Magazine Santé
Lettre ouverte à propos de la Maternologie de St Cyr l’Ecole – Dr Marc PILLIOT, Pédiatre
Publié le 04 septembre 2013 par Santelog @santelog
A l’attention de Mr Jacques BERARD, Directeur de l’Hôpital Charcot
Objet : Service de Maternologie de St Cyr l’Ecole
Monsieur,
Ayant appris récemment le risque de fermeture de l’hospitalisation «temps plein» du service de Maternologie de votre hôpital, je tiens à vous exprimer ici ma vive inquiétude. Je suis pédiatre près de Lille et, du fait de mon éloignement, je n’ai jamais fait appel à l’Unité de Maternologie de votre hôpital pour l’accompagnement de mères en grande difficulté et, pourtant, cette menace de fermeture m’inquiète fortement.
Pédiatre depuis les années 70, j’ai été formé à l’Institut de Puériculture de Paris (IPP) où, en plus de la réanimation néonatale, j’ai appris aussi l’empathie et l’humanisme indispensables pour la sécurité psychique et pour que l’accueil du bébé à la naissance soit constructeur pour les parents. A cette époque-là, l’IPP a créé une révolution en faisant entrer les parents dans le service de réanimation. Actuellement, ce serait une faute professionnelle de ne pas le faire. La période néonatale est cruciale pour l’avenir de l’enfant et de sa famille. A la naissance, les parents entrent brusquement dans l’irrationnel de la vie des bébés, dans l’imprévisible, dans l’étrangeté. Les pleurs, les nuits, l’allaitement au sein, l’alimentation au biberon, la bousculade dans la vie du couple… tout devient déconcertant, voire obscur. La grossesse, l’accouchement, l’allaitement maternel, le maternage des 1ers mois sont de véritables «chemins initiatiques» qui obligent parfois la mère à affronter brusquement ses peurs, ses difficultés non résolues, les fantômes de son enfance, ses désillusions, son manque de confiance en elle, etc… Beaucoup de mères s’en accommodent, mais certaines femmes peuvent basculer vers le désarroi, la solitude, la détresse, la honte, voire le suicide… qui est l’une des 1ères causes de mortalité des jeunes mères.
Conscient de tout cela, j’ai oeuvré pendant toute ma carrière et dans ma région pour que la naissance reste sécurisée médicalement bien sûr, mais sans arrogance et en respectant ses dimensions émotionnelles, psychoaffectives, familiales, sociales, culturelles… Bref, en respectant tout ce qui aide à faire naître, non seulement un petit humain, mais aussi à faire naître une mère, un père, une famille…
Dans ce long cursus, j’ai eu l’occasion de rencontrer Mr le Dr DELASSUS et de découvrir la richesse de son approche de la naissance «psychique» : sa démarche de maternologie auprès des mères en difficultés a fait la réputation de votre hôpital bien au-delà de nos frontières. En effet, il a ouvert les portes pour aider ces mères désemparées, qui n’ont pas de maladie psychiatrique à proprement parlé, mais qui sombrent pourtant dans l’irrationnel et dans l’effondrement des repères, mettant en danger le lien mère-enfant, le bébé, la famille, voire elle-même. Plus de 10% des mères se retrouvent avec de telles difficultés, à des degrés variables.
Autrefois, il y avait tout un village pour s’occuper d’un enfant : si la maman craquait, elle n’était jamais seule. Mais, de nos jours, les mères sont isolées et souvent éloignées de leur famille, les grand-mères sont encore actives, les médias mettent la pression pour que les mères soient performantes à tout moment, la Société ne sait plus ce qu’est un tout-petit et les notions simples de maternage ont été oubliées. La Maternologie, avec son approche «contenante» et son accompagnement «à temps plein», joue le rôle du village d’autrefois : cette présence continue permet d’étayer la mère tout en évitant une séparation mère-bébé qui serait délétère et dangereuse pour l’avenir. L’organisation du service, avec une prise en charge seulement le jour, révèlerait une méconnaissance troublante de l’émotionnel de la naissance, ce qui serait un comble pour un hôpital qui a longtemps été à la pointe. Laisser des parents fragiles et leur bébé seuls le soir serait potentiellement dangereux : c’est la nuit que viennent le stress, les peurs, les angoisses et les cauchemars qui peuvent déclencher la tentation de l’abîme… pour ne plus avoir mal. Cette discontinuité des soins prouverait aussi une gestion bien froide, voire cynique, des difficultés des mères.
Pardonnez la longueur de cette lettre, mais il fallait bien cela pour vous faire percevoir toute la complexité des enjeux et les raisons de mon indignation. Je comprends tout à fait votre souci de gérer le plus convenablement possible le bilan économique de votre hôpital. Mais j’insiste aussi sur le fait que certaines décisions, bénéfiques pour le bilan de votre établissement, peuvent être très lourdes affectivement pour les familles et financièrement pour la Société. Plutôt que de faire des coupures nuisibles, sans doute serait-il plus judicieux de se démener afin que l’accompagnement des mères en difficulté soit mieux pris en charge. La tarification seulement sur les actes techniques conduit à de nombreuses dérives et je sais que les instances officielles en prennent conscience petit à petit.
Tout en vous remerciant pour votre attention, je vous prie de croire, Monsieur, à l’expression de mes salutations distinguées.
Dr Marc PILLIOT
Pédiatre attaché au Pôle Mère-Enfant du CH de Tourcoing, labellisé «Ami des Bébés» en 2010 et Pédiatre libéral à Roubaix
Président de L’ENVOL, association ayant organisé à LILLE des colloques annuels pendant 20 ans, pour les professionnels de maternité, sur l’accueil à la naissance
Président de la Coordination Française pour l’Allaitement Maternel (CoFAM) de 2003 à 2011
Membre fondateur de l’Initiative Hôpital Ami des Bébés (IHAB) en France (Label mondial, créé par l’OMS et l’UNICEF)
Membre de la Commission Nationale de la Naissance et de la Santé de l’Enfant (CNNSE) au Ministère de la Santé
Source : Lettre ouverte du Dr Marc PILLIOT, le 1er Septembre 2013
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