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Et si on était sérieux ?

Publié le 29 août 2013 par Egea
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J'avais prévu de vous parler de quelque chose d’important, à savoir de Raymond Aron, que je n'oublie pas. Bon, il a attendu 50 ans, il n'est pas à un jour prêt, c'est donc remis à demain. Tandis que "la pièce" à laquelle nous assistons nous réserve de tels rebondissements qu'il serait dommage de ne pas en parler. Laissez moi tout d'abord vous dire les titres auxquels vous avez échappés, mélange d'ironie, de colère et de consternation :

  • Tambours de guerre et reculade
  • Théâtre aux armées
  • Pédalo et rétropédalage
  • Bien sûr, nous ne ferons rien
  • Serpent : 1 - faucon : triple zéro

Et si on était sérieux ?
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Je pourrai continuer, et je suis sûr qu'à vous aussi, des "titres" sont venus à l'esprit : n'hésitez pas à les partager, qu'au moins on rigole un peu, parce que tout le reste est à pleurer de bêtise. Riche d'enseignement, toutefois.

Rappel donc de la "pièce" en cinq actes (on n'ose parler de drame ou de tragi-comédie).

  • Acte I : Une attaque chimique. Stupeur !
  • Acte II : Circonspection, de quoi s'agit-il, réfléchissons un peu, établissons les faits
  • Acte III : Roulement de tambours, la hache de guerre est déterrée, vous allez voir ce que vous allez voir, trompettes et propagande
  • Acte IV (ce jour) : Rebondissement. Ben, en fait, et si on réfléchissait un peu ?

Honnêtement, le synopsis n'est pas trop mal, car chaque acte vient à l'encontre du précédent, et les deux options (1/ j'lui casse la g... quand même 2/ Je bois de la honte encore et encore) demeurent présentes.

Donc, Obama avait décidé, de mauvais gré, de faire quelque chose. IL avait été déraisonnable avec son histoire de ligne rouge, du coup il s'était fait prendre au piège, et le déclin de l'Amérique dans la région est assez patent pour qu'on ne puisse pas se permettre de ne rien faire. Parce qu'en effet, c'est une option : ne rien faire, cela veut dire que le chimique n'est pas un problème, c'est un signal au régime pour qu'il s'en serve. Peu importe qu'il soit à l'origine des tirs de mercredi dernier, si on ne fait rien, on est sûr qu'il sera à l'origine des prochains, pour le coup. Bref, faire quelque chose, selon les lignes que j'ai expliquées ici.

Ce qui était intéressant, c'est que la guerre c'est déplacé sur un autre terrain, elle est devenue "aussi" une guerre non militaire, pour reprendre la distinction des auteurs chinois de la Guerre hors limite. Autrement dit, la ligne d'opération militaire est devenue annexe par rapport à une ligne d'opération principale, qui était médiatique. Le militaire est devenu latéral par rapport au frontal qu'étaient les médias. Ce qui explique le déchainement de propagande auquel on a assisté depuis dimanche soir, particulièrement en France. Mais puisqu'on est dans la propagande, il ne faut pas être fin, et ne pas s'embarrasser des détails (preuve, légalité et ce genre de choses). Pour le coup, on a été servi, la machine s'est mise en branle, et quelque part, il na faut pas trop critiquer les petits soldats : ce sont des soldats, après tout, et ils doivent se retrouver assez amers. C'est difficile d'être soldat, je devine que pas mal de lecteurs d'égéa sont d'accord avec cette assertion, soyez donc indulgents avec les autres. L'édito du Monde de ce soir qui ne trouve rien d'autre qu'à accuser la Russie témoigne de l'impasse amère où se trouve cette ligne maximaliste.

Car la grande surprise (est-elle si grande, en fait ?), c'est que ça n'a pas fonctionné. En effet, quand vous allez sur le théâtre d'opération médiatique, vous visez trois objectifs simultanément : l'ennemi, bien sûr, à qui s'adresse d'abord cette rhétorique stratégique ; les amis, aussi, qu'il s'agit de convaincre ; et l'opinion publique, qu'il s'agit également de convaincre. Vous avez deviné que ça n'a pas marché.

L'ennemi, au sens large, d'abord. Si Assad n'a pas dû être très content de cette réaction américaine, si les Iraniens et les Chinois ont fait le job (mais sans trop d'emphase : la nuance compte), les Russes ont parfaitement joué leur jeu, avec des déclarations, l'envoi de navires en Méditerranée (c'est bien le moins), et discrètement le signal qu'il serait très dommageable qu'un missile américain tue par inadvertance un citoyen russe se trouvant par hasard juste à côté d'une batterie de missile sol-air. Même dans les dommages collatéraux, il y a des inégalités, je sais, c'est injuste. Mais globalement, pour Washington, c'était gérable. Les difficultés sont venues des amis.

