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Les temps s’emmerdent

Publié le 12 avril 2008 par Peggoche
Longtemps je n’ai pas su ce qu’était l’ego. En fait, je ne suis pas très sûre, encore aujourd’hui, de savoir ce que c’est. L’idée d’une identité individuelle, plus ou moins fixe, le rempart du « ce que je suis au niveau de moi personnellement parlant », cet insécable et indivisible, comme les anciens atomes, et dont le corollaire serait une défense acharnée de ce qui fait son honneur ou sa dignité, contre des attaques déclenchant offuscations et autres réactions à grand renfort de sueur - il me faut faire un assez difficile et douloureux effort d’abstraction pour voir à quoi cela peut ressembler.

Je ne comprends toujours pas, par exemple, ce qu’est l’humiliation, je la comprends d’autant moins quand cette humiliation est censée provenir d’un extérieur à soi : untel m’a humilié, telle chose m’a humilié, Laurent Joffrin a été humilié par Nicolas Sarkozy, une pute est humiliée, mon patron m’a humiliée, mon père m’a humiliée, mes amis m’ont humilié , and so on.

Dans le temps des légendes, la presse avait comme fonction de révéler au « grand public » les informations que le Pouvoir (oui, avec une majuscule) lui cachait dans le dessein de garantir son autorité. Rappelez-vous l’affaire du collier (pour ceux qui étaient nés). Le temps des légendes a disparu, l’évolution de démocratie (et donc d’un Pouvoir reflet des désirs d’un Peuple), a entraîné un affadissement de la composante activiste de la presse : quand un Pouvoir n’est plus un Pouvoir de prescription mais de gestion, comment légitimer une information dont le but serait de renverser le Pouvoir en place ? A mesure que la politique se dissout dans nos sociétés et nos cultures, qu’elle se disperse, se difracte, bref, à mesure que nos cultures et sociétés deviennent « pluralistes », selon la formule consacrée, une des évolutions « normales » de la presse, ou tout du moins l’une des plus adaptées, fut celle de devenir un relais d’information brute, ou le moins raffiné possible – quand le pouvoir est choisi par le peuple, dans sa version majoritaire, ce peuple est désormais justifié à choisir l’information qui lui convient. « Se faire une opinion ça n’est pas suivre celle des autres », lisait-on récemment sur les panneaux publicitaires.

Et c’est là que le bât blesse. Le journalisme, en tant que vecteur identitaire, s’est vu ôter par l’époque sa raison d’être : les éveilleurs, les lumières, les « mon bon petit peuple, regarde bien où je te dis de regarder et ça va te faire du bien », les médias verticaux se sont vus couper l’herbe sous le pied par les horizontaux et les réticulaires. Je dis journalisme, je pourrais dire philosophie, expertise, cléricalisme, bref de tous ceux qui au centre de leur identité placent l’existence envisageable d’une conviction possible. L’idée qu’un changement d’avis radical est concevable, une révolution d’identité justement, de quelqu’un tu deviendras quelqu’un d’autre par la force formatrice des mes arguments et de mes idéaux, absolument supérieurs à toute cette petite vie que tu menais auparavant dans le noir, sans savoir même où allaient se trouver les murs où te cogner.

Il y en a bien qui continuent encore d’y croire à la fable, que « les gens » ont envie qu’on leur dise ce qu’il faut faire là où on leur dit de faire. C’est certainement lié à une psychobiologie particulière, de celles qui ont besoin de repères sinon ils s’essoufflent et dépriment, de celles aussi qui croient que l’action demeure l’idéal indépassable – pour que « les gens » aient envie de faire là où on leur dit de faire, cela suppose encore qu’ils aient envie de faire quelque chose... Des mêmes qui cultivent le « tous pareils », encore les mêmes qui déduisent de l’existence contingente de leur pensée sa généralisation inévitable, l’universalisation intrinsèque, sous-entendue, déjà-là. La « formation » de l’information.

J’entends Régis Debray par exemple, après avoir précisé qu’il n’aimait pas les donneurs de leçons, déclarer « nous avons besoin de nous sentir liés par quelque chose qui nous dépasse ». Oui, certes, et nous c’est qui ? Toi, ta mère ton chien ?

Cette année, personne n’a remporté les 10.000 $ du prix Pulitzer d’editorial writing, défini comme « un test d’excellence conjuguant une clarté de style, un but moral, un raisonnement pertinent et le pouvoir d’influencer l’opinion publique vers ce que l’auteur estime être la bonne direction » : sign of the times ?


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