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Episode 2 : le lievre et la tortue

Publié le 07 septembre 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

Les courbes bitumées de la voie sacrée reliant Florange à Neuilly-sur-Seine tremblaient sous les coups d’accélérateur de la monture mécanisée de Roger Moure.  Les virages reptiliens aux instincts sournois se soumettaient avec allégresse devant la précision des gestes du métronome lorrain qui charmait la départementale 653 comme le serpent hypnotise une proie. Voilà seulement quelques minutes que l’ouvrier des hauts-fourneaux avait quitté femme et enfants -le cœur lourd- pour voguer vers cette « belle » banlieue parisienne. Cependant, la quiétude dissimulée de notre héros se dissipa avec fracas lorsque des appels de phares réguliers percutèrent son rétroviseur l’obligeant ainsi à détourner son regard de la surface miroitée pour mieux appréhender son agresseur optique. Sans attendre, la voiture qui le suivait accéléra à une vitesse oppressante en doublant tous les véhicules gênants qui séparaient le Florangeois de son ennemi du jour. Arrivé au même niveau que le modeste destrier de Roger, l’assaillant actionna  sa vitre au fonctionnement manuel qui descendit avec une lenteur angoissante.

—   « Bordel de merde ! Roger, c’est moi ! s’écria le conducteur qui roulait encore en sens inverse de la circulation.

—   Putain … Didier ! Mais t’es un grand malade ! Tu fais flipper tout le monde avec tes conneries ! meugla Roger à l’encontre de son chauffard de partenaire.

—   Gare-toi ! Faut qu’on parle … Tête de con ! »

L’aire autoroute avait observé toutes sortes de spectacles déroutants: des disputes futiles entre adolescents d’une même fratrie, des réconciliations crapuleuses de couples en mal d’enfants,  des canidés abandonnés par des pères de famille de classe moyenne. Jamais elle n’avait témoigné d’une telle scène : deux forces de la nature, amies depuis la naissance, qui s’insultaient de hargne au volant de leurs véhicules avant de se garer avec fracas.

La fureur de Roger Moure était aisément perceptible par le gonflement irrévérencieux des veines de son cou qui épousaient à la perfection la tension exprimée par la teinte pourpre ressortant de ses yeux sanguins. Le colosse de Florange empoigna son ami de toujours pour mieux le plaquer contre le capot gondolé de sa voiture avec une force herculéenne.

—   « T’as pas idée de me foutre les boules comme ça ! hurla Roger au visage de Didier.

—   Je t’ai vu partir avec ton fourgon. Je connais tes habitudes par cœur, tu ne te serais jamais barré à cette heure-ci  s’il  n’y avait pas un truc grave ! Putain, dis-moi ce qu’il se passe ! Ta femme se barre ?

—   Tu me fais chier ! Prends pas ton cas pour une généralité ! C’est moi qui me barre ! Je vais te dire, je n’en peux plus des mensonges, des fausses promesses, des racontars. Je … j’en peux plus de voir ma gueule, Didier ! » exprima le père de famille des sanglots longs dans la voix.

Les deux hommes, honteux de leur colère soudaine, se laissèrent glisser sur la tôle désormais froissée de la Renault de Didier et sanglotèrent ensemble. Roger transpirait sa peine, il partageait ses doutes et ses projets à son frère de cœur. Sans entrave, il lui raconta tous les détails de ses intentions cleptomanes, de la visée progressiste de son acte, de sa volonté irrépressible de restaurer l’idée de  justice sociale pour sa famille souillée par la peur de la misère.

—   « Depuis qu’on est petiots, on a toujours tout fait ensemble. Ton casse, mon Roger, j’en suis » rassura Didier.

Les deux acolytes regagnèrent chacun leurs occasions rouillées mais flamboyantes. Ils s’étaient mis d’accord pour que Didier ramène sa voiture dans son allée afin de ne pas éveiller les soupçons. Le fourgon du père de famille avait largement assez de place pour accueillir toute la misère de Florange.

—   « Alors, où va-t-on, ma couille ? se questionna Didier.

—   On va à Neuilly, la patrie des Sarkozy. J’ai eu l’adresse de leur crèche grâce à Dédé, mon cousin qui est flic, expliqua Roger.

—   Mais … tu crois vraiment qu’on va arriver le sourire jusqu’aux oreilles et ressortir avec un magot ? Tu l’as fumé ton Ricard ?

—   On va y penser. La sécurité de la maison a forcément une faille, c’est à nous d’être patient et d’analyser la situation avec brio.

—   Avec qui ?

—   Bon … je vais t’expliquer tout ça durant le trajet » termina Roger.

Ils reprirent la route tous les deux avant de s’arrêter remplir leurs panses à coup de caféine tout en  vidant leurs consciences. C’est l’âme ensanglantée et le cœur en larmes que les deux compères savourèrent leur petit déjeuner, « formule routard » à 7 euros. Il est près de 10h lorsque le panneau citadin noir-blanc-rouge gravé « Neuilly-sur-Seine » révulsa les pupilles à peine dilatées des deux ouvriers lorrains qui se délectaient de tant de lumière. Monsieur Moure s’extirpa une seconde de ses songes pour fouiller dans ses poches troglodytes et en retirer un papier griffonné d’une balafre graphique raturée.

Comme les chiens surveillent les brebis, les gardes du corps de l’ancien président rôdaient avec une méfiance décontractée qui ne laissaient transparaître aucune émotion. En les observant, Roger pensait à ses enfants, à l’absence totale de silence qui régnait dans la demeure familiale lorsqu’ils revenaient de l’école, et surtout, à quel point il aimait ça. « Y’a que dans les cimetières qu’on entend aucun bruit » disait-il souvent.

Les deux compères restaient assis sur un banc à proximité de la villa. Ils profitaient du reflet de la demeure sur la vitre d’une berline garée en face pour observer les mouvements lancinants de ces cerbères apprivoisés, travestis pour servir leur maître.

—   « Roger, Je l’ai vue…

—   Vue quoi ?

—   La faille ! La faille de Brio ! »

A SUIVRE …

Graine d’ortie


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