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Les mirages du Plan budgétaire pour Loto-Québec

Publié le 01 septembre 2013 par Alain Dubois

200px-spectropia_or_surprising_spectral_illusions_pg_45.pngLe 20 novembre 2012, le ministre des Finances et Économie du Québec a publié un plan budgétaire 2013-2014 (voir pages A.103-A.106) qui est irréaliste pour Loto-Québec. Le plan contient une erreur qui laisse entrevoir la possibilité de rapatrier plusieurs dizaines de millions de dollars dépensés dans des activités illégales de jeu. Quand on corrige l’erreur, il ne reste plus rien du mirage.

Pour atteindre son objectif financier, Loto-Québec a besoin d’un plan B. Le 1 mai 2013, les médias ont rapporté que Loto-Québec allait dorénavant miser sur la vente d’alcool dans les aires de jeu dès juillet 2013. L’espoir est de rapatrier les joueurs québécois qui jouent hors juridiction.
Lors de l’audition du 29 mai 2013 de la Commission parlementaire à ce sujet, le président de Loto-Québec a identifié les deux principaux rivaux de Loto-Québec : le racino de Rideau-Carleton et le casino amérindien d’Akwesasne. À lui seul, Rideau-Carleton présenterait un potentiel de 42 millions de dollars à rapatrier. Mais, cet espoir est probablement tout aussi chimérique que le mirage initial du plan budgétaire. Aux dires du président :

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En Ontario, l’hippodrome de Rideau-Carleton opère depuis 1962 dans sa forme actuelle, mais des courses y ont lieu depuis au moins 1886. L’hippodrome est situé en milieu rural au sud de la ville d’Ottawa (voir le marqueur-bulle identifié A). Au nord de la rivière, c’est la province de Québec (la ville de Gatineau). Au sud, c’est la province de l’Ontario (la ville d’Ottawa).
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L’implantation d’établissements de jeu dans les banlieues frontalières est une pratique socialement sauvage. Habituellement, la ville banlieue bâtit un casino pour profiter des joueurs de la ville principale située de l’autre côté de la frontière. La banlieue ramasse l’argent, et la ville principale doit payer pour atténuer des problèmes de jeu qu’elle n’a pas causé. Dans le cas présent, c’est Loto-Québec qui a commencé, le 24 mars 1996, en inaugurant le casino du Lac Leamy (voir le marqueur-bulle A dans l’agrandissement suivant). Mais, deux ans auparavant, l’Ontario avait fait le même coup aux Américains en inaugurant un casino à Windsor. Si on fait abstraction de la rivière Détroit qui agit comme frontière, Windsor est une banlieue de Détroit comme Gatineau est une banlieue d’Ottawa. Il n’y a qu’un pont à franchir.
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En réponse au casino du Lac Leamy, l’Ontario a autorisé l’implantation de 1200 machines à sous à l’hippodrome Rideau-Carleton le 18 février 2000. Ainsi, Rideau-Carleton pouvait retenir en Ontario des joueurs ontariens, mais on ne croit pas qu’il exerçait un attrait important auprès des joueurs québécois. Avec le casino du Lac Leamy, les joueurs québécois bénéficiaient d’un environnement de jeu mieux structuré. Par contre, les parieurs aux courses de chevaux de Gatineau pouvaient trouver un avantage à fréquenter Rideau-Carleton plutôt que de fréquenter la petite piste de courses locale (Aylmer) ou d’avoir à effectuer un trajet beaucoup plus long pour se rendre à l’hippodrome de Montréal … quoique grâce à un bassin de parieurs nettement plus nombreux, Montréal offrait des programmes de courses aptes à attirer les gros parieurs de Gatineau.

Jusqu’en 2008-2009, personne n’a vraiment semblé préoccupé par cette situation. Un changement radical est survenu le 28 juin 2008 quand Attractions Hippiques, l’opérateur privé des hippodromes au Québec, a cessé les activités de courses à Montréal et Trois-Rivières en se plaçant sous la protection de la loi de la faillite. Du coup, la plupart des parieurs au Québec n’avaient plus d’hippodrome de catégorie A bien que l’hippodrome d’Aylmer (catégorie B) a maintenu quelques activités jusqu’au 9 octobre 2009. Pour les parieurs qui aiment fréquenter des hippodromes bien réels, l’hippodrome de Rideau-Carleton s’est avéré la meilleure option. Mais, à part ce motif, les Québécois n’ont pas de raison appréciable pour fréquenter Rideau-Carleton.

Maintenant, à quel point autoriser l’alcool dans les aires de jeu du casino du Lac Leamy (ou ailleurs) peut-il rapatrier les parieurs québécois? Si on en juge par ce qui s’est produit à Québec durant l’effondrement d’Attractions Hippiques, il est à craindre que l’impact sera nul car les parieurs aux courses ne semblent vraiment pas attirés par les appareils de jeu ou les tables de poker.

