient de quinze à seize heures par jour. Ils étaient pauvres parce que ces gens, surchargés de travail, étaient rapidement usés -  ils ont eu de moins en moins de valeur en tant que travailleurs. C’est pourquoi, ils ont gagné de moins en moins et pouvaient acheter de moins en moins. »

« Les affaires sont pour nous des échanges de marchandises. Les marchandises sont achetées uniquement quand elles répondent aux besoins. Ces besoins ne sont remplis que lorsqu’ils se font sentir. Ils se font principalement sentir durant les heures de loisir. L’homme qui a travaillé de quinze à seize heures par jour ne souhaite seulement qu’un coin où être à l’abri et un peu de nourriture. Il n’a pas le temps de cultiver de nouveaux besoins. Aucune industrie ne pourrait jamais être mise en place pour combler ses besoins, parce qu’il n’y en a aucun, sauf les plus primitifs. »

« Pensez à la façon dont les affaires sont restreintes en ces terres où hommes et les femmes travaillent encore tous les deux toute la journée! Ils n’ont pas le temps de laisser les besoins de leurs vies se faire sentir. Ils n’ont pas de loisirs à acheter. Ils ne se développent pas. »

« Quand, dans l’industrie américaine, les femmes ont été libérées de la nécessité du travail en usine et sont devenues les acheteurs pour la famille, les entreprises ont commencé à se développer. La femme américaine, en tant qu’agent d’achat des ménages, possède à la fois des loisirs et de l’argent, et les premiers sont tout simplement aussi importants que le second dans le développement de l’entreprise américaine. »

« La semaine de cinq jours porte simplement cette réflexion plus avant. »

« Les personnes ayant une semaine de cinq jours consommeront davantage de biens que les personnes ayant une semaine de six jours. Les gens qui ont plus de loisirs doivent avoir plus de vêtements. Ils doivent avoir une plus grande variété de nourriture. Ils doivent disposer de plus d’installations de transport. Ils doivent naturellement avoir plus de services de toutes sortes. »

« Cette augmentation de la consommation exigera une plus grande production que celle dont nous disposons maintenant. Au lieu d’entreprises tournant au ralenti parce que les gens sont “hors travail”, elles seront en augmentation, parce que les gens consomment plus durant leurs loisirs que pendant leur temps de travail. Cela va conduire à plus de travail. Et cela pour plus de profits. Et cela pour des salaires plus élevés. Le résultat de plus de loisirs sera l’exact opposé de ce que la plupart des gens pourraient le supposer. »

« Le management doit suivre le rythme de cette nouvelle demande – et il le fait. Cela correspond à l’intersection de la puissance et des machines dans les mains de dirigeants, connexion qui a rendu plus courte la journée  et la semaine de travail la plus réduite possible C’est un fait qu’il est bon de ne pas oublier. »

« Naturellement, les services ne peuvent pas fonctionner sur la base de cinq jours. Certains doivent être continus et d’autres ne sont pas encore organisés de telle sorte qu’ils puissent fonctionner cinq jours par semaine. Mais si l’objectif fixé est de produire plus en cinq jours que ce que nous faisons maintenant en six, alors le management trouvera le moyen de le réaliser. »

« La semaine de cinq jours n’est pas le but ultime, pas plus que la journée de huit heures. Il suffit de gérer ce que nous sommes en mesure de gérer et de laisser l’avenir prendre soin de lui-même. C’est ce qui se passera de toute façon. C’est habituel. Mais le prochain mouvement sera sans doute à la baisse du nombre d’heures travaillées par jour au lieu de la baisse du nombre de jours travaillés par semaine. »

Henri Ford, 1926


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Bassia 2 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte