Magazine Bien-être

Quand le sportif et l’entraîneur se séparent

Publié le 29 novembre 2012 par Sportpsy @sportpsy
FacebookTwitterGoogle+Share

alain-bernard-terminant-sa-carriere-la-page-se-tourne-egalement-pour-denis-auguin-son-entraineurDuo inséparable, complice de chaque instant ou parfois juste simple collègue, l’entraîneur va venir occuper une place dans l’univers affectif du sportif d’une manière à chaque fois unique. Il est souvent difficile pour un sportif de «nommer» la place que l’entraîneur occupe dans sa vie, ni vraiment ami, ni vraiment parent, ni frère, il peut occuper à la fois tous ces rôles pour le sportif.

On a souvent tendance à penser que cette relation est liée aux performances et que dès que le sportif n’a plus de résultats, il remet en question les méthodes de son entraîneur.

Pourtant, il n’y a qu’à voir les réactions qui ont suivies face aux déclarations de Renaud Lavillenie, champion olympique à la perche aux derniers Jeux Olympiques et qui décide de se séparer de son entraîneur Damien Inocencio avec qui il a réussi pour comprendre que ce n’est pas toujours une question de résultats. Comment alors expliquer que certains sportifs se séparent de leur entraîneur même quand la réussite est au rendez-vous? Comment les entraîneurs vivent ce moment qui vient achever parfois des années de collaboration et qui dépasse souvent le cadre de la pratique sportive? 

D’abord, la séparation peut se comprendre par rapport aux enjeux affectifs de la relation. Ce qui rend unique cette relation est souvent la place que vient donner le sportif à l’entraîneur dans sa vie. Ce qui sous-tend la collaboration est souvent dans un premier temps, une idéalisation. L’entraîneur est perçu comme celui qui a «les» connaissances (celles qui vont le faire gagner), le savoir, les qualités humaines et qui arrivera à le comprendre pour le faire évoluer. Il y a parfois un risque que chacun projette une image idéale de l’autre et se reflète l’un dans l’autre. L’entraîneur, par méconnaissance des enjeux affectifs peut donc tomber dans cette faille imaginaire.

Il y a également des aspects symboliques où l’entraîneur vient se positionner comme étant une figure d’autorité. Comme le suggère Herfray, par rapport au processus d’enseignement «Il est ce sujet aimé et qui éveille l’amour du savoir qu’il est supposé avoir. C’est par cet amour qui lui est conféré que le désir s’investit dans le savoir et le devoir». En représentant l’autorité, il va diriger, amener, décider et selon sa façon de procéder, amener le sportif en le guidant vers ses objectifs.

Il y a donc un moment où la dés-idéalisation opère et où le sportif se rend compte que l’entraîneur ne peut pas lui apporter ce qu’il recherche. Parfois, c’est aussi un moyen pour lui de ne pas se remettre en question et de rechercher les causes de ses échecs dans l’entraîneur.  Dès lors, l’entraîneur ne comprend pas toujours les raisons qui ne sont pas énoncées comme tel.

Un des effets de cet dés-idéalisation est que le sportif prend conscience qu’il y a une différence entre le savoir et la personne. Parfois pour sortir d’une emprise relationnelle, parfois simplement par envie d’évoluer avec quelqu’un d’autre (sans remise en cause de résultats). On peut comprendre donc la rupture de Renaud Lavillenie et le discours qui en ressort: «J’avais besoin de changer» précisant «Je n’ai rien à redire sur Damien d’un point de vue sportif, on a fait du très bon boulot. C’est plus de l’ordre du relationnel». Ce n’est pas les compétences qu’il remet en question et pourtant son entraîneur reste dans l’incompréhension en évoquant de son côté des «raisons puériles». 

La rupture peut parfois être très douloureuse quand l’entraîneur vient occuper une place importante dans la relation et qui confond sa propre motivation avec celle du sportif. Le projet commun est parfois flou et l’entraîneur confond la demande du sportif avec ses propres fantasmes de réussite. Ce que vient chercher l’entraîneur doit être résolu également, et la motivation personnelle ne doit pas suppléer à celle du sportif, car il peut être, comme dit Kaes «habité du rêve inconscient de réaliser dans l’autre et par l’autre ce qui lui a manqué». L’entraîneur qui n’a pas réussi la carrière qu’il voulait et qui projette ses envies à travers le sportif qu’il entraîne. On s’aperçoit que la motivation du sportif vient se prolonger dans celle de l’entraîneur «En tant qu’athlète, je n’ai pas gagné, mais je suis allé jusqu’aux finales. Alors, j’ai dit à Bob Larsen, entraîneur en chef à l’UCLA, qui me proposait de l’assister:» Donne moi les athlètes qu’il me faut. Ceux qui peuvent faire ce que moi j’ai toujours voulu faire, mais qui sont meilleurs que ce que je n’ai jamais été (..) Je vis viscéralement à travers ces athlètes» (John Smith, entraîneur d’Ato Bolton et Maurice Green).

