Magazine Culture

Un gadjo chez les tziganes

Publié le 05 septembre 2013 par Thierry Gil @daubagnealalune
Educateur de jeunes enfants, Bastien Bonnes a offert cet été des vacances récréatives aux enfants accueillis avec leurs familles sur l’aire des voyageurs d’AubagneQuand d’autres étudiants comme lui trouvent un job saisonnier dans les restaurants et snacks du bord de mer ou sur les terrains de jeux des centres de loisirs, Bastien Bonnes choisit de passer ses vacances sur l’aire des voyageurs aménagée au vallon des Vaux à Aubagne. Fraîchement diplômé, cet éducateur de jeunes enfants employé par le groupe La Varappe (*) se met chaque été au service d’une frange de la population montrée du doigt quand elle n’est pas livrée à la vindicte populaire : celle des nomades que l’on appelle communément les « gens du voyage » en faisant l’amalgame entre populations française et étrangère, population nomade et exilée. Il y a trois ans, c’est l’association Spect’Acteurs qui a proposé à Bastien Bonnes son premier job d’été sur ce territoire confiné de la République. Une première expérience dans les maisons d’enfants à caractère social, notamment à Mazargues, et des études en « art-thérapie », une méthode qui consiste à extraire le potentiel créatif d’un individu à des fins de développement personnel, avaient soulevé l’intérêt de cette association née du désir de partager la culture et qui, au fil des années, s’est singularisée par des actions solidaires en direction des publics en difficulté. Avec Emilie Vieil, éducatrice elle aussi et bénévole de l’association Spect’Acteurs, Bastien a donc passé l’été auprès des enfants présents sur l’aire des voyageurs devenue leur lieu de vie, une petite quinzaine de minots plongés le jour de ma visite dans la préparation d’un repas d’adieux. Son contrat terminé, c’était pour Bastien le moment de dire au revoir à ces enfants et aux familles dont certaines devront peut-être quitter elles aussi le Vallon des Vaux pour reprendre la route, s’installer sur une autre aire d’accueil ou reprendre leurs petites habitudes dans les logements qu’elles occupent à La Cayolle. Car certaines parmi elles connaissent un épisode sédentaire interrompu par les vacances et le désir de retrouver leurs familles. En l’espèce, ces nomades ne sont pas très différents des milliers de français dont les caravanes et mobil-homes prennent d’assaut chaque année à la même période les autoroutes du sud. Ils ont en commun ce besoin urgent et vital de rompre avec la routine et de changer d’air(e). « Ils ne comprennent pas pourquoi on tient absolument à les sédentariser, à leur voler leur liberté, alors qu’ils se sentent aussi français que nous », témoigne le jeune éducateur qui évoque le cas de cette femme née en caravane qui s’est résolue à reprendre la route après une longue et éprouvante expérience sédentaire. « Sur l’aire, la majorité est de nationalité française. On confond les populations nomades alors que ce sont des populations qui sont culturellement très différentes. En ce moment, ce sont les Roms qui sont stigmatisés et cela effraie les autres populations qui craignent d’être les prochaines sur la liste » s’inquiète aussi Bastien Bonnes qui préfère employer le terme de « gens du voyage français » quelque soit l’origine gitane ou manouche de ces nationaux qui ont opté pour un mode vie différent. D’autres, en revanche, comme cette famille kosovar ayant fui la guerre, n’ont pas fait le choix du nomadisme.« La volonté du moment est de les oublier »Sur l’aire d’Aubagne, les familles accueillies se partagent l’espace sous l’œil bienveillant du gestionnaire du lieu Maamar Labbaci. Comme partout ailleurs, il y a parfois des tensions, chacun ayant sa part d’exclusion au sein de la communauté des gens du voyage, mais la règle qui prévaut est l’entraide. Leur sens de la solidarité frappe les esprits : « C’est ce qui m’a le plus marqué, raconte Bastien Bonnes. Quelque soit l’origine de la famille en difficulté, il y a une solidarité spontanée ». Il plaide en faveur d’un rapprochement entre tziganes et « gadjé », terme qui désigne les autres, les sédentaires et paradoxalement « les étrangers » (Ne sommes-nous pas tous des étrangers pour d’autres ?) : « Ce ne sont définitivement pas les voleurs de poules que l’on décrit à la télévision. C’est vraiment une culture qui mérite d’être connue mais pour cela il faudrait encore que les gens viennent à leur rencontre. Même leur langage évoque le voyage. Des mots étrangers s’y mêlent parfois à du vieux français. A partir du moment où on s’intéresse à eux, ils sont heureux car la volonté du moment est de les oublier ».Pourtant tout n’a pas été simple pour lui au début. Il a d’abord fallu gagner