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Karl Kraus, journalisme et liberté de la presse

Publié le 16 septembre 2013 par Fmariet
Karl Kraus, journalisme et liberté de la presse
Jacques Bouveresse, Satire & prophétie : les voix de Karl Kraus, Marseille, éditions AGONE, 2007, 214 p., Index.
Karl Kraus (1880-1936) vécut dans la Vienne de Freud, de Musil, de Canetti, de Wittgenstein, de Schönberg... Die Fackel, La torche (1899-1936), dont Karl Kraus finit par être le seul auteur, est une publication tout à fait originale, plus ou moins irrégulière, de pagination variable et de tonalité satirique.
Dans ce volume, Jacques Bouveresse a réuni quatre textes qu'il a consacrés à Karl Kraus entre 2005 et 2007 et qui ont pour fil conducteur la critique du journalisme. Ce sont des textes de circonstance et l'on ne sera pas surpris que l'auteur ait la tentation d'appliquer les analyses et les satires de Karl Kraus à des situations journalistiques contemporaines.

Karl Kraus, journalisme et liberté de la presse

Une du N°1 de Die Fackel, copie
d'écran sur Austrian Academy Corpus

La critique du journalisme par Karl Kraus est tellement virulente qu'il va jusqu'à demander de libérer le monde de la presse. Analysant la manière dont la presse a préparé et incité la population à la guerre de 1914-1918 (journalistes va-t-en-guerre), puis dont elle a rendu compte du conflit, Karl Kraus stigmatise les journalistes et regrette qu'ils n'aient pas été condamnés, une fois la paix rétablie, comme criminels de guerre. Kraus demande que la presse, responsable à sa manière de la guerre, rende des comptes. Lui qui voit se profiler, dans le traitement du premier conflit mondial, les horreurs criminelles du second, finit par contester la valeur - et le dogme - de la liberté d'une presse qui "inflige au peuple un mensonge de mort".
La matière première des journalistes, c'est la langue. Ce sont les mots et les clichés qu'ils charrient : Kraus dénonce la "catastrophe des expressions toutes faites" ("Katastrophe der Phrasen", "der klischierten Phrase"). La presse déréalise le monde et fait "vivre la mort des autres comme une nouvelle journalistique" : effet des médias de masse livrés chaque jour à domicile par l'imprimerie, que Karl Kraus compare à une mitrailleuse rotative ("Rotationsmachinengeweher"). Avec la presse, les lecteurs vivent une vie irréelle, une vie de papier ("papierenes Leben").
Karl Kraus défend la langue allemande, comme plus tard le feront Victor Klemperer ou Paul Celan. Coupables encore, selon lui, la presse et le journalisme qui corrompent la langue.
Notons que cette critique implacable de la presse, de son économie doit être malgré tout tempérée par l'existence-même de Die Fackel... jusqu'à l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie, du moins.
Exagérations de Karl Kraus ? Sans doute, mais qu'il faut mettre en rapport avec sa lucidité, ses prémonitions : dès 1915, il voit l'Allemagne comme un camp de concentration, il voit des usines fonctionnant grâce au travail forcé, etc. Et l'on pense aussi à cette répartie d'un personnage de sa tragédie, "Les Derniers jours de l'humanité" : "Statut juridique ? On a le gaz". Son biographe, Edward Trimms, parle de Karl Kraus comme d'un "apocalyptic satirist" (2005). Lire Kraus ravigote et débarasse  notre vision des médias de sa gangue d'habitudes et de clichés.
Il faut savoir gré à Jacques Bouveresse de nous faire lire, de nous apprendre à lire Karl Kraus, pour bousculer un peu nos certitudes sur les médias et le journalisme. Il faut lire Jacques Bouveresse et néanmoins contester ses propos surtout lorsqu'il généralise (dernier chapitre) hors de son territoire de compétence (la philosophie des sciences). Par exemple, d'où tient-on que les médias imposent des idées et des manières de penser ? Du journalisme ? Qui peut résister ?


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