Il y a parfois un désir de faire de l’autre à son image, de le garder pour lui, qui souvent amène donc à une brutale rupture, souvent incomprise par l’entraîneur, car le sportif n’a plus envie d’être absorbé dans ses liens et ne peut plus exister en tant qu’être unique. La question étant : Est-ce que le sportif peut être motivé sans lui?. C’est peut être ce qui est arrivé à Laure Manaudou lors de sa rupture avec Philippe Lucas, qui avait répondu à ce sujet «Elle part parce qu’elle a envie de moins travailler. Elle fuit le travail». On peut se demander si c’était une question de motivation ou simplement un désir d’indépendance de la nageuse. Cela interroge sur la place du conflit, qui peut être nécessaire. Il survient lorsque le sportif recherche l’émancipation, ce moment de détachement. Pour Crevoisier «L’entraîneur vit comme une ingratitude ce qui témoigne d’un besoin d’affirmation et d’autonomisation, des prises de positions passionnelles surgissent et ne se laissent pas toujours élaborer par le dialogue». 

La séparation peut être le moyen pour le sportif de se remettre en question également en dehors d’un entraîneur. En sortant de la problématique affective, certains sportifs avouent avoir donné «trop d’importance» à l’entraîneur et parfois même pour certains de sortir d’une dépendance, parfois entretenue par l’entraîneur (consciemment ou non). Comme lorsque Gilles Simon a décidé de se séparer de Thierry Tulasne estimant être “arriver à un moment de ma carrière où je ne veux plus chercher l’approbation de quelqu’un, mais juste faire les choses comme je le sens”. Son entraîneur confie alors «avoir les boules», mais comprenant tout de même la décision du joueur: “Je sens qu’il a besoin de prendre ses responsabilités, donc d’être seul. C’est sur le court qu’il y arrive le moins. Il s’y comporte trop par rapport à moi”. Ou encore Jo-Wilfried Tsonga recherchant à se remettre en question lors de sa séparation avec son entraîneur: «J’étais moins motivé et je me suis dit que seul, j’allais devenir quelqu’un d’autre. J’allais pouvoir être tout simplement moi »

Pour vivre une rupture sereinement, il faut donc apprendre à détacher les aspects affectifs en jeu et la relation et ses liens avec la performance. Il est donc que l’entraîneur fasse l’investigation de ses propres failles et comme le précise Mauco: «La première connaissance que doit posséder tout éducateur est la connaissance de lui-même spécialement des sources profondes de sa sensibilité relationnelle». Un entraîneur national a évoqué ce recul nécessaire pour que le sportif poursuive son chemin sans être affecté: «On doit se dire qu’on y est pour rien. Je crois que pour fonctionner comme ça, il ne faut pas se dire que l’athlète est là grâce à moi, il faut pouvoir rendre sa liberté à l’athlète sans que ça soit quelque chose de dramatique pour tous les deux (..) C’est dur de temps en temps quand j’ai un mec qui est champion du monde junior. Mon ego ferait que j’aimerais bien être sur la photo à côté de lui, prendre le micro et parler, et expliquer comment je l’entraîne pendant des heures mais je me refuse à le faire, je m’en vais, je me mets en retrait parce que je n’ai pas le droit de lui voler ce qui est à lui. Moi ce qui m’intéresse, c’est la relation qu’on a entre nous, c’est le respect, l’amitié, même une certaine forme de tendresse, mais je sais que c’est lui, ce n’est pas moi. On n’est jamais déçu. Quand j’arrête avec un joueur, on a de bons rapports, je le mets dans une situation où je ne veux plus être présent».

A venir dans un prochain article: Entretien avec un entraîneur de tennis sur la question de la séparation

Crevoisier, J. La relation pédagogique entraîneur-entraînés: analyse de sa composante affective. Cahiers Binet Simon, n°644, 1995: 55-63

Herfray, C. La psychanalyse hors les murs.

Kaes, R. Fantasme et formation.

Mauco, G. Psychanalyse et éducation.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sportpsy 1818 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines