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Vietnam, Irak : comment l'Amérique transforme ses revers en victoires

Publié le 11 septembre 2013 par Copeau @Contrepoints

Le statu quo en Syrie représente aujourd’hui la meilleure option possible pour les intérêts stratégiques américains.

Par Fabio Rafael Fiallo.

Vietnam, Irak : comment l'Amérique transforme ses revers en victoires

Il est de bon ton de faire ressortir des analogies entre la déconfiture américaine au Vietnam et la guerre d’Irak lancée par George W. Bush. L’exercice vise à montrer les États-Unis comme étant le grand perdant des deux aventures militaires. En fait, l’analogie existe bel et bien ; elle ne va pas toutefois dans le sens de l’idée dominante à ce sujet.

Prenons le cas du Vietnam. Pour les États-Unis, le fiasco fut total. Mais, qu’arriva-t-il par la suite à cause de cela ?

Poussée par une opinion publique qui ne voulait plus entendre parler de guerre, l’Amérique entra dans une période d’hibernation géopolitique, évitant tout nouvel engagement militaire – ce qui déclencha une recomposition de l’équilibre des forces au niveau mondial, que voici.

N’ayant plus à livrer bataille contre les États-Unis, les frères ennemis qu’étaient l’Union soviétique et la Chine de Mao Tsé-toung s’en prirent l’un à l’autre, se combattant par procuration : Vietnam prosoviétique contre Cambodge allié de Mao.

Plus important encore, sans la peur d’une réaction américaine, l’URSS s’en donna à cœur joie en mettant ses ambitions impérialistes en exécution : expéditions en Afrique par troupes cubaines interposées et invasion de l’Afghanistan, entraînant un coût économique considérable.

Les États-Unis, pour leur part, se mirent à privilégier le « soft power ». Les moyens de télécommunications les plus sophistiqués furent utilisés pour montrer aux populations situées derrière le Rideau de Fer le mode de vie des sociétés démocratiques. En Europe de l’Est, la soif de liberté et de progrès ne fit que s’amplifier.

Finalement, après Jimmy Carter, l’opinion publique américaine ayant surmonté le syndrome du Vietnam, les Américains portèrent à la Maison-Blanche un Ronald Reagan prêt à taper sur la table. Le nouveau président américain poussa habilement le Kremlin à s’engouffrer davantage encore dans une course aux armements que l’appareil économique soviétique n’était plus en mesure d’entretenir.

L’URSS épuisée économiquement, sans espoir de rattraper l’Amérique sur le terrain militaire et contestée avec bravoure par les peuples sous sa férule, il revint à Mikhail Gorbatchev de constater la mort cérébrale du bloc soviétique et d’assister, impuissant, à l’écroulement du Mur de Berlin.

Un tel dénouement, heureux pour l’Amérique, trouve son origine, rappelons-le, dans la corrélation des forces qui succéda à la déconfiture américaine au Vietnam ainsi que dans les ajustements intervenus dans la stratégie diplomatique des États-Unis.

Un enchaînement semblable, avec les États-Unis faisant à nouveau office de faux perdant, est à l’œuvre dans le monde arabo-musulman suite à la guerre d’Irak.

Sans doute, le simple fait que l’Irak post-Saddam penche en faveur de l’axe Téhéran-Damas prouve de manière éloquente que la guerre d’Irak lancée par George W. Bush n’atteignit pas les buts escomptés.

Quoi qu’il en soit, les images des Irakiens votant en toute liberté après le renversement de Saddam Hussein ont contribué à éveiller l’envie de démocratie partout dans la région.

Il faut en effet reconnaître que les grands mouvements de contestation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord – la Révolution du Cèdre au Liban en 2005, le Mouvement Vert en Iran en 2009 et le Printemps arabe de 2011 – ont tous eu lieu après, et non pas avant, la tenue d’élections libres en Irak.

Les images des élections en Irak auront ainsi joué, dans le monde arabo-musulman, le même rôle de détonateur de revendications démocratiques qu’exercèrent sur les peuples d’Europe de l’Est les images télévisées provenant de l’Occident.

Certes, les mouvements de contestation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord n’ont pas, pas encore, porté le résultat espéré – de même, d’ailleurs, que le Mur de Berlin ne tomba qu’après de nombreuses déconvenues subies dans leur lutte par les peuples d’Europe de l’Est. Mais le ver est dans le fruit, et il sera difficile de contenir indéfiniment les aspirations des peuples arabo-musulmans à vivre en liberté.

Puis, comme à l’époque de Jimmy Carter, l’Amérique sous la houlette du Président Obama a opté pour la retenue, ou plutôt l’inaction, sur le terrain géopolitique. Résultat : sans avoir à faire face à une Amérique belligérante, les ennemis des États-Unis dans la région – chiites pro-iraniens, terroristes sunnites d’Al Qaïda et autres mouvements de même nature – sont occupés à plein temps à s’entretuer sur le sol syrien.

Une telle évolution, est-elle nuisible aux intérêts stratégiques des États-Unis ? Pas tout à fait.

Par ailleurs, l’éminent stratège américain Edward Luttwak considère que, en dépit de son caractère sanglant, le statu quo en Syrie représente aujourd’hui la meilleure option possible, non seulement pour les intérêts stratégiques américains, mais aussi pour la population de ce pays. Car si l’une des deux forces en litige – gouvernement de Bachar al-Assad et insurrection infiltrée par des mouvements terroristes – parvenait à l’emporter, le carnage qui s’abattrait sur les communautés se trouvant du côté des perdants serait plus terrible encore que ce qu’on a vu jusqu’ici [1].

Il reste les ambitions nucléaires de l’Iran comme motif de préoccupation majeure. Un Iran qui – à l’instar de l’Union soviétique et ses visées impérialistes – s’épuise économiquement sous le poids des sanctions internationales et de la mauvaise gestion de ses gouvernants. Et de même qu’à Jimmy Carter succéda un Ronald Reagan plus énergique en politique extérieure, ainsi Barack Obama aura poussé tellement loin les atermoiements en ce domaine que, il y a fort à parier, il sera remplacé à la Maison-Blanche par un président plus résolu prêt à donner le coup de pouce final pour la mise au pas, voire l’écroulement définitif, du régime de Téhéran.

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Note :

  1. Edward N. Luttwak, « Seul le statu quo est tenable en Syrie », Le Monde, 04-09-2013.

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