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"Utoya" de Laurent Obertone

Publié le 13 septembre 2013 par Francisrichard @francisrichard

Laurent Obertone a déjà commis un livre controversé cette année. Il récidive. Il mérite donc la peine d'être lu.

L'auteur de La France orange mécanique  a eu du succès avant que la critique ne l'éreinte (parce qu'il était devenu impossible de l'ignorer) et que des lecteurs plus lents, tels que votre serviteur, ne se demandent pourquoi.

Invité de l'émission Ce soir ou jamais de ce vendredi soir, il vient d'être décommandé in extremis.

Non mais! Il serait tout de même scandaleux de donner la parole à celui qui ose défendre les victimes et qui n'a pas de mots assez durs pour les criminels.

Pourtant il aurait été intéressant d'entendre celui qui, cette fois, s'est mis dans la peau d'un tueur de masse, tel qu'Anders Breivik.

Car Obertone a pris un risque encore plus grand avec Utoya de se faire éreinter. Il a en effet tenté de comprendre comment un jeune homme de bonne apparence, sous tous rapports, a pu tuer directement, et indirectement, au total 77 personnes il y a deux ans, en Norvège.

Obertone ne l'a pas fait en prenant de la distance. Il a employé la première personne pour ce faire, faisant pénétrer le lecteur dans l'intimité du personnage. Il l'a fait à l'aide d'une documentation considérable qu'il évoque dans son avertissement, et, notamment, à l'aide des 1'515 pages du Manifeste 2083 du tueur.

Comprendre n'est pas approuver, mais je suis bien certain que d'aucuns franchiront allègrement le pas d'amalgamer l'auteur avec le héros mégalomane de son livre.

Quoi qu'il en soit, il est facile de se débarrasser de ce criminel gênant qu'est Breivik, en disant qu'il est fou parce qu'il se prend pour un chevalier Templier, qu'il est un monstre parce qu'il a tué de sang froid et qu'il n'éprouve pas de remords. Mais c'est un peu court. Et Obertone n'a pas fait court.

Les 4 premiers chapitres - sur 12 - de ce  livre, un tiers de l'ouvrage, font le récit minutieux de la tuerie de l'île d'Utoya, où se déroulait chaque année, depuis des décennies, le camp d'été des jeunes travaillistes norvégiens.

Breivik-Obertone n'épargne aucun détail sur le massacre des 69 personnes tuées le 22 juillet 2011 sur cette île située à 620 mètres au large du continent et sur ce qui se passe sous son crâne pendant tout ce temps-là. Chaque mort fait l'objet d'une notice indiquant son prénom, l'initiale de son nom, son sexe, son âge, et le nombre de balles qu'il a reçues ayant entraîné son trépas. C'est tout simplement effrayant.

Féru de statistiques, Breivik-Obertone dresse ce bilan macabre:

"Cinq cent soixante-quatre personnes. Soixante-treize minutes. Soixante-neuf morts. Soixante-sept tués par mes armes. Trente-trois blessés par balles. Vingt-neuf autres blessés par fractures, coupures, etc. D'après les autorités, il y a "beaucoup" de traumatisés. Taux de mortalité: 12%. Taux de cibles touchées: 18%. Un peu plus d'une victime à la minute."

Au chapitre suivant, il ajoute:

"Je n'ai pas tué d'enfants. Moyenne d'âge des victimes: dix-huit ans. Beaucoup d'entre eux ont plus de vingt ans. J'ai tué en priorité les manitous de ce camp d'endoctrinement, ceux qui étaient trop âgés, trop avancés dans le pourrissement mental, pour avoir une chance un jour d'en réchapper."

Pour lutter contre l'immigration, l'islam, le muticulturalisme, pourquoi Breivik a-t-il choisi le massacre? Parce qu'il est impossible de diffuser des idées autrement quand la partie adverse contrôle tout:

"Soit on passe sa vie à tenter de créer des contre-réseaux, sans grandes illusions, soit on frappe très fort, et on met tout ce beau monde à nos pieds. C'est ce que j'ai fait."

Mais, surtout, il a tué parce que tuer donne du pouvoir:

"Le meilleur moyen de conquérir le pouvoir, c'est de prendre le maximum de vies. Il n'y a qu'en tuant que l'on peut peser sur le monde, autrement qu'en bêlant avec le troupeau."

Pourquoi a-t-il pris les jeunes travaillistes pour cibles? Parce que ce sont des traîtres applaudissant au multiculturalisme et au métissage, qui feront disparaître le génome norvégien, "aboutissement de millions d'années de sélection ordonnée". Parce qu'ils "empêchent les nôtres de comprendre, de se battre".

