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Sécurité : comment le Figaro bidonne les stats

Publié le 11 septembre 2013 par Letombe

Un article alarmiste du Figaro fait réagir la toile aujourd’hui avec, en phrases d’accroche ; “Le Figaro s'est procuré le nouveau tableau de bord du ministre, un an après sa prise de fonction. La violence augmente presque partout, les patrouilles sont moins nombreuses et le taux d'élucidation diminue.” Sauf que, c’est faux.

Un journaliste habitué des sources réinterprétées

Le signataire de l’article, Jean-Marc Leclerc, est un habitué de ce genre de magouillage plumesque ; déjà en 2009, en plein débat sur la vidéosurveillance, il avait sorti un article qui en vantait les mérites en se basant sur un rapport qui, en fait, prouvait exactement le contraire. Mais voilà, comme les lectrices et les lecteurs du Figaro ne vont pas plus loin que leurs articles, personne n’avait pris le soin de lire le fameux rapport.

Jean-Marc Leclerc est aussi membre du groupe de travail sur "l’amélioration du contrôle et de l’organisation des bases de données de la police". Et y avait été reconduit par Claude Guéant... Ce comité regroupe les syndicats de police et de magistrats, la CNIl, le défenseurs des droits, les associations de lutte contre la discrimination et quatre personnalités désignées par le ministre de l’intérieur.

Quand m’sieur Leclerc publie ainsi le rapport de ce groupe de travail “en exclusivité”, il y a quelques années ; il omet d’indiquer qu’il en est membre.

Un article qui commence plutôt mal

C’est dans le même ordre d’idée que la fameuse “exclusivité” que le billet d’aujourd’hui débute ; “Le Figaro s'est procuré le nouveau tableau de bord du ministre” ; certes, mais comme tout le monde puisque “le nouveau tableau” est disponible sur le site web de l’ONDRP depuis la fin du mois d’août... Heureux de constater que les petites mains du Figaro savent surfer sur le net.

Cliquez sur le bandeau ci-dessous pour afficher les Statistiques de l'ONDRP

Sécurité : comment le Figaro bidonne les stats

http://www.lekiosqueauxcanards.fr/articles/11-09-2013%2007-19-26.png

Et, cela commence mal pour l’article de Jean-Marc Leclerc, puisqu’une fois encore, il se garde bien de prévenir ses lectrices et ses lecteurs, à l’inverse de sa “source” qui le fait dès les premières lignes ; “En raison de ruptures de continuité statistique concernant une partie des faits constatés par la gendarmerie nationale, seules certaines variations sur 12 mois glissants des faits constatés de crimes et délits non routiers sont commentées dans ce bulletin, principalement celles qu’on observe en zone « police nationale ». Et que notre journaliste ne prenne pas le temps de poser cet avertissement est relativement logique puisque, lui-même, dans son article, ne tient pas compte de la “rupture statistique” depuis 2012, puis en avril 2013.

Ainsi, la gendarmerie nationale a vu son système informatique modifié fin 2012 et, déjà ; le Figaro et la droite s’étaient empressés de tomber sur le gouvernement. Or, alors, l’ONDRP avait confirmé que Pulsar - le nouveau logiciel de la Gendarmerie - était heureusement responsable de “l’explosion des crimes et délits”.

La vérité ? Rien de plus que les années précédentes

Fin d’année dernière, l’ONDRP donnait la réponse fort argumentée, elle, par rapport à cette pseudo “explosion” : "Entre juin et octobre 2012, les gendarmes ont enregistré 50 496 atteintes volontaires à l'intégrité physique, soit 24,3 % de plus qu'entre juin et octobre 2011 (+ 9 859 faits constatés). Or, au cours des mêmes mois, la hausse des faits constatés de ce type n'a pas dépassé 2 % en zone police (soit + 2 974 faits constatés)".

D'autres indicateurs très divers subissent de fortes augmentations perceptibles uniquement chez les gendarmes : "destructions et dégradations de véhicules privés" (+55,9 %), "harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles contre des majeur(e)s" (+42,3 %),"falsification et usages de chèques volés" (+48,3 %), "viols sur des mineurs" (+20,2 %), "menaces ou chantages" (+17 %).

