Magazine Société

L’anthropologie des marges expliquée

Publié le 05 septembre 2013 par Christophefaurie
Comment être un anthropologue des marges ? Une interview d’Eric Minnaert. Les rites L’anthropologue a ses rites. Dans l’entreprise étudiée, tout le monde doit être au courant de son arrivée et du but de sa mission. En particulier, « on impose une rencontre avec les partenaires sociaux ». La restitution joue un rôle critique. Elle se fait d’abord avec la direction et les partenaires sociaux, puis avec le personnel : « là où se joue ma vie, en face de mes collègues. » Encore une fois, « deux retours identiques. » Une question épineuse : comment ne pas susciter incompréhension, ou rejet violent ? « Tout se joue dans le vocabulaire. » « Au début, c’était du tripatouillage. » « Au fil de l’expérience, on sait appuyer sur les bons boutons. » « Ce n’est plus un texte d’anthropologue (qui veut être scientifique), mais d’un anthropologue qui veut agir. » Ensuite, l’anthropologue va préparer la mission, en analysant la production de la culture à examiner. Par exemple les tracts, mais surtout les statistiques d’absentéisme et d’accident au travail. Et l’organigramme ? « Les gens veulent me donner leur organigramme ». « Je ne regarde pas, je ne veux pas demander d’informations. » « J’observe. » « En particulier, les espaces où il y a un souci. » « Quels sont les rôles ? Qui va avec qui ? » « Je fais mon propre organigramme. » « Ensuite je leur envoie les deux images. » Les écarts sont révélateurs ! Les pygmées : expérience fondatrice L’expérience pygmée annonce toute la démarche d’Eric Minnaert. Il installe sa tente parmi ceux qu’il veut étudier. Il s’intègre à eux. Et là, surprise. Il n’y a pas besoin de leur ressembler pour partager leur vie. Dans toute société humaine, il existe des rôles pour étranger. Les repérer et les remplir correctement est la clé du succès pour l’anthropologue. Comprendre la souffrance muette d’une culture L’expérience pygmée est fondatrice à un autre titre. Eric Minnaert y découvre une souffrance muette, inexprimée. Dans toutes ses missions, il a rencontré ce même type de souffrance. Pour lui, agir, c’est non seulement donner une voie à la souffrance, mais surtout rétablir le bonheur social. (En quoi, il retrouve les travaux d’Edgar Schein, mais aussi les idées des Grecs. Ne voyaient-ils pas les conflits comme révélant un vide à combler dans les lois de leur société ?) Outil d’analyse : l’empathie L’outil de l’anthropologue, c’est lui-même. Comprendre une situation, c’est, en quelques sortes la faire soi. La mener à bien demande de souffrir, puis de retrouver la santé avec elle. L’anthropologie des marges, une définition Eric Minnaert se décrit comme un anthropologue des marges, qu’est-ce que cela signifie ? Pour comprendre la souffrance muette d’une culture, il faut aller à ses marges, les « limes » des Romains. Ainsi, pour comprendre la société moderne, il faut comprendre ce qu’elle a rejeté. La mort, en particulier. Mener une mission, c’est trouver la marge qu’il s’agit d’explorer, pour révéler le problème à résoudre. Par exemple, un centre de soins est en crise. « Des dérives inacceptables, une direction aveuglée par un manque d’informations, le personnel est sous pression – absentéisme, burn out – cela se répercute sur le bien-être des patients, qui ne peuvent pas s'exprimer, les familles se plaignent... » De manière inattendue, « je propose le sujet de l’alimentation. » C’est un problème concret, important bien qu’apparemment secondaire, qui concerne tout le monde. Comment l’étudier ? L’anthropologue cherche à comprendre « comment les gestes s’organisent. » Pour cela, il n’y a pas de méthode, elle se construit au cours de la mission. « Il faut se jeter à l’eau. » Mais il faut être à l’affut des « détails qui se répètent ». Par exemple le rite du sucre à la machine à café peut dévoiler les « solidarités qui se sont construites ». Arrivé là, il faut repérer les « anicroches ». « Pourquoi le grand ponte ne se lave pas les mains de la même façon que les autres ? » C’est le dysfonctionnement qui met sur la piste de la faille cachée de l’entreprise. Moment crucial. C’est en la confrontant à ses contradictions que survient la remise en cause salvatrice. Les Grecs ne disaient-ils pas que c’est en rencontrant l’absurde que l’on découvre la vérité ?

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Christophefaurie 1652 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine