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Ainsi qu'égéa vous l'annonce depuis quelques mois désormais (voir mon dernier billet sur le sujet), les choses évoluent diplomatiquement du côté de l'Iran. Ainsi, le président de la République vient d’annoncer à la BBC : We have never sought or pursued a nuclear bomb and we are not going to do so. Après avoir envoyé de nombreux signes (vœux de nouvel an aux juifs, accueil d'un officiel omanais, prudence et discrétion autour de la crise syrienne), voici que les grandes manœuvres deviennent plus visibles. Les plus perspicaces les avaient anticipées, mais elles apparaissent à la surface. Vient un moment où la taupe de l'histoire remonte à l'air libre, et où les mouvements en coulisse apparaissent sur la scène. La scène, ce sera le discours que prononcera M. Rouhani à l'AG des Nations Unies, le 24 septembre prochain. Mais d'où venons nous pour arriver à ce point? et qu’envisager ensuite ?
Le tournant ne réside pas, au fond, dans cette manœuvre diplomatique. Il réside dans le résultat de l'élection du printemps dernier. En effet, l'Iran est une démocratie. Je précise aussitôt : certes, pas une démocratie libérale et occidentale, mais nous autres, Occidentaux, qui ne cessons de prôner la tolérance, tolérons donc que l'incarnation de la démocratie ne soit pas systématiquement conforme à notre "modèle". Or, chez les chiites, s'il y a bien sûr un rôle important accordé au clergé (ce qui le démarque, au passage, de la tradition sunnite), le peuple a toujours eu une importance dans l'expression de la volonté, y compris divine.
De quoi s'agissait-il ? De se débarrasser d'Amadinedjad. Celui-ci avait en effet viré sa cuti entre ses deux mandats. Autant lors du premier mandat, il était un radical de la révolution islamique (contre les réformateurs de M. Khatami), autant son deuxième mandat l'avait vu jouer le "peuple" contre les élites : autrement dit, un clivage social (très lutte des classes) qui gênait tout le monde, et notamment les élites, et notamment le guide.
C'est pourquoi, une fois mis de côté tous les candidats extrêmes, le pouvoir (le guide Khameney) a laissé le peuple s'exprimer. Et la désignation de M.Rouahni est le résultat d'une expression démocratique. D'ailleurs, fait à peu près unique au Moyen-Orient, vous disposez de séries statistiques des votes, par région et par candidat, selon des critères les plus divers (ethnie, religion, âge, profession, rural/urbain) et sur une période désormais relativement longue (plus de trente ans) ce qui permet d'effectuer de vraies analyses de science politique.
Du coup, le président élu bénéficie d'une vraie légitimité. Politiquement, il appartient à un courant que j'appellerai, à la suite d'autres, des traditionalistes pragmatiques. Ni un quiétiste, ni un réformateur, ni un radical, ni un populiste. Dès lors, son accord sur le principe institutionnel étant acquis, il dispose de la confiance du guide qui a enfin retrouvé des marges de manœuvre qu'il n'avait pas avec Khatami d'abord, puis avec Ahmadinedjad, chacun étant dans un excès par rapport à l'équilibre que doit assurer le guide. Douze ans de perdus.
Nous sommes donc en présence d'un jeu subtil, qui est loin d'une part d'un régime islamiste terroriste, d'autre part de la dictature sanguinaire assoiffée de sang.
Pourquoi avancer ? Pour des raisons intérieures, tout d'abord : il faut en effet répondre à la crise économique (les sanctions) et sociale (le peuple iranien est à la fois un des plus ouverts sur l'Occident, et en ayant le moins la connaissance personnelle : il a donc une attente extrême); par ailleurs, techniquement, le régime est probablement assuré d'avoir les compétences techniques pour être un pays du seuil, à la mode nippo-israélienne. Sur un mode japonais, cela consiste à dire "nous avons les moyens de produire une bombe en six mois" ; sur un mode israélien cela consiste à affirmer "nous ne serons pas le premier pays à introduire l'arme nucléaire dans la région". Comptons sur la subtilité perse pour trouver une formule innovante. C'est le sens du message de M. Rouhani d'hier : nous sommes prêts à transiger. Mais attention, la "transaction" signifie un échange. Vous n'aurez pas rien sans rien.
A l'extérieur, la situation est par ailleurs sinon favorable, du moins convenablement disposée. Les révoltes arabes et le déferlement de l'extrémisme sunnite font apparaître les Iraniens pour de gentils enfants ; l'Irak utile est tombé dans l'escarcelle d'influence iranienne, grâce aux Américains; l'Occident s'interroge sur l'Afghanistan après 2014 et se dit que, peut-être, un stabilisateur à l'ouest du pays ne serait pas inutile ; les Israéliens ont enfin repris un dialogue avec les Palestiniens, ce qui devrait les occuper.
Les pièces se mettent donc en place, préparées par des discussions secrètes qui ont lieu, très probablement, depuis quelques mois. Elles expliquent les gestes de part et d'autre, mais aussi les commentaires positifs qui commencent à apparaître dans la presse américaine (ici et ici).
Quel est l’enjeu du discours de New-York du 24 septembre ? Il est triple :
- d'abord, manifester auprès de l'opinion publique internationale la possibilité du nouveau cours, de façon que les médias main stream fassent des commentaires intelligents et réfléchis. Je lis déjà l'édito des journaux de référence : "espoir, bien mais peut mieux faire, à confirmer".
- Ensuite, tester auprès des acteurs régionaux (Turquie, Arabie, Israël) leur réaction officielle, à la suite de ce changement de pied. Là, on verra, même si j'ai quelques idées. Toutefois, tout n'est pas joué.
- Enfin et surtout, travailler la scène politique intérieure américaine. Il n'est pas sûr que le "système" washingtonien soit prêt à laisser tomber un "aussi bel ennemi". Comme disait P Conesa, les Américains vivent aussi de la fabrication de l'ennemi. Et quand on voit les difficulté d'Obama sur la question syrienne, il n'est absolument pas sûr qu'on le laisse organiser le changement de pied radical avec l'Iran. Là réside en fait ma profonde inquiétude. Accessoirement, la question se posera aussi sur la scène politique intérieure iranienne, même si les choses paraissent mieux fixées de ce côté là : cependant, il y a aussi des jeux de pouvoir qui peuvent faire dérailler le processus.
Pourtant, voici quelque chose qui relancerait en profondeur le jeu dans la région, et serait les prémisses de vraies solutions "politiques" dont on ne cesse de nous chanter la nécessité.
Si l'on surmonte tous ces obstacles préparatoires, alors on pourra s'engager dans la discussion 5+1 avec des perspectives sérieuses d'avancées. Mais il ne faudra pas trop traîner. L'esprit d'Oslo n'a duré qu'un ou deux ans...
Réf :
- Vues américaines sur l'Iran (égéa)
- Iran, l'isthme asiatique (égéa)
- Le clivage du pouvoir (égéa, 2010)
O. Kempf