Le 6 décembre 2007, Loto-Québec a inauguré à Québec un salon de jeu (Ludoplex) sur le site de l’hippodrome de Québec. Depuis quelques années, l’hippodrome opérait 100 appareils de loterie vidéo (ALV). La commission prévue pour le tenancier (26% des revenus des ALV) était versée à l’hippodrome afin de soutenir financièrement les activités de courses. Avec le Ludoplex, le nombre d’ALV a été porté à 335 au profit de l'hippodrome. Malgré un bâtiment neuf aux allures de mini-casino, il est rapidement devenu évident que le Ludoplex n’attirait pas plus de joueurs sur ALV qu’à l’époque de l’ancien local limité à 100 ALV tassés. Il existe une loi du jeu : l’ALV incite le joueur à jouer lorsque le joueur est présent, mais il ne le déplacera pas pour venir jouer.

Le 28 mai 2008, Loto-Québec tente d’augmenter l’achalandage, cette fois, en inaugurant six tables électroniques de poker (Texas Hold’em, 60 places au total). À cette occasion, dans le but de mieux étudier la migration des joueurs entre les courses de chevaux, les ALV et le Texas Hold’em, j’ai entrepris d’aller régulièrement calculer le nombre de personnes en situation de jeu au Ludoplex ainsi qu’à l’hippodrome. Pendant deux ans et demi, en été et en automne, j’y suis allé par bloc de huit semaines les lundi, mardi, jeudi et vendredi durant la soirée … aléatoirement entre 18:00 et 22:00 (en équilibrant les temps de mesure).

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À l’été 2008, en soirée, il y avait des courses de chevaux à l’hippodrome les lundi et jeudi. J’ai utilisé les mardi et vendredi comme journée de comparaison. De l’automne 2008 à l’automne 2009, en passant par l’été 2009, les courses de chevaux n’ont eu lieu que le jeudi. La dernière course de chevaux a eu lieu le 4 octobre 2009 alors qu’Attractions Hippiques a complètement cessé ses activités.

La figure suivante présente le nombre moyen de joueurs en situation de jeu sur ALV. À l’été 2008, on constate que cette moyenne ne change pas qu’il y ait courses ou pas. À toutes fins pratiques, le mardi est similaire au lundi et le vendredi est similaire au jeudi. À partir de l’automne 2008, le Ludoplex a commencé à organiser des tirages les vendredis soirs. Cela explique pourquoi les barres bleues augmentent par rapport aux barres vertes. Les vendredis soirs, le Ludoplex a aussi commencé à offrir un service de party pour des groupes d’amis ou de travail.

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Mis à part l’augmentation de la clientèle le vendredi soir due aux tirages, il n’y a aucune indication que le nombre de joueurs sur ALV fluctue en fonction de la présence ou de l’absence des courses de chevaux. En l’occurrence, dès la fin des courses, la plupart des parieurs se dirigeaient vers le stationnement pour quitter le site immédiatement. À cette occasion, seulement deux parieurs traversaient le hall d’entrée mitoyen pour se diriger vers le Ludoplex … uniquement pour aller rejoindre leur conjointe et quitter rapidement. Bref, les joueurs d’ALV et les parieurs aux courses sont, à toutes fins pratiques, deux clientèles différentes … sans migration malgré la contiguïté de l’offre de jeu.

Même constat du côté du poker. À l’été 2008, environ la moitié des 60 sièges étaient occupés peu importe s’il y avait des courses ou pas. Par la suite, le marché s’est effondré sauf le jeudi alors que des tournois gratuits étaient offerts avec des bourses majorées par Loto-Québec. Ici aussi, pas de migration entre le poker, les ALV et les courses de chevaux. Ultérieurement, le Ludoplex a offert une roulette électronique (23 janvier 2009) et des tables de blackjack avec croupier (mi-juillet 2012). Une poignée de joueurs de poker y ont alors migré.

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Cela ne fait pas beaucoup de doute. Il n’y a que les courses de chevaux pour rapatrier la dépense au jeu que les Québécois font au racino de Rideau-Carleton. Ce n’est certainement pas un verre de bière déposé sur le cabinet d’une machine à sous qui va décrocher les parieurs des courses de chevaux.

Ironie de la situation : le conseil municipal d’Ottawa vient de demander à l’OLG d’interdire la vente et la consommation d’alcool dans les aires de jeu au racino de Rideau-Carleton. Sans doute que le conseil municipal d’Ottawa n’a pas eu l’occasion de prendre connaissance du seul document, trouvé jusqu’ici, qui semble soutenir l’espoir de Loto-Québec de rapatrier des joueurs avec de l’alcool. Ou bien, le conseil municipal a conclu à l’avantage concurrentiel d’offrir un environnement de jeu où le voisin, surexcité, n’a pas de chance de venir renverser son verre de bière, ou pire le vomir, dans le dos des autres joueurs.
Dessin en entête : Filmer, John,engraver; James G. Gregory (Firm),publisher


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