Et encore, il ne s'agit que de moyennes sur l'ensemble du territoire couvert par les gendarmes. Dans certaines zones, l'augmentation est beaucoup plus forte - et d'autant plus irrationnelle. A moins d'imaginer que certains Français aient subitement décidé de s'en prendre sexuellement (et violemment) aux enfants, ou de les abandonner, non sans avoir d'abord brûlé quelques voitures et scooters avec de l'essence acquise grâce à un chéquier volé - une explosion de violences qui pourrait, après tout, expliquer que ces mêmes habitants se menacent et usent de chantage -, force est de conclure qu'il y a un loup.

Pourquoi Pulsar “explose t’il” la délinquance ?

Il existait donc une zone grise chez les gendarmes, aujourd'hui interdite par Pulsar qui oblige d'enregistrer tous les faits. A partir de son entrée en vigueur en janvier, les gendarmes auraient non seulement enregistré ces faits lorsqu'ils se produisaient, mais aussi enregistré les affaires en suspens - souvent, justement, les dossiers complexes qui touchent les mineurs - qui ne pouvaient rester indéfiniment hors de leur système informatique. Ils écoulent leur stock, en quelque sorte.

Et puis, il y a eu la campagne électorale. Depuis début novembre, la DGGN - direction de la gendarmerie - se hâte lentement dans les investigations qu’elle mène avec l’ ONDRP : la recherche à l'échelon local des causes des hausses d'aujourd'hui pourrait révéler les petits arrangements d'hier.

Avant la campagne, en septembre 2011, le patron des gendarmes lui-même avait recommandé dans une note que ses troupes lèvent le pied sur les plaintes afin de "viser un bilan favorable de l'évolution de la délinquance en 2011"...

Pour Le Figaro “tous les indicateurs augmentent”

Les atteintes à l’intégrité physique (violences) augmentent de 2,9%, selon Le Figaro, qui additionne donc police et gendarmerie. A la lecture du bulletin de l’ONDRP, on se rend compte qu'elles sont stables chez les policiers (+0,1%, 383 faits supplémentaires pour un total de 370 608), mais qu'elles explosent chez les gendarmes (+12,9%, soit 13 376 faits de plus, pour un total de 117 252).

Si l’on rentre dans le détail, on constate que cette hausse est constituée, en totalité, de violences dites "non-crapuleuses", c’est-à-dire qui ne sont pas commises à l’occasion de vols. Les violences "crapuleuses" sont au contraire en baisse chez les gendarmes. De plus, tous les indicateurs qui constituent cette hausse présentent la fameuse "rupture de continuité" statistique, selon l’ONDRP, en raison du changement informatique des gendarmes. Et que le journaliste omet...

Un simple exemple, les "harcèlements sexuels sur mineurs" qui auraient augmentés de 34,6%, soit 1 298 faits de plus sur un an. Peu crédible.

Vient ensuite l’un des nouveaux indicateurs de Manuel Valls, la "grande criminalité", en hausse de 5,2%. C’est un agrégat fin, qui représente, sur les douze derniers mois, 16 581 faits, sur plus de 3 millions de crimes et délits enregistrés par les forces de l’ordre. La hausse représente donc un peu plus de 860 faits supplémentaires sur un an... Lesquels? Le Figaro cite les règlements de comptes (+10%). Mais cela représente 6 faits en plus… On est loin du compte.

Le quotidien évoque également les attentats à l'explosif contre des biens privés (+33,7%). Le pourcentage est spectaculaire… mais il ne s’agit encore que de 31 faits supplémentaires. C’est mieux, mais pas encore ça.

En fait, cessons-là le suspense, le gros de l’augmentation, plus des trois quarts, est constitué par deux rubriques dont la hausse témoigne de la plus grande efficacité des services de police et de gendarmerie: le démantèlement des réseaux de fausse monnaie (+184) et l’usage-revente de stupéfiants (+561).

“Tous les indicateurs augmentent” ? Même pas, selon la même source utilisée par le journaliste du Figaro, puisque l’on y trouve ; les atteintes à la tranquillité publique sont en baisse de 3,5%, les outrages à dépositaire de l’autorité de 5,6%, les regroupements illicites dans halls ou sur toits d'immeubles collectifs d'habitation de 26,5%, les feux de poubelles de 11,5%, les exhibitions sexuelles de 11,2%, etc.

Sacré Jean-Marc Leclerc ! Il est parfaitement en phase avec son copain, Claude Guéant, et avec la fameuse phrase "On n'est pas là pour emmerder la droite, c'est comme ça", lancée par le directeur du "Figaro" devant la société des journalistes du journal en septembre 2012...

Merci à : Le Kiosque aux Canards

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