Magazine Beaux Arts

Trois femmes

Publié le 30 avril 2008 par Marc Lenot

Baguenaudant dans un musée de province, celui de Lille, où ce n’est pas ma première visite, je ne vais pas voir les chefs d’oeuvre locaux, mais, le nez au vent, de salle en salle, je laisse errer mon regard, j’attends l’éclair, la fulgurance. Au fil des salles, trois femmes m’arrêtent, me charment.

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La première n’est vêtue que de sa chevelure, longue, rousse, qui la voile. Son visage est dur et les tendons de son cou décharné saillent, ses bras sont musclés, ses mollets larges et ses pieds massifs et grecs.  Peu de grâce dans cette femme rustique, guère de séduction; la robe de ses cheveux la couvre pudiquement, aucun espoir qu’un vent fripon ne la dénude. Ces cheveux roux sont-ils ceux de Madeleine, la pécheresse repentie qu’on représente habituellement sous des traits plus rieurs ? Ou ce corps trapu est-il celui de Marie l’Egyptienne, ermite nue du désert, prostituée repentie elle aussi ? Elle tient un étrange récipient, cylindre noir avec une base dorée se confondant avec ses cheveux, et surmonté d’un chapeau de mandarin. Serait-ce le pot à onguent dont Madeleine se munit lors de sa visite au tombeau du Christ ? Mais n’est-il pas d’ordinaire représenté ouvert, pour symboliser la porte ouverte du tombeau qu’elle va alors découvrir, signifiant la résurrection ? La position des mains devant seins et ventre, la pointe du couvercle, le dévoilement de la cuisse gauche pourraient faire rêver, prêter à confusion. Il reste que cette sainte, Madeleine ou Marie, peut aisément évoquer Botticelli, mais aussi les préraphaélites ou Klimt, tant son style est graphique, simple, précis. C’est sans doute cette facture moderne dans une salle Renaissance qui m’a attiré chez elle. On hésite sur l’auteur, le cartel dit Bartolomeo di Giovanni, et le catalogue Cosimo Rosselli, tous deux Florentins de la fin du XVème siècle.

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La seconde se pâme dans les bras d’un homme qu’elle ne repousse que mollement. C’est un plâtre de James Pradier, Satyre et bacchante (le marbre est au Louvre). La bacchante renversée en arrière, dans une posture plus érotique que violentée, est Juliette Drouet, maîtresse du sculpteur. Le plâtre est de 1833, année où Juliette va rencontrer Victor Hugo. Ce groupe ne sera accepté au Salon qu’avec beaucoup de réticence, trop cru, trop expressif. Et pourtant le jeu de ces deux corps, de leurs bras, de leurs têtes est si séduisant.

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La troisième est une toile de Charles Desains, peintre romantique peu connu, Femme asphyxiée, datant de 1822. Cette femme a voulu se tuer, s’asphyxier aux émanations carboniques du brasero. Un ultime élan vital la fait tenter d’ouvrir la fenêtre, mais elle expire à cet instant même. Le lit en désordre sous le grand rideau noir dit l’amant parti, la femme abandonnée. Sur le sol de tommettes gît une lettre cachetée, d’explications, de reproches. Dans ce tableau grandiloquent, deux choses ont retenu mon attention vagabonde. D’abord la lutte entre la couleur rougeoyante du brasero et la lueur bleutée de la lune : ici le rouge vif est couleur de mort, et le bleu froid couleur de vie, codes inversés. Et ces deux couleurs se confrontent sur le corps de la jeune femme : ses cuisses dévoilées sous la tunique transparente sont le terrain d’affrontement des deux couleurs, de la mort et de la vie. L’autre étincelle de ce tableau vient de la position du corps de la femme, le bras étendu, tout le corps tendu dans une oblique vers l’espagnolette de la fenêtre. Cette tension m’a semblé être le reflet de l’élongation du corps de l’homme dans le Verrou, bras tendu vers le verrou décisif, ne faisant plus qu’un avec cet élan : parfaites antithèses entre ces deux pulsions, d’amour et de vie, toutes deux dépendantes d’un élément d’huisserie pour s’accomplir, l’une couronnée de succès, l’autre non.

La première femme, ancienne prostituée, mystique et ermite, se voulait morte au monde, la seconde, amante passionnée, donnait tous les signes de la petite mort, la troisième, maîtresse délaissée, elle, se meurt vraiment. Trois femmes, trois histoires d’amour, trois oeuvres qu’on remarque.

Photos 1 et 3 provenant de la base de données Joconde. Photo 2 de l’auteur.


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