L'opinion publique, d'abord. Eh! bien, elle est moins maniable qu'il y a 25 ans ou dix. Et surtout, grâce aux blogs et à Internet, elle a le moyen de se former son jugement et de promouvoir des vues alternatives au discours dominant. On l'a vu lors du référendum de 2005 où le non l'a emporté grâce à Internet, et depuis on ne cesse de voir les défaites des grands orchestres. Surtout quand on donne du temps à cette opinion, beaucoup moins malléable qu'autrefois. Voici donc partout dans le monde "occidental" une opinion publique qui ne soutient pas l'intervention. Bon, au besoin, on peut passer outre, surtout si on agit prestement pour "passer à autre chose".

Encore faut-il que les amis fassent le job. Et là... Accessoirement, à l'origine, on a surtout entendu la Grande Bretagne et la France jouer les faucons. Mais précisons bien ce point ici : la ligne "faucon" a été initiée à Londres et Paris. Je sais qu'on fait beaucoup de comparaisons avec le Kosovo, mais là, il faut revenir à l'affaire bosnienne, entre 1992 et 1995, lorsque déjà Londres et Paris jouaient les hard liners pour inciter les US à venir. Différence : il y avait des troupes anglaises et françaises sur le terrain. De même, pour la Libye, les deux acolytes ont fait le job, et les Américains sont venus à reculons. Fort de ces deux expériences, Washington s'est dit que cette fois, encore, le trio pourrait fonctionner. Même si évidemment, c'était cette fois aux Américains de jouer la principale scène de guerre, et lead from the front. Un trio décidé, et cela emportait le morceau.

Ben oui mais non. Parce que les habituels "followers", cette fois, n'ont pas suivi. Ne blâmons pas l'Allemagne, pour une fois : à trois semaines des élections, on ne peut rien attendre de Berlin en ce moment. Mais Italie, Pays-Bas, Pologne ont marqué leur distance. La ligue arabe a apporté un soutien contraint. Quant à la Turquie, elle n'a pas été des plus habiles depuis le début de l'affaire (tiens, relisez le passage de Luttwak que j'ai cité dans mon précédent billet, il vaut son pesant de cacahuètes).

Et puis si j'ai pu être critique des positions du MAE allemand par le passé, il faut bien convenir que cette fois, c'est du côté de Londres que ça n'a pas été très solide (remarquez à quel point je me force à l'understatement dès que je parle des Anglais). Puisque M. Cameron a en fait joué au bluff vis à vis de sa scène politique intérieure, et qu'il a perdu. DU coup, pas de vote aux Communes, pas de résolution à l'Onu, et voici tout ce petit monde contraint d'attendre le retour des inspecteurs (dimanche) et une base légale un peu plus assurée pour passer à l'action.

Bref, M. Obama doit être fumasse. Il a été contraint de déclarer aussitôt qu'il n'avait pas pris sa position, et du coup l'opposition monte au créneau, entre les isolationnistes qui disent "pourquoi faire" et les hardliners qui disent "si on y va faut que ce soit pour casser la figure à Assad", le voilà dans un joli pétrin.

Conclusion :

  • il est souvent intelligent, dans le monde stratégique contemporain, de répondre sur un autre théâtre que celui où l'on a des difficultés. Le passage par le théâtre médiatique n'était donc pas absurde, au départ.
  • Toutefois, quand on décide de faire une ...onnerie, on y va vite : la vitesse permet d'une part d'être en phase avec l'émotion, d'autre part de surprendre un peu l'ennemi, enfin de laisser la place à une nouvelle situation où l'on a de nouvelles marges de manœuvre.

Dans le cas présent, au contraire :

  • on a fermé ses marges de manœuvre.
  • le temps qui passe rend inutilisable la guerre médiatique, fondée sur l'émotion. Dès que la raison reprend ses droits, on a perdu.
  • L'Amérique qui apparaissait en partie impuissante dans la région vient de démontrer qu'elle l'était totalement : cela va l'inciter plus encore qu'avant à délaisser 1/ le théâtre moyen-oriental qui l'ennuie, 2/ les Européens qui ne sont pas fiables. J'avais émis des doutes sur la notion de "bloc occidental" : cette affaire vient de le mettre durablement à terre.
  • on va donc revenir à l'autre terme de l'alternative : on avait choisi de faire quelque chose et finalement on ne va pas le faire, donc on revient à "on ne fait rien", à ceci près qu'en plus, on a démontré qu'on n'en pouvait mais.

Du coup, cette défaite tactique sur le théâtre de la guerre médiatique, dans la guerre non militaire, va se transformer en une victoire opérative pour Assad. Vous avez compris que je n'étais pas partisan de l'intervention au début. Mais pour le coup, cette "reculade" prend l'allure d'une déroute.

Bravo, splendide. Good game, M. Cameron.

Bon, il reste le V° acte : si ça se trouve, ils vont quand même tirer... Le théâtre aux armées, je vous dis !

O. Kempf


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