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La belle histoire de la Birmanie

Publié le 08 septembre 2013 par Egea
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Parfois, les belles histoires, ça arrive, dans notre environnement géopolitique "si complexe, hasardeux, chaotique et gazeux". Ainsi de la Birmanie, véritable conte de fées stratégique, que nous avons tous avalé sans renâcler : pour une fois qu'il y avait une fin heureuse, et qu'on ne devait pas se poser des questions compliquées, comme par exemple celle de savoir s'il faut non seulement dénoncer les atrocités, mais aussi "intervenir" (nouveau terme de mission à insérer dans le TTA 106) afin d'apaiser notre bonne conscience.

La belle histoire de la Birmanie
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Et des esprits chagrins viendraient expliquer le tour de magie birman ? Ils n'ont pas de cœur. On n'a pas de cœur, à égéa.

Souvenez-vous : il était une fois un pays dirigé par une junte, même si le mot est inapproprié pour un pays du sud-est asiatique qui n'a pas été colonisé par les Espagnols. Ça dure depuis 1988 (mais avant, il y avait déjà un militaire au pouvoir depuis 1962, "dirigeant le pays d'une main de fer"). Et miracle, avec vingt ans de retard sur la perestroïka, ladite junte décide, en 2011, de se civiliser.

Aung San Suu Kyi, opposante de la première heure (élections de 1990, mise en résidence surveillée, prix Nobel de la paix en 1991) était la seule à pouvoir négocier ce "retournement" (ça y est, il y en a qui vont dire que j'ai lu Volkoff).

Tout commence toutefois avec la "révolution de safran", à la fin de l'été 2007, où les moines bouddhistes manifestent contre le régime. Le régime décide officiellement une feuille de route vers une "démocratie disciplinée" (sic). Des élections sont organisées en novembre 2010 : une mascarade. Tout le monde s'attend à ce que la comédie continue. Surprise : en février 2011, le général Than Shwe, homme fort du régime, prend officiellement sa retraite et un autre général Thein Sein est nommé à la tête de l'Etat, et s'entoure de civils comme conseillers. Toute l'année 2011, on assiste à "ouverture et libéralisation". Notamment, la construction du barrage sur le fleuve Irrawady est suspendue, elle qui était financée par le voisin chinois. Le parti de Mme Aung redevient légal.

En novembre 2012, à peine réélu, M. Obama fait son premier déplacement international en Birmanie. En décembre 2012, Mme Clinton se rend en Birmanie et en janvier 2012, un cessez-le-feu est même signé avec les Karen. En avril, des élections législatives partielles permettent à l'opposition d'entrer au Parlement. En juin, Mme Aung annonce qu'elle se portera candidate aux prochaines élections présidentielles de 2015 ce qui ne suscite pas le courroux du pouvoir. M. Thein est désormais présenté comme "ex-général", qui a "succédé à la junte en 2011" par les quotidiens les plus sérieux et impartiaux (voir ici).

Dans le même temps, l'embargo est levé (sauf sur les armes), et Tokyo "annule sa dette et est prêt à remplacer la Chine" (voir ici). Bien sûr, malgré les libérations de prisonniers politiques, il y a toujours des tensions ethniques et religieuses, avec des flambées de violence.

Bref, il y a encore quelques problèmes, mais tout se présente bien, et la démocratie a fait des progrès, non ?

Ce doit être mon esprit chafouin : c'est trop beau ! Voici le scénario alternatif.

Il y a quelques années, des analystes parlent du "collier de perle", le réseau de bases navales que les Chinois déploieraient autour de l'océan Indien pour favoriser la route du pétrole du Golfe. On dit aussi qu'ils financent hardiment la Birmanie, ce qui leur permettrait de construire un oléoduc, qui éviterait le détroit de Singapour. Du coup, les Américains décident de "retourner le domino".

Pour cela, ils se mettent d'accord : le régime se civilise, en échange d'un soutien américain. Pour cela, un général quitte le pouvoir pour se faire officiellement remplacer par un autre, qu'on "civilise", dans tous les sens du terme. Mme Aung San est de mèche, et accepte de jouer sa partie, qui lui permet d'obtenir à moyen terme le pouvoir et à court terme de reprendre sa liberté de parole politique, même si elle reste "indulgente" envers le régime et qu'elle ne dénonce pas les répressions résiduelles contre telle ou telle minorité. Économiquement, "l’Occident" (club de Paris, Japon, et bien sûr États-Unis) se précipite pour reprendre les affaires en main.

Pour le coup, ce serait de la pure - et belle- géopolitique. Il agit d'une stratégie de go, où l'on cherche à "endiguer" l'adversaire. En l'empêchant d'accéder directement à l'océan indien, on maintient ses lignes de communication très allongées, et donc on conserve sa fragilité structurelle. Cela vaut bien la reconversion d'une junte, non ? Et quel beau storytelling : nous y avons tous cru, c'était beau comme l'antique, le succès de la démocratie, l'happy end larmoyant, et l'icône belle, pure et romantique qui a même eu droit à sa biopic hollywoodienne (pas très bon, parait-il, le film).

Bref : tout ça pour vous dire que :

  • les Américains ont encore quelques beaux tours dans leur sac
  • les pays qui appartiennent à l'axe du mal peuvent subitement devenir très fréquentables, si on le veut. Bon, c'est vrai que Damas, en ce moment, il aura du mal a revenir dans le camp des bons....
  • et voir la Chine se faire prendre au go par ces "idiots d'Américains", c'est assez plaisant quand même.

On n'a pas fini de s'amuser.

O. Kempf


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