S'il ne s'en était pris qu'à des musulmans, les médias se seraient mépris sur ses intentions:

"Sur Utoya, je n'ai pas spécifiquement visé les musulmans. Seulement sept sur soixante-dix-sept. Ils étaient là, je les ai tués, traitement égalitaire. Il ne fallait surtout pas qu'on me qualifie de raciste. C'est leur hiérarchie à eux. On peut manger des enfants à la limite, mais de là à ne pas soutenir le multiculturalisme... Le racisme, c'est le crime moral suprême."

Breivik est-il croyant? Non. Pour lui, n'existe que la sélection naturelle, l'instinct de survie. Le marxisme a pris la suite de la religion pour imposer culpabilité et terreur et pour éliminer toute résistance en prêchant l'amour universel, alors que la haine, c'est la survie:

"La sélection naturelle va siffler la fin de la récréation. Les gens comme moi, qui agissent n'en sont que l'avant-goût. L'ordre naturel sera toujours le plus fort. On peut mettre des jupes aux petits garçons et des fleurs sur les fusils, la nature n'a que faire de la dernière mode. Elle reprendra ses droits."

La vie vient de la sélection et la sélection de l'agressivité... Pour dépasser l'ère de la morale actuelle, il faut réhabiliter le Mal et Breivik attribue sa volonté de puissance à son taux de testostérone. Il ne pense pas que l'on devienne tueur en série...

Il hait tout simplement ce monde:

"Heureusement qu'elle est là, la haine. Elle est un peu comme la flamme que se transmettaient si précieusement les premiers hommes. En ce qui me concerne, je me suis accroché à la haine. Je l'alimentais soigneusement . Je m'intéressais aux marxistes, je les lisais, je les observais, à m'en faire dégueuler."

Pendant neuf ans, il rédige son manifeste composé essentiellement de textes qui lui correspondent et qu'il recopie. Pour le diffuser il a besoin d'argent, mais il n'arrive pas à réunir l'argent nécessaire qu'il a estimé à trois millions d'euros. Alors, ses incapacités économiques scellent son avenir. Il se résout à passer à l'acte.

Aux préparatifs de cet acte, il consacre désormais tout son temps et tout l'argent qui lui reste. Et s'endette même, à la fin, se rend insolvable.

Grâce à Internet il apprend à confectionner des engins explosifs. Ce qui va lui demander des semaines de travail et de patience. Il se procure des armes, un fusil à pompe, un Glock et un Ruger Mini-14. Il s'entraîne au tir. Il se prépare physiquement. Il parvient à déshumaniser des cibles humaines à l'aide de jeux vidéos, à anesthésier ses émotions en consommant d'innombrables vidéos d'assassinats sur un site spécialisé américain. 

Dans l'avant-dernier chapitre, Breivik-Obertone raconte le 22 juillet 2011 avant Utoya. Ce matin-là, il perd beaucoup de temps à expédier par mail son manifeste à des centaines de destinataires. La bombe, qui explose à Oslo, devant un bâtiment gouvernemental, n'a pas l'effet dévastateur escompté - il n'y aura que 8 morts et 200 victimes en tout... Cela le détermine à mener son opération mortelle sur Utoya, qui était optionnelle.

Le 24 août 2012, Anders Breivik est "condamné à purger une peine de vingt et un ans de prison dans le centre pénitentiaire d'Ila, avec possibilité de prolonger cette peine si l'accusé est jugé dangereux". Après l'énoncé de ce jugement, il regrette seulement de ne pas avoir exécuté davantage de traîtres...

Quel était son but, en définitive?

"Le but de mon attaque était de perforer les blindages de la censure. L'essentiel, c'est le manifeste. De ce texte s'inspireront d'autres chevaliers Templiers. Ils créeront un jour, comme je le prédis, la bombe nucléaire du pauvre."

Une fois en prison, Breivik se rend compte que la vie n'y est pas facile:

"C'est un environnement oppressant, qui contamine la pensée. Je pensais être plus au calme que jamais pour réfléchir et écrire. Pour achever le marxisme. Ce n'est pas si simple."

Le livre se termine par cette conclusion désabusée:

"Je n'ai plus de père. Je n'ai plus de mère. Je n'ai plus d'amis. Je n'ai plus d'ennemis. Je ne suis qu'un pixel dans l'espace numérique.

Ils m'ont condamné à vivre, sans savoir qu'Utoya m'avait emporté avec elle et ses enfants.

Ils ont le temps pour eux.

Ils sont là.

Ils me sourient."

Dans sa préface, Stéphane Bourgoin, lui, conclut:

"Tenter de mettre des mots sur l'inexplicable permettra peut-être à l'avenir d'éviter de telles tragédies."

Rien n'est moins sûr, hélas, mais il faut bien tenter...

Francis Richard

Utoya, Laurent Obertone, 430 pages, Ring

Le 3 septembre 2013, Laurent Obertone et Stéphane Bourgoin s'expriment sur RTL:

 


Coulisses d'Utøya avec Laurent Obertone et...
par Editions_Ring



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