Aron, PGEN, I, I, 3

Cette section s'intitule "gagner ou ne pas perdre". Ce titre est d'une glaciale actualité, mais je n'y suis pour rien. Car pour Aron, "l'alternative suprême au niveau de la stratégie est : gagner ou ne pas perdre" (42). Ce qui amène immédiatement l'idée que ne pas perdre, c'est choisir l'usure, afin d'émousser la volonté de l'autre ou la solidité de son alliance. En ce moment, Assad joue à "ne pas perdre". Mais laissons-là l'actualité.

Aron évoque les petites guerres : "Les insurrections sont déclenchées par des minorités ou des foules sans considération du rapport de force" (44). "Dans le cas d'une guerre subversive où l'un des camps détient l'administration et la police, assure l'ordre, mobilise les armées régulières, la disproportion des forces est telle que seul un des belligérants peut songer à un succès militairement total. Le parti conservateur a la volonté de vaincre, le parti rebelle la volonté de ne pas se laisser éliminer ou exterminer. Nous retrouvons la dissymétrie (sic :livre de 1961) typique: l'un veut gagner et l'autre ne pas perdre". (..)

"Mais si le parti rebelle (..) prend le pouvoir, il a remporté politiquement une victoire totale (...) il a suffi au rebelle de ne pas perdre militairement pour gagner politiquement" (45). Qui ne songe à l'Algérie ou à l'Afghanistan, en lisant ces lignes ? Encore faut-il préciser que l'ordre était alors imposé de l'extérieur, par des pouvoirs ressentis comme allogènes.

Et ce magnifique : "il n'y a pas de politique raisonnable sans capacité d'oubli" (47). Il est insupportable et déraisonnable de sans cesse insister sur "le devoir de mémoire". Peu à peu, il faut oublier et laisser l'émotion se reposer. Certes, le temps ne cesse d'agiter l'émotion... mais la capacité d'émotion n'est pas infinie, et les émotions se recouvrent sans cesse. Là est peut-être la chance de la capacité d'oubli, et donc de la politique raisonnable.

Et à propos de toutes les guerres de décolonisation : "l'inégalité de résolution, entre les adversaires, était plus marquée encore que l'inégalité des forces matérielles. La dissymétrie de volonté, d'intérêt, d'animosité, dans le dialogue belliqueux des conservateurs et des rebelles fut l'origine dernière de ce que les auteurs français appellent les défaites de l'Occident" (47). Là encore, des lignes écrites en 1961.

O. Kempf