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"La nostalgie heureuse" d'Amélie Nothomb

Publié le 31 août 2013 par Francisrichard @francisrichard

nostalgie heureuseA la date habituelle, fin août, un Nothomb sort. Cette année ne fait pas exception à ce rite littéraire qui perdure depuis vingt et un ans et qu'observe son éditeur avec la régularité d'un métronome.

Depuis quelques années j'ai pris le rythme à mon tour. Certes il y a de l'excellent et du bon Nothomb. Mais il n'y en a jamais de mauvais. C'est la raison de ma fidélité. Car je ne suis pas maso. Il faut que j'aie du plaisir à lire.

Quand Amélie Nothomb parle du Japon, je suis aux anges, non pas que j'y sois jamais allé, mais je suis pétri de culture nipponne depuis le moment - il y a vingt ans - où j'ai été initié au karaté-do...

Il ne faut donc pas s'attendre à ce que je sois trop critique envers elle, d'autant que je partage sa dilection pour Mishima, et surtout pour Stendhal.

A ma connaissance l'auteur a parlé du Japon dans au moins trois livres: dans Stupeur et tremblements, La métaphysique des tubes et dans Ni d'Eve ni d'Adam. Le présent livre serait alors le quatrième.

En octobre 2011, une équipe de journalistes de France 5 lui propose de réaliser un reportage sur ses traces japonaises - elle a quitté le Japon à l'âge de cinq ans, puis y est retournée deux fois en 1989-1990 et en 1996.

Trois mois plus tard, en janvier 2012, la chaîne de télévision donne son accord.

La nostalgie heureuse est donc le récit, vu par Amélie de ce retour à plusieurs sources, effectué sur place du 28 mars au 7 avril 2012. Comme tout ce qu'elle aime devient fiction, à commencer par le Japon, ce récit est baptisé roman parce qu'il lui a bien fallu combler quelques lacunes:

"A aucun moment je n'ai décidé d'inventer. Cela s'est fait de soi-même. Il ne s'est jamais agi de glisser le faux dans le vrai, ni d'habiller le vrai des parures du faux."

Au cours de ce voyage Amélie Nothomb revoit dans une HLM de la périphérie de Kobé, celle qui fut une autre mère pour elle, Nishio-san, dont elle parle dans la Métaphysique des tubes:

"Les retrouvailles sont des phénomènes si complexes qu'on ne devrait les effectuer qu'après un long apprentissage ou bien tout simplement les interdire."

Après l'avoir revue, elle n'en pense pas moins des séparations. L'émotion a été pour elles deux à son comble.

Et elle se rend compte qu'elle aime autant Nishio-san que sa mère:

"Le coeur est multiple et de même que l'on peut tomber amoureux plus d'une fois, on peut identifier plus d'une femme à la mère idéale."

Si elle avait encore un doute sur sa fréquentation, à Shukugawa, de l'école maternelle Marie, la photo de classe, sur laquelle elle est parfaitement reconnaissable, lui ôterait:

"Pour moi c'est une preuve. Je n'ai pas rêvé. Il y a bel et bien une continuité entre cette enfant et l'adulte que je suis devenue."

Tokyo a été "la ville des folles aventures" de sa jeunesse, mais elle y a connu aussi "la stupeur et les tremblements de l'entreprise". Avant d'y retrouver Rinri Mizumo, l'amour de ses vingt ans, qu'elle raconte dans Ni d'Eve ni d'Adam, elle se rend à Fukushima avec l'équipe de France 5:

"Il faut un effort constant de mémoire pour se rappeler qu'une telle destruction est l'oeuvre de la nature: dans un saccage aussi laid, on croirait reconnaître la patte de l'homme."

A propos des habitants, elle constate:

"Leurs visages sont amènes. C'est à la fois admirable et sinistre."

Les retrouvailles avec Rinri se passent mieux qu'elle ne le craignait. Dans Ni d'Eve ni d'Adam elle avait donné sa version de leur liaison, qui n'était pas forcément la sienne. Il a lu le livre et a trouvé que c'était "une charmante fiction":

"Quand il dit charmant, ce n'est pas notre adjectif poli, c'est le sens fort de qui distille un charme."

Quand vient l'heure de le quitter, elle est pleine d'appréhension:

"Je réunis mes pauvres restes de bravoure pour saluer celui qui fut le premier à me donner le sentiment que j'existais et je vais l'embrasser comme on s'installe sur une chaise électrique."

Finalement elle et lui s'étreignent brièvement, après qu'il a employé dans une petite phrase l'adjectif utile qu'elle lui a appris il y a plus de vingt ans:

"Aujourd'hui est indicible."

En fait elle ne regrette pas de l'avoir quitté alors. Il y avait de la gêne entre eux, qu'elle a retrouvée cette fois en le revoyant:

"Même s'il y a un charme de la gêne, je ne regrette pas d'avoir choisi des amours qui en étaient exemptes."

Au terme de ce voyage, dans un parc de sa petite enfance réduit à la portion congrue, elle est parvenue à ressentir le vide:

"Il n'y a pas d'accomplissement supérieur à celui-ci."

C'était un satori en miniature, juste un kensho:

"Une épiphanie de cet état espéré, où l'on est de plain-pied avec le présent absolu, l'extase perpétuelle, la joie exhaustive."

Dans l'avion du retour à Paris, au spectacle à couper le souffle de l'Everest, elle se jure de ne plus avoir de chagrin, ni de mélancolie:

"Le maximum que je t'autorise, désormais, c'est la nostalgie heureuse."

La nostalgie heureuse? "L'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur", qu'exprime l'adjectif natsukashii.

Au Japon, on ne connaît pas la nostalgie triste...

Francis Richard

La nostalgie heureuse, Amélie Nothomb, 162 pages, Albin Michel


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