leur confiance, balayer leur méfiance légitime à l’égard des gadjé : « Ils ont aussi peur de nous que nous pouvons avoir peur d’eux. J’ai mis un mois avant que les familles ne s’immiscent dans l’atelier dont les portes restaient pourtant ouvertes. Cela devient convivial lorsqu’on a fait le premier pas, que l’on est allé vers eux. Alors là ils vous accueillent les bras ouverts ». Pendant deux mois, Bastien Bonnes et Emilie Vieil ont construit patiemment une relation de confiance avec eux et animé pour les enfants des ateliers d’expression, d’arts plastiques, de cuisine et de photographie. « Nous voulions leur offrir un espace d’expression où il y a des règles à respecter, un cadre dans lequel se construire. Nous avions remarqué avec Emilie qu’ils élevaient souvent la voix pour communiquer entre eux. Nous avons eu l’idée d’organiser un atelier en leur proposant d’y faire participer leurs chiens et nous les avons mis au défi d’apprendre à leur compagnon à quatre pattes à s’asseoir sans pour cela élever la voix. Ils y sont tous parvenus en deux heures de temps et on a constaté par la suite une baisse de volume pendant les ateliers ». Ce succès en  amenant d’autres, leur travail a été récompensé par la présence nombreuse des enfants guettant leur arrivée pour participer aux activités quotidiennes. De temps en temps des mamans se mêlaient à cette joyeuse récréation.Mais voilà déjà la fin de l’été qui sonne la fin de cette récréation. Il est temps de reprendre le chemin de l’école. A Aubagne, les enfants du voyage sont accueillis à l’école primaire des Passons où une classe leur est réservée. C’est le travail des différents partenaires sociaux de conserver un lien avec ces populations et de garantir aux enfants du voyage un suivi socio-éducatif. Une mission que rendent difficiles les déplacements de ces populations : « Il y a beaucoup d’acteurs sociaux qui essaient de travailler en partenariat mais qui n’y arrivent pas forcément » explique Bastien Bonnes. Avec Emilie Vieil, il projette de créer un centre éducatif mobile pour huiler le mécanisme et assurer cette transversalité entre tous qui fait défaut. Ce centre éducatif mobile comprenant un lieu d’accueil parents-enfants et une ludothèque permettrait de suivre les familles d’une aire à l’autre. Mais ça c’est une autre histoire.Thierry Gil(*) Les communes des communautés d’agglomérations d’Aix, d’Arles, d’Aubagne et de Martigues ont transféré à ces dernières la compétence en matière d’accueil des gens du voyage. C’est donc à ces intercommunalités que les obligations s’imposent. Du côté de la communauté d’agglomération du pays d’Aubagne et de L’Etoile, la gestion, la maintenance, l’animation et le suivi socio-éducatif sur l’aire d’accueil d’Aubagne ont été confiés au groupe La Varappe qui emploie sur place un gestionnaire et une assistante sociale. L’aire offre des emplacements de 60 à 72 mètres carrés pour chacune des 25 caravanes qui peuvent y être accueillies. Chaque famille a la possibilité d’y séjourner pour une période de deux mois renouvelable une seule fois dans l’année.Schéma départemental d’accueil des gens du voyage : L’Etat hausse le tonEn juin 2013, la commission consultative des gens du voyage réunie à la préfecture, sous la co-présidence de Marie Lajus, préfète déléguée à l’égalité des chances, et d’Alexandra Bounous-Duprey, Conseillère générale, en présence d’élus des Bouches-du-Rhône et de représentants des gens du voyage, a dressé un bilan très mitigé de la mise en œuvre du schéma départemental d’accueil des gens du voyage du 10 janvier 2012. L’Etat a regretté le faible degré d’avancement de la mise en œuvre du schéma (moins d’un quart des places prévues) et a rappelé aux collectivités territoriales concernées la nécessité de respecter les obligations inscrites au schéma dont la première mouture date de 2002. En dix ans on est passé de 174 à seulement 234 places. Deux aires d’accueil ont été créées, à Arles (46 places) et à Fuveau (23 places)  auxquelles devraient s’ajouter rapidement 120 places, trois autres projets d’aires d’accueil étant « sur le point d’aboutir » à Aix-en-Provence, Bouc-Bel-Air et Salon-de-Provence.A compter de janvier 2014, l’Etat pourra mettre en demeure les communes retardataires de se conformer à leurs obligations, avant, éventuellement, de se substituer à celles qui seraient en carence. L’Etat a en outre rappelé que seules les communes non inscrites au schéma ou à jour de leurs obligations peuvent bénéficier de la procédure administrative d’évacuation forcée en cas de stationnement illicite des gens du voyage sur leur territoire.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Thierry Gil 4963 partages Voir son profil
Voir son blog